Transitions & Energies
Investissement Vert

Les errements du fonds européen pour l’innovation doté de 40 milliards d’euros


Cela devrait être un des éléments clés de la stratégie de transition énergétique européenne, le fameux nouveau pacte vert (Green new deal) cher à Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission européenne. Un fonds pour l’innovation doté de 40 milliards d’euros afin de soutenir et promouvoir les technologies de la décarbonation. Il est aussi devenu, plus récemment, un instrument pour empêcher les industriels européens de céder aux sirènes des subventions massives américaines résultant de la fameuse loi IRA (Inflation Reduction Act). Résultat depuis son lancement il y a quatre ans, une multitude d’investissements contestables et d’échecs… listés par l’agence Bloomberg…

La conception même de la stratégie de transition énergétique européenne est problématique. Une étude de l’Ifri (Institut français des relations internationales) publiée il y a quelques jours montrait qu’elle pouvait conduire à une désintégration de l’Union Européenne. Elle impose depuis plusieurs années un modèle, celui de l’Allemagne et du tout renouvelable, qui est en échec. Elle a choisi des technologies qui mettent en grand danger l’avenir et la compétitivité de l’industrie européenne, notamment les véhicules électriques à batteries, et apportent des gains limités en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle rejette d’autres technologies, le nucléaire ou la capture du carbone, pour des raisons purement idéologiques. Et elle se donne des objectifs de décarbonation totalement irréalistes qui appauvrissent les populations et ont de sévères conséquences sociales et politiques.

L’exécution est aussi défaillante

Non seulement la conception et le modèle du nouveau pacte vert (New Green Deal) imposé par la Commission européenne sont plus que contestables, mais l’exécution même est défaillante. Un exemple édifiant est donné par le Fonds européen pour l’innovation lancé il y a quatre ans et doté de pas moins de 40 milliards d’euros. C’est un élément important du New Green Deal. Il a pour vocation de soutenir l’investissement dans les innovations technologiques permettant d’accélérer la décarbonation. Et c’est aussi devenu, plus récemment, un instrument visant à empêcher les industriels européens de céder aux sirènes des subventions massives américaines de la loi IRA (Inflation Reduction Act).

Ce fonds est d’autant plus indispensable que « jusqu’à aujourd’hui l’Europe décarbonise essentiellement en désindustrialisant » explique Ann Mettler, vice-présidente pour l’Europe de Breakthrough Energy, un consortium d’organisations à but non lucratif et de fonds de capital-risque soutenus par Bill Gates, qui investit dans les technologies vertes.

Problème, comme le souligne l’agence Bloomberg, le fonds pour l’innovation accumule les échecs. En investissement dans un fabricant de panneaux solaires qui licencie à tour de bras… dans un constructeur de batteries qui a finalement délaissé l’Europe pour aller chercher des subventions américaines… ou dans un projet d’hydrogène vert à l’arrêt faute d’électricité….

Les projets manufacturiers sont parmi ceux qui ont rencontré le plus de difficultés. Le fonds a versé au moins trois quarts de milliard d’euros à des fabricants, dont la moitié ont annoncé leur intention de fermer leurs portes, de licencier du personnel ou d’interrompre complètement les projets, selon une analyse des projets réalisée par Bloomberg Green.

L’irrésistible attrait des subventions américaines

Ainsi, Freyr Battery a obtenu une subvention de 100 millions d’euros pour son projet Giga Arctic en Norvège. Mais la société a changé d’avis et annoncé à la fin de l’année dernière qu’elle limitait les investissements dans ce projet afin de concentrer ses moyens sur son développement aux États-Unis.

Parmi les subventions les plus importantes accordées à ce jour, il y a celles apportées au fabricant suisse de panneaux solaires Meyer Burger Technology. Il a reçu 200 millions d’euros pour construire de nouveaux sites de production en Allemagne et en Espagne. Mais confrontée à une concurrence chinoise contre laquelle elle ne peut lutter, l’entreprise a annoncé son intention de fermer un site de production en Allemagne et de réorienter ses activités… aux États-Unis. Il faut dire que l’UE a délibérément choisi de sacrifier ce qu’il reste d’industrie solaire en Europe pour pouvoir s’équiper avec des panneaux chinois à prix cassés.

On en voit les conséquences avec un autre fabricant d’équipements solaires, le Suédois Midsummer. Il s’est vu attribuer plus de 30 millions d’euros pour une initiative connue sous le nom de projet DAWN, visant à construire une usine qui produira un panneau solaire fin et léger pour les toits. Mais l’entreprise est contrainte de tout arrêter, de licencier et réduire ses coûts de fonctionnement par tous les moyens après avoir enregistré l’an dernier une perte de plus de 200 millions de couronnes suédoises (plus de 17 millions d’euros).

Le solaire et aussi l’hydrogène

Il n’y a pas que le solaire à connaître des difficultés, c’est aussi le cas de la filière hydrogène naissante. Des milliards d’euros ont beau être promis aux acteurs industriels, les projets sont difficiles à concrétiser. La filière est confrontée à la difficulté de construire un écosystème associant la production d’hydrogène vert ou décarboné à des coûts acceptables et des acheteurs et utilisateurs dans l’industrie et les transports de ce combustible.

Les projets liés à la production et l’utilisation d’hydrogène décarboné représentent plus d’un quart des sommes allouées par le Fonds pour l’innovation. Mais la technologie ne s’avère pas aussi facile à développer et compétitive qu’on pouvait l’espérer. C’est le cas, par exemple, d’un projet de l’entreprise allemande de services collectifs Uniper visant à produire de l’hydrogène vert sur un site situé à Rotterdam aux Pays-Bas. L’emplacement est idéal, proche des principaux utilisateurs industriels et situé directement sur la côte, ce qui lui donne un accès facile à l’électricité décarbonée provenant des parcs éoliens marin de la mer du Nord.

Mais la flambée des coûts de l’électricité, de la main-d’œuvre et des coûts de financement au cours des dernières années a rendu l’hydrogène vert encore plus cher, ce qui a découragé bon nombre de clients industriels potentiels. Uniper s’est également trouvé dans l’impossibilité de signer un contrat garantissant la fourniture d’électricité avec un nouveau parc éolien marin afin de répondre aux exigences du Fonds pour l’innovation. Uniper a finalement remboursé la subvention reçue. C’est aussi le cas pour un projet visant à associer la production d’hydrogène au Portugal, via un parc solaire, à une demande industrielle en Europe du Nord. Le transport de l’hydrogène était bien trop coûteux.

Autre échec, celui du groupe allemand Iqony qui a reçu 49 millions d’euros pour construire une installation près de Düsseldorf produisant de l’hydrogène en utilisant l’électricité d’un parc éolien en mer du Nord. Elle est confrontée aux mêmes problèmes qu’Uniper. Il lui est impossible de signer un contrat avec un parc éolien lui garantissant la fourniture d’électricité décarbonée.

Ces exemples d’échecs ne veulent pas dire qu’il ne faut pas financer l’innovation pour décarboner les activités industrielles et les transports et que les subventions ne sont pas indispensables pour permettre aux nouvelles filières de devenir compétitives. Mais cela signifie qu’il s’agit de processus longs et qui ne se décrètent pas par une administration. Les choix des technologies et des modèles économiques ne peuvent pas être laissés à des technocrates qui prennent des décisions politiques voire idéologiques et n’ont souvent aucun sens des réalités industrielles.

La rédaction