La Commission européenne avec l’approbation des gouvernements et du Parlement européen a décidé d’imposer aux constructeurs automobiles la fin de la vente de véhicules neufs à motorisation thermique d’ici 2035. Une mesure entérinée le 8 juin 2022 par un vote majoritaire des députés européens. Lors de cette décision présentée à la fois comme une avancée majeure en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour l’industrie automobile européenne, qui allait entrer dans une nouvelle ère, très peu de voix s’étaient élevées pour s’interroger sur la faisabilité d’une telle décision et ses conséquences économiques et sociales. Les politiques avaient fait preuve alors d’une incroyable irresponsabilité en ne cherchant même pas à mesurer si l’Europe avait les ressources, notamment en matières premières, pour fabriquer les batteries et les compétences technologiques pour s’imposer dans cette technologie. Et pire encore, personne n’avait pris la peine d’étudier les conséquences éventuelles pour une industrie essentielle pour le continent.
Trois ans plus tard, le principe de réalité a rattrapé les dirigeants européens et surtout nationaux et les groupes automobiles. D’un côté la demande n’est pas du tout au rendez-vous et est étroitement liée au niveau des subventions et des aides et de l’autre, les constructeurs automobiles européens en dépit d’investissements massifs sont incapables de lutter contre leurs concurrents chinois et américains en termes de technologie et surtout de coûts de fabrication.
Passer des primo-adoptants à la grande masse des consommateurs
L’industrie automobile européenne, l’une des rares qui était compétitive à l’échelle planétaire et même qui possédait une certaine supériorité technologique, a perdu tous ses avantages et se trouve aujourd’hui dans une situation périlleuse.
Quant à la demande de véhicules électriques, elle se heurte dans la plupart des pays européens à un mur et stagne autour de 20% des achats dans un marché qui se rétracte. Tout cela est d’abord lié au coût élevé des voitures. En Europe en 2024, le prix moyen d’une voiture électrique vendue était de 63.000 euros, contre 37.000 euros en moyenne pour un véhicule thermique. Mais il n’y a pas que cela. Le problème tient à la diffusion des innovations théorisée par le sociologue américain Everett Rodgers dans un texte fondateur publié en 1962 et intitulé justement Diffusion des innovations. Il explique qu’il y a une étape essentielle à franchir, passer des « early adopters » (primo-adoptants) à la grande masse des consommateurs. Et pour l’instant, elle n’a été franchie dans aucun marché automobile européen à l’exception de celui de la Norvège du fait d’aides et de subventions massives, financées notamment par les exportations, tout aussi massives, de gaz et de pétrole du pays…
73% des Français sont hostiles ou réticents à la voiture électrique
Everett Rodgers définit cinq types d’acteurs face à l’innovation. Les férus de technologie, les primo- adoptants, la majorité précoce, les suiveurs et enfin les retardataires. En fonction des technologies, ses étapes peuvent être franchies plus ou moins rapidement. Les exemples abondent du réfrigérateur à la machine à laver la vaisselle en passant par le téléphone portable évolué (smartphone) ou l’ordinateur individuel.
Dans le cas de la voiture électrique, la situation actuelle est assez bien décrite par une enquête publiée au début de l’année par la Plateforme automobile et intitulée « Les Français et la voiture électrique ». En tout, 73% des sondés par le CSA se retrouvent dans des catégories hostiles et réticentes à la voiture électrique qualifiées « d’électro-allergiques » (11%) « d’électro-sceptiques » (37%) et « d’électro-prudents » (25%). Seules 16% des personnes interrogées étaient « électro-enthousiastes ».
Le chancelier allemand veut un report de la date de 2035
Une situation qu’on retrouve presque à l’identique dans de nombreux pays européens. Pas étonnant alors si le chancelier allemand Friedrich Merz a plaidé le 7 octobre pour un report au-delà de 2035 de l’arrêt de la commercialisation des voitures thermiques neuves en Europe. A l’occasion d’une interview accordée à la chaîne NTV, Friedrich Merz a déclaré qu’il ne voulait pas que son pays figure parmi ceux qui soutiennent cette « mauvaise interdiction ». Huit cent mille emplois directs sont concernés outre-Rhin. Et l’Association des constructeurs européens, l’ACEA, a renchéri le 8 octobre en demandant à la Commission européenne de revoir des décisions « fondées sur des bases obsolètes et des hypothèses optimistes ».
Les ventes de voitures européennes ont baissé de 17% entre 2000 et 2025 tandis que les ventes de véhicules chinois ont été multipliées par 10 depuis 2010. La Chine est devenue depuis 2023 le premier pays exportateur automobile au monde devant le Japon et l’Allemagne. En 2024, Volkswagen a déclaré qu’il lui manquait plus de 500.000 ventes annuelles pour remplir ses objectifs. Trente-cinq mille postes vont être supprimés d’ici 2030 et plusieurs usines sont menacées. Début septembre, Ford a fait savoir qu’il allait supprimer jusqu’à 1.000 postes dans son usine de Cologne, tandis que Stellantis va mettre des milliers d’employés en chômage partiel à travers l’Europe, faute toujours de ventes suffisantes.
Il y a urgence
En France, les ventes de véhicules neufs ont chuté de 12% au printemps 2025 par rapport à 2024, une année déjà très médiocre. Et dans ce marché déprimé, les ventes de véhicules 100% électriques sont elles aussi très inférieurs aux prévisions. L’électrique a représenté 15,8 % du marché automobile européen en 2024 au lieu des 20 à 25% qui auraient peut-être permis de s’approcher des objectifs de 2035.
Enterrer trop rapidement le thermique pourrait revenir à accepter la disparition pure et simple de plusieurs constructeurs européens. Une clause de revoyure sur l’obligation de cesser toute vente de véhicule thermique neuf en 2035 est prévue pour 2026. Mais il y a urgence. C’est en tout cas ce que disent tous les constructeurs allemands et leur gouvernement.