Transitions & Energies

Géopolitique de la voiture électrique


Le pétrole a joué un rôle géopolitique majeur depuis au moins un siècle et continue à beaucoup peser sur la marche du monde. Mais la montée en puissance des véhicules électriques et la transition vers des énergies décarbonées signifie que la dépendance à l’égard du pétrole est amenée progressivement à se réduire avec des conséquences attendues et d’autres inattendues.

Une étude menée par le Think Tank E3G intitulée «Rules of the Road: The Geopolitics of Electric Vehicles in Eurasia» (Les règles de la route: la géopolitique des véhicules électriques en Eurasie), montre que la plupart des pays ne sont pas du tout préparés aux conséquences de cette transition. Surtout parce que le rapport de E3G souligne que les risques de conflits viennent moins des traditionnelles rivalités entre Etats et des affrontements pour contrôler les ressources naturelles mais plus de l’impact social et politique de la transition énergétique, de la désorganisation des filières logistiques, de l’impact sur l’emploi et de potentielles guerres commerciales.

Pour E3G, la bascule vers l’utilisation massive de véhicules électriques pourrait se faire bien plus vite que la plupart des observateurs l’imagine. Pour preuve, le plus important courtier en énergie mondial, Vitol, annonce le «peak oil» (le sommet de la production de pétrole) pour dans 15 ans et a commencé à réorienter sa stratégie vers les carburants propres et le commerce de l’électricité. Dans la même logique, plusieurs grands groupes pétroliers ont décidé de se développer dans les énergies renouvelables à l’image de Shell qui a même annoncé le déclin du pétrole.

Une transition rapide et brutale du moteur thermique vers le moteur électrique pourrait être extrêmement déstabilisante notamment dans un contexte de montée des nationalismes et de fragilités sociales illustrées en France par le mouvement des gilets jaunes. L’étude d’E3G met en avant quatre types de risques majeurs que les pays engagés dans la transition feraient bien de prendre en compte.

Risque industriel, commercial, social et politique. L’irruption massive des véhicules électriques pourrait faire s’effondrer des industries existantes notamment en Europe, aux Etats-Unis et au Japon où l’automobile représente une part importante de l’emploi et de l’activité économique. Les pays qui perdraient la bataille industrielle du véhicule électrique pourraient voir le chômage augmenter, le pouvoir d’achat des populations baisser et connaître des troubles sociaux et politiques. Ils pourraient y répondre en imposant des barrières douanières, en limitant les importations et en utilisant des mesures de rétorsion contre les pays gagnant de la bataille commerciale.

Risque de déstabilisation des pays producteurs. Si l’électrification réduit la demande de pétrole, les ressources des pays producteurs vont décliner. Et beaucoup se trouvent déjà dans des régions et/ou des situations instables. L’Arabie Saoudite, la Russie, l’Iran, l’Irak, l’Algérie, le Mexique, le Venezuela… sont des pays qui, à des degrés divers, sont fragiles ou très fragiles.

Risque sur l’accès aux ressources. Sans une percée technologique majeure, le développement des véhicules électriques se traduira par une augmentation considérable de la demande de cobalt, de nickel, de lithium et d’autres métaux stratégiques et terres rares. Il est possible que l’accès à ses matériaux soit, comme le pétrole l’a été, un outil de chantage et de pressions politiques.

La Chine s’est ainsi donnée depuis des années les moyens de faire des terres rares une arme géopolitique en devenant un fournisseur incontournable de ses matières premières. La Chine est également le numéro un mondial et de loin des batteries lithium ion avec une capacité de production annuelle de 200 gigawatt heures qui devrait être multipliée par six d’ici 2028…

Par ailleurs, certaines des plus importantes réserves de matières premières nécessaires à la fabrication des batteries lithium ion se trouvent dans des Etats dits défaillants comme la République Démocratique du Congo. La RDC détient dans son sous-sol une grande part des ressources en cobalt de la planète.

Risque financier. Une conséquence du remplacement des véhicules thermiques par des véhicules électriques ou à hydrogène sera de voir peu à peu disparaitre les recettes et les profits d’une industrie aussi puissante, la première au monde, que l’industrie pétrolière. Cela pourrait représenter, selon E3G, une perte de 19 000 milliards de dollars pour les seuls Etats-Unis d’ici à 2040. Ce qui ne serait pas sans conséquences sur les marchés financiers et les fonds d’investissement.

La rédaction