Transitions & Energies

Les illusions de la réindustrialisation


La France entend, comme les Etats-Unis de Joe Biden, utiliser la transition énergétique pour se réindustrialiser et parvenir à rapatrier sur son sol des filières, des technologies et des savoir-faire abandonnés depuis plusieurs décennies. Mais la Chine devenue l’usine du monde domine déjà outrageusement les filières industrielles de la transition énergétique (batteries, panneaux solaires, éoliennes, métaux critiques, terres rares, pompes à chaleur, électrolyseurs…). Et la réindustrialisation est un processus long et complexe. Créer un écosystème pérenne et dynamique ne se décrète pas par un gouvernement ou un Etat. Dépenser des milliards en subventions n’y changera rien.

La France, l’Europe, les Etats-Unis ont fini par comprendre, tardivement, qu’abandonner l’industrie et en laisser la domination à la Chine devenue l’usine du monde est une catastrophe économique, sociale et géopolitique. Et cela est particulièrement préoccupant en matière de transition énergétique puisque l’industrie chinoise contrôle aujourd’hui plus de 80% de la production mondiale des panneaux solaires, plus de 70% de celle des éoliennes marines, plus de 60% de celle des éoliennes terrestres, plus de 70% de celle des batteries lithium-ion et environ 40% des électrolyseurs et des pompes à chaleur. Tout cela sans parler d’un quasi-monopole du raffinement des métaux dits critiques et des terres rares indispensables à la transition.

La reconstitution des filières et des savoir-faire est un processus long et complexe

Non seulement la désindustrialisation a installé une dépendance devenue criante depuis la pandémie qui pose un sérieux problème de souveraineté, mais plus encore elle a été un élément majeur de destruction de la prospérité des territoires (la France périphérique) en les privant des usines qui leur assuraient des emplois qualifiés et bien rémunérés et une mixité sociale. C’est un schéma qui se retrouve presque à l’identique dans bon nombre de pays européens et aux Etats-Unis. Il est très marqué en France où la désindustrialisation a pris des proportions insensées presque dans l’indifférence générale. Elle a ramené en deux décennies la part de la valeur ajoutée industrielle dans le Pib français à 17,4%, au niveau de celui de la Grèce (16,8%), très loin derrière l’Allemagne (26,7%), l’Italie (23%) et même l’Espagne (20,8%). Le sursaut annoncé par Emmanuel Macron depuis deux ans, notamment via la transition énergétique, est-il possible ou s’agit-il juste de vaines paroles et promesses?

A en croire la thèse développée longuement par The Economist, il ne faut pas se faire d’illusions tant la reconstitution des filières et des savoir-faire sont des processus longs et complexes. Plus problématique encore, la création d’un tissu économique pérenne et dynamique ne se décrète tout simplement pas par un gouvernement ou un Etat. « Les historiens de l’économie se demandent de plus en plus si le soutien de l’État à l’industrie manufacturière a joué un rôle aussi décisif dans le développement économique de l’Asie de l’Est et de l’Occident que ce que l’on croit généralement », écrit The Economist. Il ajoute : « il est loin d’être évident que de tels emplois puissent être rétablis, quelles que soient les dépenses des gouvernements… ».

L’Europe, les Etats-Unis, l’Inde font le même pari

De toute façon, quelles que soient les dépenses publiques engagées, elles ne recréerons pas, quoi qu’il arrive, les emplois en masse de cols bleus qui ont fait la prospérité des sociétés occidentales jusque dans les années 1970. Car « le type d’usines de haute technologie que l’Amérique et l’Europe tentent d’attirer est hautement automatisé, ce qui signifie qu’elles ne constituent plus une source d’emploi significative pour les personnes peu qualifiées », souligne The Economist.

La France et l’Europe ne sont en outre et évidemment pas les seules à vouloir s’industrialiser ou se réindustrialiser et à mesurer, enfin, l’impact en termes de valeur ajoutée, de souveraineté, de commerce extérieur et d’équilibre social et politique d’avoir sur son sol des usines nombreuses, prospères et dynamiques. La Chine communiste en a fait, avec le succès qu’on connait, une stratégie de conquête depuis trois décennies. Et les Etats-Unis viennent de prendre un virage majeur avec la fameuse loi IRA (Inflation Reduction Act) adoptée par le Congrès à l’été 2022.

Elle accorde près de 400 milliards de dollars d’aides et de subventions diverses aux industries de la transition énergétique… à condition qu’elles se développent et produisent sur le sol américain. En réalité, le plan est financièrement beaucoup plus important. Le mois dernier, une étude de l’Université de Pennsylvanie estimait que le coût pour l’Etat fédéral américain des aides liées à l’IRA pourrait dépasser en fait 1.000 milliards de dollars ! Il pourrait même encore être supérieur à cela puisque le texte législatif ne fixe tout simplement aucune limite budgétaire aux subventions…

L’Inde de Narendra Modi s’est également lancée dans la compétition et avec sa stratégie « Made in India » (fabriqué en Inde) et veut porter à 25% de son Pib d’ici 2025 la part de la valeur ajoutée industrielle.

Capitalisme de connivence

Les gouvernements espèrent que les investissements massifs qu’ils vont contribuer à financer vont créer de nouvelles entreprises et même des filières industrielles. Mais si pour cela, les dépenses publiques sont inconsidérées et les modèles économiques instables et dépendants des subventions, les contribuables n’y auront rien gagné. Au contraire, ils auront en fait payé de leurs poches les profits des entreprises qui se seront développés. Cela a un nom, le capitalisme d’Etat et de connivence (crony capitalism).

Pour The Economist, tout cela reviendra à gaspiller des milliers de milliards de dollars. « Soit parce que la transition verte ne créera pas les emplois ou la croissance économique que les électeurs ont été amenés à attendre, soit parce que subventionner des industries ne donnera pas de résultats à la hauteur des espoirs… ».

La rédaction