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Le démantèlement total et final de l’unique réacteur nucléaire installé en Bretagne, celui de Brennilis, va enfin commencer


Utilisant une technologie aujourd’hui abandonnée, dite gaz-eau lourde, le réacteur de Brennilis dans le Finistère a été mis à l’arrêt en 1985. Et son démantèlement total et final, retardé par des procédures juridiques de l’association «Sortit du Nucléaire», va enfin commencer. Le décret a été signé le 29 septembre. Cette opération qui s’achèvera en 2041 servira de banc d’essai à EDF pour les démantèlements futurs. Seront notamment testées des technologies faisant appel à des moyens robotisés.

Top départ et cette fois le bon au démantèlement de l’unique réacteur nucléaire breton jamais construit. Lancé par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) en 1962, le projet «EL4» pour «Eau Lourde n°4», visait à construire une centrale expérimentale utilisant la technologie dite gaz-eau lourde. C’est alors le site de Brennilis, sur les Monts d’Arrée dans le Finistère, qui fut choisi pour l’accueillir. En 1967, ce petit réacteur de 75 mégawatts (voir la photographie ci-dessus) est raccordé au réseau. Son fonctionnement particulier fait qu’il utilise de l’uranium naturel (non enrichi) comme combustible, de l’eau lourde comme modérateur et un refroidissement au gaz carbonique.

Connue pour avoir été la cible en 1975 et 1979 d’un double attentat à l’explosif par des indépendantistes bretons, la centrale produira pourtant de l’électricité pendant presque deux décennies, malgré l’abandon de la filière baptisée HWGCR (en anglais Heavy Water Gas Cooled Reactor) et le choix des réacteurs à eau pressurisé qui constituent aujourd’hui la totalité du parc de 56 réacteurs en service en France.

En 1985, la centrale est définitivement mise à l’arrêt. Débute alors immédiatement la phase préalable au démantèlement, visant à décharger le combustible nucléaire ainsi que vidanger l’ensemble des circuits afin de faire baisser la dosimétrie.

La troisième phase, celle du démantèlement total et final, enfin lancée

Il faudra ensuite attendre dix ans pour qu’en 1995 commence une première enquête publique visant à valider une deuxième phase, celle d’un démantèlement partiel. Elle visait à décontaminer et déconstruire les bâtiments non nucléaires, évacuer l’ensemble des déchets nucléaires restants sur le site ainsi que confiner le bâtiment réacteur en attendant un démantèlement total.

La troisième phase aujourd’hui lancée de démantèlement total a fait l’objet de controverses et de sérieux retards. La solution d’attendre 40 années supplémentaires, afin de laisser le temps à la radioactivité de baisser au cœur du réacteur, a été vite évacuée au profit d’un démantèlement immédiat des équipements restants en faisant appel à des moyens robotisés pour limiter l’exposition des salariés.

Un premier décret autorisant ce démantèlement a été signé début 2006 par le Premier ministre d’alors, Dominique de Villepin. L’objectif d’EDF étant d’en faire la première centrale nucléaire intégralement démantelée, afin d’acquérir de servir de banc d’essai et d’acquérir l’expérience et les compétences pour s’occuper ensuite du démantèlement total de l’ensemble du parc nucléaire de première génération qui est à l’arrêt depuis de nombreuses années.

Les recours juridiques de «Sortir du Nucléaire» ont retardé le démantèlement pendant de nombreuses années

Mais le calendrier initial de démantèlement a été fortement retardé à la suite d’un conflit juridique avec le réseau «Sortir du Nucléaire» qui a débouché en 2007 sur l’annulation du décret de 2006. Une obligation européenne n’avait tout simplement pas été traduite en droit français. Elle exige la mise à disposition du public de l’étude d’impact préalable, ce qui n’avait pas été fait. L’ensemble des opérations ont donc dû s’arrêter immédiatement, y compris celles de la deuxième phase en cours.

La procédure a donc dû être reprise à zéro et une nouvelle enquête publique organisée en 2009. Un nouveau décret autorisant la fin du démantèlement partiel a été publié en 2011. Cette deuxième phase a été terminée en 2018. Restait donc la troisième et dernière phase, le démantèlement total et la restitution du site à l’état antérieur à la construction, intégralement dépollué.

Le décret définitif signé le 29 septembre 2023

Celle-ci va pouvoir enfin être lancée après la signature ce vendredi 29 septembre du décret autorisant EDF à entamer cette ultime étape qui devrait s’achever en 2041, à la fin de 60 années de travaux et surtout de formalités administratives et judiciaires. Mais le site de Brennilis n’abrite pas seulement une installation nucléaire. Il accueille aussi 3 turbines à combustion au fioul, unités que l’on appelle «de pointe» appelées à la rescousse en cas de forte sollicitation du réseau électrique ou de besoins d’équilibrage du réseau (en moyenne une centaine d’heures par an).

Ces unités thermiques sont d’autant plus nécessaires que la Bretagne souffre d’un profond déséquilibre entre sa production et sa consommation électrique. Ne possédant aucune capacité nucléaire, la production locale est la plupart du temps largement inférieure à la consommation.

Mais peut-être un jour des SMRs à Brennilis…

La vocation nucléaire de Brennilis ne s’éteindra donc pas forcément dans une vingtaine d’années. Le site, propriété d’EDF, pourrait être pertinent non pas pour des réacteurs de forte puissance (la source d’eau froide servant au refroidissement serait vraisemblablement insuffisante), mais pourrait convenir à l’installation de SMRs (smalls modular réactors) ou petits réacteurs modulables. La France a le projet de se doter de petits réacteurs au début des années 2030.

Alors, SMR à l’uranium (comme le projet Nuward), ou SMR de quatrième génération surgénérateurs (comme les projets Hexana ou Stellaria) ? La question mérite d’être posée et pourrait faire revivre l’aventure nucléaire sur les Monts d’Arrées. Brennilis entame donc son ultime voyage avant de disparaître définitivement, mais pourrait aussi renaître de ses cendres.

Philippe Thomazo

La rédaction