Transitions & Energies

La CRIM ne paye pas !


Le ministère de l’Economie et des Finances espérait récupérer au moins 4,3 milliards d’euros l’an dernier en taxant les superprofits des énergéticiens. Il prenait ses désirs pour la réalité. La Contribution sur la Rente InfraMarginale ou CRIM n’a au final rapporté que 330 millions recettes fiscales, un trou de 4 milliards d’euros dans le budget de l’Etat… Et pourtant, l’échec était plus que prévisible.

Dans les multiples errements de la gestion des finances publiques françaises, l’échec retentissant de la Contribution sur la Rente InfraMarginale ou CRIM laissera une trace. Encore une erreur d’anthologie de prévision de recettes fiscales commise par les équipes de Bruno Lemaire, le ministre de l’Economie. Et pourtant, elle était relativement facile à anticiper à moins, soit de prendre ses désirs pour la réalité, soit de tromper sciemment le Parlement et l’opinion.

La CRIM est donc une taxe créée en 2022 lors de la crise énergétique et de l’envolée des prix du gaz et de l’électricité. Son principe est simple et incontestable. Financer au moins en partie le bouclier tarifaire sur l’énergie accordé aux Français en captant une partie des superprofits des énergéticiens qui profitent indûment de l’explosion des prix de l’énergie pour gonfler leurs marges.

La taxe s’applique depuis le 1er janvier 2023 sur tous les producteurs d’électricité exploitant une installation de production dont la puissance installée dépasse 1 MW. Elle a été rendue possible par un accord européen visant à plafonner les revenus des producteurs profitant de la crise (les producteurs dits infra-marginaux). Décidée à la hâte à la fin de l’année 2022 afin de doper les recettes du budget 2023, Bercy espérait retirer de cette nouvelle taxe pas moins de 4,3 milliards d’euros… Elle n’en aura rapporté au final que 330 millions. Le manque à gagner se chiffre ainsi à 4 milliards d’euros, soit 40% des 10 milliards d’économies recherchées aujourd’hui de toute urgence pour éviter une sanction des agences de notation sur la qualité de la dette française.

Une taxe en 2023 sur une situation de marché exceptionnelle et conjoncturelle de 2022 !

Le plus invraisemblable dans cette catastrophe budgétaire est qu’elle était parfaitement prévisible et cela pour plusieurs raisons. La première est que la décision prise dans l’urgence pour améliorer l’équilibre du budget 2023 ne pouvait pas s’appliquer à l’explosion des prix de l’énergie survenue en 2022 après l’invasion de l’Ukraine par une Russie. C’est une évidence. La situation en 2023 était très différente de 2022. Et le principe intangible de non-rétroactivité de la loi empêchait de fiscaliser les plus gros effets d’aubaines dont avaient profité les énergéticiens en 2022.

La seconde raison de l’échec vient d’une surestimation considérable des prix de l’électricité par le gouvernement. Depuis 2 ans, Bercy feint d’ignorer que l’envolée des tarifs de l’été 2022 a plus une origine conjoncturelle que structurelle. Et, de facto, elle n’était pas destinée à durer comme le montre le reflux des prix en 2023.

Des mesures à contre-temps qui ont aggravé la crise

Mais il y a encore plus problématique, les mesures prises systématiquement à contre-temps ont aggravé la crise énergétique et empêché le pays de s’adapter efficacement. L’Etat a créé les conditions d’une crise durable. Au manque d’offre et à la crainte de pénurie d’électrons en 2022 a succédé aujourd’hui un problème d’excédent de l’offre qui s’annonce sans doute aussi conjoncturel, mais n’en reste pas moins bien réel.

Le bouclier tarifaire, en gelant les tarifs au moment le plus critique, a limité la baisse de la demande quand cela aurait été le plus nécessaire. Le rattrapage, à partir de 2023, a à l’inverse contribué à faire baisser la demande tandis que la production reprenait un rythme de croisière.

Ce décalage permanent entre la situation du marché et les mesures correctives a entraîné une destruction de la demande historique, et par conséquent, un effondrement des prix à un niveau bien inférieur à ce qu’ils étaient avant l’invasion de l’Ukraine.

Des recours devant le Conseil d’Etat

Toute la stratégie de la CRIM était de fiscaliser les revenus au-dessus d’un certain prix de vente. Des tarifs très élevés qui ont quasiment disparu avec l’effondrement des cours de l’électricité. Et dans le même temps, l’augmentation à contre-temps des tarifs de l’électricité a entraîné une baisse du pouvoir d’achat des ménages, en même temps qu’une baisse de la confiance de ces mêmes ménages, et, in fine, une baisse de la consommation. Et donc des ressources fiscales.

Et ce n’est pas fini. Le dispositif européen permettant la mise en place de la CRIM était prévu initialement pour durer du 1er décembre 2022 au 30 juin 2023 et pouvait éventuellement être reconduit. Mais la commission européenne a trouvé inutile de le maintenir compte tenu de la baisse rapide des prix de l’électricité dans tous les pays de l’union. Dès lors, la base légale sur laquelle repose la contribution n’existe plus depuis la fin du premier semestre de l’an dernier. En conséquence, certains producteurs ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat dénonçant l’illégalité de cette taxe sur le second semestre 2023 et, à fortiori en 2024.

Ainsi, les 330 millions collectés pourraient encore se réduire à l’extinction de ce litige, et les sommes espérées dans le budget 2024 disparaître. Bercy pris en flagrant délit d’incompétence…

Phillipe Thomazo

La rédaction