Transitions & Energies
Paris Champs Elysées Wikimedia Commons

Douze millions de voitures bientôt interdites dans les métropoles. Pourquoi?


Les zones de faibles émissions ou ZFE vont se multiplier en France d’ici à 2024. Elles ont pour objet d’interdire la circulation des véhicules les plus anciens qui sont à la fois les plus polluants (particules fines et dioxyde d’azote) et les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Le problème est que la circulation automobile ne joue qu’un rôle relativement limité dans la pollution atmosphérique. Ce qu’ont démontré les expériences en grandeur réelle de baisse de la circulation qu’ont été les deux périodes de confinement de l’année 2020. Il y a eu à chaque fois des pics de pollution en région parisienne! Mais il est facile, et sans doute électoralement payant, de s’attaquer à l’automobile. Même si cela ne règle pas vraiment les problèmes de pollution atmosphérique et contribue à creuser le fossé entre la France des grandes villes et la France périphérique.

Les grandes villes françaises vont devenir dans les trois prochaines années, d’ici à 2024, des ZFE ou zones à faibles émissions. Cela reviendra à interdire de circulation dans les métropoles les véhicules les plus anciens. Ce qui représente 12 millions de voitures. La multiplication des zones à faibles émissions est un des éléments importants du projet de loi Climat et résilience en cours d’examen à l’Assemblée nationale. L’objectif poursuivi n’est pas contestable, réduire la pollution atmosphérique dans les grandes agglomérations et les émissions de gaz à effet de serre. Le problème est que l’efficacité de la mesure s’annonce très limitée et ses conséquences sociales et économiques s’annoncent lourdes. Mais la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a fait de la création de «45 zones à faibles émissions en France», une question de principe. Edouard Philippe, alors Premier ministre, en avait fait de même avec la limitation à 80 kilomètres heure au lieu de 90 kilomètres heure de la vitesse maximale sur les routes secondaires. Une décision qui avait notamment contribué à créer le mouvement des gilets jaunes.

Des pics de pollution pendant les confinements

Il existe déjà aujourd’hui 3 ZFE, Grenoble-Alpes, le Grand-Paris, le Grand Lyon et d’autres qui verront le jour dès cette année: le Grand Nancy, Aix-Marseille-Provence, Toulouse, Montpellier Méditerranée, Toulon-Provence-Méditerranée, et Rouen Normandie. Ces zones utilisent le dispositif des vignettes Crit’Air pour écarter de la circulation, en semaine de 8 heures à 20 heures, les véhicules jugés les plus polluants. C’est le cas actuellement à Paris pour les véhicules Crit’Air 4 et 5.

«D’ici quatre ans, on aura baissé, par exemple à Paris, de 40% la pollution de l’air. Cela va permettre à des personnes enfin de ne plus souffrir des bronches, il y a 48.000 personnes qui meurent chaque année à cause de la pollution de l’air, c’est la deuxième forme de mort évitable en France», a affirmé, très imprudemment, Barbara Pompili.

Il sera d’abord presque impossible de faire baisser la pollution de l’air de 40%. L’automobile dans son ensemble est à l’origine d’un pourcentage assez sensiblement inférieur à 40% de la pollution atmosphérique… La pollution la plus dommageable pour la santé est celle liées aux particules fines qui sont cancérogènes. Selon Airparif, les particules fines proviennent pour un tiers de la circulation automobile. Une étude d’Airparif qui remonte à 2017 montre même des chiffres inférieurs. En hiver et en automne, la contribution de l’automobile aux particules fines serait de 15% en Ile-de-France contre 25% en été. La plus importante source de ces fines poussières serait en fait le secteur résidentiel (46%). Il ne faut pas oublier également que les particules fines proviennent en grande partie du freinage et de l’abrasion des pneus des véhicules et cela quel que soit leur âge et leur type de motorisation…

La démonstration de l’impact relativement limité de la circulation sur la pollution atmosphérique a été faite en grandeur réelle pendant les confinements de 2020. Il y a eu trois pics de pollution aux particules fines l’an dernier dans la région parisienne, dont deux pendant les confinements marqués pourtant par des baisses sensibles de la circulation routière. Le premier le 28 mars, le second les 26 et 27 novembre… Si les émissions de dioxyde d’azote semblent elles bien évoluer en corrélation avec le niveau de circulation automobile, il n’en est rien des particules fines. Le dioxyde d’azote proviendrait à Paris pour 61% de la circulation automobile. Et sa quantité dans l’atmosphère parisienne a bien diminué pendant le premier confinement de 28% en mars, 48% en avril et 44% en mai.

Le problème est que si le dioxyde d’azote est nocif pour la santé, il présente rarement un seuil critique… contrairement aux particules fines. La concentration dans l’air de dioxyde d’azote n’a déclenché le «seuil d’information» en Ile-de-France que seulement deux fois depuis 2015 contre 39 fois pour les particules fines…

Légende urbaine

L’autre sérieux problème avec les déclarations de Barbara Pompili tient au chiffre sans cesse répété de 48.000 morts par an en France lié à la pollution de l’air. Il s’agit d’une légende urbaine. En France, en 2017, ce sont 31.815 personnes qui sont mortes d’un cancer des voies respiratoires et 10.540 de maladies chroniques des voies respiratoires. La première origine de ces décès est le tabac… Le chiffre de 48.000 morts prématurés provient d’un rapport bâclé réalisé en 2015 par Santé publique France. Il ne dit rien des causes précises des décès prématurés. Il s’agit d’une extrapolation, contestée par de nombreux experts, de l’exposition de l’ensemble de la population aux risques liés à la pollution atmosphérique. Sans tenir compte de l’exposition, par exemple, au tabac et en supposant que l’air respiré dans le pays serait celui des 5% de communes où il est le plus pur. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) parvenait avec d’autres méthodes statistiques à 28.000 décès prématurés…

Cela ne signifie évidemment pas que les véhicules n’émettent pas de particules fines et d’oxyde d’azote et qu’ils ne contribuent pas ainsi à dégrader l’atmosphère, notamment des métropoles. Mais stigmatiser uniquement l’automobile revient à tromper l’opinion. Cela ne permet pas d’améliorer grandement la qualité de l’air et la santé des personnes victimes de la pollution atmosphérique. Mais cela permet de faire semblant de s’attaquer courageusement aux pollueurs et  de montrer sa fibre écologiste… Au passage, cela permettra aussi de récupérer des recettes provenant des amendes.

Des amendes et de la vidéoverbalisation

Car pour empêcher les propriétaires de voitures jugées trop polluantes de rouler dans les zones interdites, il leur sera infligé une amende de 68 euros pour les voitures et les deux-roues, et de 135 euros pour les poids-lourds, bus et autocars. Et il sera difficile d’y échapper. Le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari a prévenu que la vidéoverbalisation pourrait être mise en place d’ici la fin de l’année. Le fichier des immatriculations étant lié à celui des cartes-grises, il sera simple de déterminer si une voiture a le droit ou non de rouler dans un territoire donné.

Ces sanctions existent déjà à Paris. Anne Hidalgo, la maire de la capitale, a mis en place des interdictions permanentes de circuler depuis 2016 avec le système Crit’Air, à commencer par les voitures sans vignettes, dont la première immatriculation remonte avant 1997. L’interdiction a été étendue en 2017 aux Crit’Air 5 (Diesel d’avant 2001) et en 2019 aux Crit’Air 4 (Diesel d’avant 2006). En juin, la métropole du Grand Paris, dans le périmètre délimité par l’A86 (non-inclue), passera au même niveau d’interdiction que la ville de Paris.

Et ce n’est qu’un début. En 2022, le Grand Paris passera à l’interdiction des Crit’Air 3 (essence d’avant 2006, Diesel d’avant 2011) et à partir de 2024 des Crit’Air 2 (essence d’avant 2011 et les Diesel depuis 2011). Interdire les vignettes Crit’Air 2 reviendra à interdire de fait la circulation de toutes les voitures particulières roulant au gazole. Il est très vraisemblable que l’interdiction de circulation des Crit’Air 3 concerne l’ensemble des ZFE à partir de 2025. En l’état actuel du parc automobile, le nombre de véhicules concernés représenterait 43% du total, un peu plus de 17 millions de véhicules.

En prenant en compte le renouvellement naturel du parc automobile, le site autoactu.com estime qu’une interdiction de circulation des vignettes Crit’Air 3 et antérieures à partir de 2025 pourrait affecter alors 11,9 millions de véhicules (9,2 millions de Diesel et 2,7 millions de véhicules essence), soit 28,5% des 41,7 millions de véhicules particuliers immatriculés en France. Une partie de la population de la France périphérique serait ainsi et en quelque sorte chassée des métropoles. Pour des gains en matière de pollution qui resteraient limités. Cela ne manquerait pas de poser des problèmes politiques.

La transition énergétique n’a une chance de réussir que si elle est comprise et acceptée par une grande partie de la population. Elle ne se fera pas contre elle… à moins de vivre sous un régime autoritaire. S’aliéner une partie des Français pour un gain plus que minime est-il une bonne stratégie?

La rédaction