Transitions & Energies

MaPrimeRenov’ de mal en pis


La réforme de MaPrimeRenov’, dispositif clé permettant d’aider les propriétaires de logement à mener les indispensables travaux de rénovation énergétique, est maintenant contestée par les artisans et les organisations professionnelles du bâtiment. Ils demandent in extremis le report d’une réforme… qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2024 et dont ils sont censés bénéficier.

Ce courrier étonnant en date du 20 décembre adressé à la Première ministre Elisabeth Borne est une parfaite illustration des errements, le mot est faible, de la façon dont est menée en France l’indispensable rénovation énergétique des bâtiments. La représentation professionnelle des artisans du bâtiment (CAPEB) et plus d’une vingtaine de fédérations et d’entreprises demandent à moins de deux semaines de son entrée en vigueur de reporter la réforme de MaPrimeRenov’ qui finance les travaux de rénovation énergétique des particuliers. Cette réforme est jugée, au dernier moment, trop complexe et contreproductive pour être mise en œuvre. Voilà un extrait de cette lettre.

«Une catastrophe annoncée… »

 « Le constat est sans appel. Avec 90% des logements existants à rénover, la réforme de MaPrimeRénov’, telle qu’elle est envisagée pour le 1er janvier 2024, ne vous donnera pas les moyens d’atteindre les objectifs de décarbonation des bâtiments fixés dans le cadre de la planification écologique. Les travaux d’ampleur à réaliser, pour obtenir les aides, seront trop lourds pour les particuliers, leur reste à charge encore bien trop coûteux et les démarches toujours trop complexes pour les professionnels. Cette réforme, nous les acteurs du secteur, nous l’appelions de nos vœux. La croissance des travaux de rénovation énergétique diminue, trimestre après trimestre, tout comme le nombre d’entreprises RGE et tout particulièrement le nombre de TPE, conséquence logique de la complexité grandissante des dispositifs RGE et CEE qui, pour autant, n’a pas permis de lutter efficacement contre la fraude. L’évolution du dispositif MaPrimeRenov’ est donc une nécessité. Seulement la trajectoire qui a été privilégiée nous mène tout droit à une catastrophe annoncée. »

L’enjeu n’est pas mince. Le secteur du bâtiment représente pas moins de 44% de la consommation finale d’énergie du pays et 17% des émissions de gaz à effet de serre dont les deux-tiers pour le résidentiel. MaPrimeRenov’ n’avait en outre pas vraiment besoin de cela. Les dysfonctionnements en série de ce dispositif d’aides coûteux d’une rare complexité, son inefficacité et même la multiplication des arnaques qu’il a engendré, sont dénoncés depuis son instauration en 2020 que ce soit par les associations de consommateurs ou la Cour des comptes.

La réforme de 2024 doit permettre selon le gouvernement de relancer le dispositif et de tripler le nombre de rénovations dites complètes en les faisant passer l’an prochain à 200.000. Une ambition irréaliste… pour changer. Selon l’Agence nationale de l’habitat (Anah), il y a eu en France au cours des trois dernières années 210.000 rénovations dites « complètes » dont 60.000 en 2023. Un chiffre considéré comme passablement enjolivé par les professionnels. Les mêmes qui ne veulent plus de la réforme.

« Une démarche stupéfiante… »

Comme le souligne Dominique Seux dans un éditorial des Echos, « cette démarche est stupéfiante parce que les artisans sont censés être les grands gagnants d’un dispositif qui depuis 2020 subventionne massivement les ménages, à hauteur de plusieurs milliards d’euros chaque année. Les travaux leur donnent normalement du travail pour longtemps : isolation (murs, combles, fenêtres) et installation de nouveaux systèmes de chauffage décarbonés. Mais pourquoi sont-ils mécontents ? ».

Jusqu’à aujourd’hui, c’était plutôt les clients qui étaient souvent mécontents. La labellisation RGE, pour « Reconnu garant de l’environnement » apparue en 2011, censée réguler le métier des professionnels du bâtiment  a en fait institutionnalisé la course aux aides, primes, subventions, au détriment souvent de la recherche des vraies économies d’énergies et des travaux efficaces dans le temps. Ce sont les artisans labellisés qui remplissent les dossiers pour leurs clients et en ont fait un argument de vente…

Plus d’argent pour des réformes dites complètes

La réforme 2024 de MaPrimeRenov’ comporte deux éléments. Le premier augmente sensiblement le niveau de la prise en charge des dépenses par l’Etat. Pour les ménages modestes, il pourra aller jusqu’à 63.000 euros et 90% des travaux et pour les plus aisés jusqu’à 19.000 euros et 35% des travaux. Les professionnels de la profession n’y voient évidemment aucune objection…

Mais ce qui bloque est la seconde partie de la réforme: l’obligation de mener des rénovations complètes. Pour prétendre à MaPrimeRénov’, les propriétaires devront envisager des rénovations incluant au moins deux types de travaux.  Il ne sera plus possible d’obtenir des aides pour une seule catégorie de travaux que ce soit remplacer des fenêtres, isoler un toit, changer de chaudière… Il faudra un plan d’ensemble considéré, à juste raison, comme bien plus efficace. Le problème, c’est que les sommes en jeu ne sont évidemment pas les mêmes, elles deviennent bien plus importantes, ce qui dissuadera les ménages en dépit de l’augmentation éventuelle des aides affirment les signataires de la lettre adressée à Elisabeth Borne. Il est vrai que sur les 660.000 aides MaPrimeRénov’ qui auront été distribuées cette année, l’écrasante majorité correspond à des mono travaux. Et puis faire travailler ensemble et de façon coordonnée différents artisans et corps de métiers est un véritable casse-tête. Les propriétaires comme les professionnels du bâtiment sont bien placés pour le savoir.

Le bénéfice des travaux s’estompe en cinq ans

Il est pourtant incontestable que les travaux de rénovation complets produisent eux en général les effets attendus, et diminuent effectivement de 30% (le plus souvent) à 50% (quand on revient de loin) les dépenses énergétiques. Mais pour cela, il faut que les travaux de rénovation soient vraiment complets ! Le chantier le plus classique, le remplacement de fenêtres simple vitrage par des doubles vitrages, n’est pas vraiment efficace si les murs et les toits ne sont pas simultanément isolés eux aussi. Conséquence, les économies d’énergie réalisées et le gain financier espéré à la clef n’est pas au rendez-vous.

Mais il y a pire. D’après une étude anglaise menée pendant un peu plus de dix ans auprès de 55 000 foyers ayant bénéficié de travaux d’isolation et d’amélioration énergétique, le bénéfice de ces travaux s’estomperait… en moins de cinq ans ! Pourquoi ? Tout simplement parce que les travaux réalisés modifient profondément les habitudes de vie des occupants. Il n’est ainsi pas rare que la pose de doubles vitrages s’accompagne de… l’installation d’une véranda, ou de bow-windows, outre-Manche. De véritables gouffres énergétiques. Autre exemple : le remplacement d’une vieille chaudière, qui peinait à produire de l’eau chaude sanitaire en quantité, obligeant les occupants du logement à prendre des douches courtes et espacées, par une nouvelle plus performante… provoque soudain une passion généralisée pour les bains chauds ! Plus ubuesque encore : persuadés d’avoir bien agi en isolant leur logis, les bénéficiaires de ces travaux, la conscience tranquille, n’hésitent pas à chauffer un peu plus, pour améliorer leur confort.

La rédaction