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Autoroute A43 wikimedia commons

Les Français ne veulent plus payer les péages autoroutiers


Nouvelle illustration de la difficulté grandissante pour les automobilistes à se déplacer, les Français délaissent les autoroutes pour ne plus avoir à payer les péages. C’est ce que montre un sondage réalisé le mois dernier par l’IFOP. Le péché originel remonte à la privatisation en 2006 des sociétés d’autoroute imposée envers et contre tout par Dominique de Villepin alors Premier ministre. Une décision catastrophique pour le contribuable, l’automobiliste et l’Etat. Dès 2009, la Cour des comptes jugeait que le prix de vente de 14,8 milliards d’euros était sous-évalué de 10 milliards… Et en 2014, l’Autorité de la concurrence dénonçait déjà la rentabilité hors norme des sociétés d’autoroute qui avaient mis la main sur une rente qui n’est justifiée ni par les risques pris, ni par les coûts supportés. Face aux tarifs exorbitants des péages, la seule réponse qu’il reste aujourd’hui aux automobilistes consiste à emprunter les nationales !

La fin de la civilisation automobile, voulue et orchestrée par les pouvoirs publics, devient réalité en dépit des résistances et parfois même des révoltes à l’image de celle des gilets jaunes il y a cinq ans. Dans les faits et les statistiques, l’utilisation de la voiture ne régresse pas vraiment, mais le coût de son achat, de son entretien et de son utilisation la rend de plus en plus inabordable. Sans parler de la stigmatisation des automobilistes considérés comme des « destructeurs » de la planète et de la qualité de l’air. Il faut ajouter à cela les restrictions de circulations grandissantes dans et autour des grandes villes, les fameuses zones à faible émission (ZFE), une assignation de fait à résidence de ceux ayant les véhicules les plus anciens, sans parler de la mutation à marche forcée vers la motorisation électrique.

Un indice de la transformation en cours est donné par un sondage réalisé le mois dernier par l’IFOP sur les Français et les autoroutes. Ainsi, pas moins de 65% des personnes interrogées n’empruntent plus ou moins souvent les autoroutes tant le coût des péages est devenu rédhibitoire. C’est le retour forcé aux chemins de traverse et la fin d’une époque où la vitesse de déplacement était synonyme de liberté et de désenclavement des territoires.

Un impôt déguisé

L’an dernier, les tarifs des péages ont augmenté en moyenne de 4,75%. Ils sont indexés à hauteur au moins de 70% sur l’inflation. Au cours des dix dernières années, l’augmentation des péages frôle les 20%, un niveau très largement supérieur à ce qui était prévu parce que l’Etat impécunieux n’a pas les moyens de financer des investissements dans la modernisation du réseau existant. Il confie donc cela aux sociétés d’autoroute en faisant payer les usagers. Un impôt déguisé. Lorsque les sociétés d’autoroute financent une troisième voie, un mur antibruit ou un nouvel échangeur, elles concluent un contrat de plan avec l’État. Ce contrat prévoit des hausses de tarifs supérieures aux 70% du taux de l’inflation. Un système pervers déjà dénoncé en 2017 par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières qui estimait que les hausses de tarifs, liées aux plans d’investissements, excédaient « le juste niveau qu’il serait légitime de faire supporter aux usagers ».

Et cela ne devrait pas s’arrêter là. Il y a près de 18 milliards d’euros d’investissement à réaliser d’ici 2050. Des travaux qui seront compensés soit par une augmentation de la durée des concessions, soit par de nouvelles hausses des tarifs de péages…

Une logique d’égalité et d’aménagement du territoire

Enfin, les automobilistes ont également payé au cours des dernières années le gel des tarifs décidé en 2015 après une intervention tonitruante par Ségolène Royale alors ministre de l’Ecologie et donc des Transports. Mais le remède a été pire que le mal car les sociétés d’autoroute ayant droit par contrat à ces augmentations, les hausses ont donc été reportées entre 2019 à 2023…

Ce serait une erreur, souvent commise par les écologistes, de considérer que les autoroutes sont seulement des rubans d’asphalte. Elles avaient et ont toujours vocation à aménager et désenclaver le territoire et même à promouvoir une certaine forme d’égalité. Une loi de 1995 stipule que « tout territoire doit se trouver à moins de 50 kilomètres (ou quarante-cinq minutes) d’un échangeur autoroutier ». On en est très loin aujourd’hui et ce modèle autoroutier a en fait volé en éclat depuis la privatisation en 2006 des sociétés d’autoroute. Il est en outre violemment contesté par les mouvements écologistes. Ils s’opposent ainsi aujourd’hui, par exemple, au projet d’A69, un tronçon de 53 kilomètres entre Toulouse et Castres.

La symbolique des péages est aussi un sujet socialement et politiquement particulièrement sensible. Ils ont été une des cibles favorites des gilets jaunes en 2018 et sous la forme des portiques de l’écotaxe des bonnets rouges en 2013. Une bombe sociale en puissance selon Jérôme Fourquet, directeur du département « Opinion et stratégies d’entreprise » de l’IFOP qui expliquait au Parisien il y a quelques semaines que « la barrière de péage est devenue une barrière sociale… ».

Une privatisation imposée par Dominique de Villepin

En remontant plus loin dans le temps, on peut même faire un parallèle avec l’octroi. Une taxe perçue en France à l’entrée de toutes les villes qui en chassait de fait les paysans pauvres jusqu’à ce que la Révolution française l’abolisse. Il ne faut pas perdre de vue les leçons de l’histoire. Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1789, quelques heures avant la prise de la Bastille, la foule parisienne avait commencé par mettre le feu aux barrières d’octroi…

Pour en revenir aux autoroutes, le mal remonte en fait à la privatisation des sociétés d’autoroute en 2006 voulue envers et contre tout par Dominique de Villepin alors Premier ministre. Une décision catastrophique pour le contribuable, l’automobiliste et l’Etat. C’est l’Autorité de la concurrence qui l’affirmait déjà dans un avis rendu public en 2014… Le constat était sans appel et mettait en avant la « rentabilité exceptionnelle » des sociétés d’autoroute… Une rente qui n’est justifiée ni par les risques pris, ni par les coûts supportés. Les sociétés d’autoroute sont tout simplement en situation de monopole et l’Etat ne s’est même pas donné les moyens juridiques d’encadrer leur gestion.

Un prix de vente considérablement sous-évalué

Les sociétés d’autoroutes sont au nombre de sept. L’État a commencé à céder une partie de ses participations dès 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin. En 2002, la question de la privatisation totale est posée. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin s’y oppose. En 2005, il est remplacé par Dominique de Villepin, qui n’y voit aucune objection… au contraire. En 2006, l’État vend donc en totalité les sociétés d’autoroute aux groupes Vinci, Eiffage et Abertis pour la somme de 14,8 milliards d’euros. Une somme jugée en 2009, quatre ans plus tard, sous-évaluée de 10 milliards d’euros par la Cour des comptes.

Au moment de leur privatisation, les principales autoroutes avaient été construites depuis 25 à 30 ans, étaient amorties et les concessions devenaient très rentables. L’Etat s’est séparé de ses sociétés au plus mauvais moment. « Si l’État était resté actionnaire majoritaire, il aurait à ce moment-là commencé à toucher les dividendes que touchent aujourd’hui les sociétés privées et qui lui auraient permis de financer les infrastructures routières », affirme Laurent Hecquet qui dirige l’Observatoire des experts de la mobilité.

Depuis 2012, l’État a pourtant la possibilité, pour un motif d’intérêt général, de racheter les contrats de concession. C’est une opération coûteuse mais qui serait bénéfique estimait Laurent Hecquet : « cela peut coûter entre 30 et 40 milliards d’euros. Mais c’est une somme que l’État versera sur le long terme. Il n’aura pas vraiment de problème pour trouver cet argent sur les marchés financiers. Et ce n’est pas de l’argent public, car cet argent emprunté ne sera pas remboursé par l’impôt mais par le péage. Un vrai investissement ». Mais il faudrait pour cela affronter les grands groupes de BTP qui réalisent une grande partie de leurs profits grâce aux concessions autoroutières. Difficile à imaginer.

La rédaction