Transitions & Energies
Fils de cuivre Wikimedia Commons

Le cuivre a déjà transformé le monde et va encore le faire


Non seulement le cuivre est un métal indispensable à la vie moderne, à la production et distribution d’électricité, à l’éclairage, aux télécommunications… mais il est tout aussi indispensable à la transition énergétique. Il pourrait bien être le pétrole de la transition avec tout ce que cela implique de conflits économiques et géopolitiques pour avoir accès à cette précieuse ressource.

Le cuivre est tout autour de nous. Ce métal est à la fois omniprésent et invisible dans notre monde. Le cuivre rend possible le fait de lire cet article sur un écran. Et la diffusion à l’échelle mondiale de la lumière artificielle, de l’électricité et des télécommunications nécessite une quantité toujours plus grande de cuivre.

D’où le cuivre vient-il ? Comment a-t-il été produit, distribué, contrôlé et commercialisé à une échelle toujours plus grande ? Ce sont des questions parmi d’autres auxquelles répond un livre récemment publié: Born with a Copper Spoon: A Global History of Copper (Né avec une cuillère en cuivre: une histoire mondiale du cuivre).

Ce livre est une étude mondiale d’un métal qui a transformé la planète. Les auteurs ont couvert l’Amérique du nord, l’Amérique latine, l’Europe, l’Afrique centrale, le Moyen-Orient, l’Asie de l’Est, l’Océanie du début du XIXème siècle au début du XXIème siècle.

Pourquoi ses questions sont importantes ? A cause de l’omniprésence du cuivre et parce que la guérison du monde de sa dépendance aux énergies fossiles peut provoquer une nouvelle dépendance à une nouvelle économie construite sur les minéraux.

L’électrification, le pilier de la transition verte, nécessite des quantités considérables de cuivre. Les prévisions sont d’un doublement de la consommation d’ici 2035 pour atteindre l’objectif de zéro émissions nettes. Et face à la tâche considérable de l’électrification, la part du secteur de l’énergie dans la consommation de cuivre va atteindre 40% dans les deux prochaines décennies.

Il y a d’autres questions majeures parce que les pays qui ont des ressources de cuivre abondantes n’en ont pas vraiment bénéficié. La Zambie en est un bon exemple. Elle produit 6% du cuivre mondial et est pourtant l’un des pays les plus pauvres au monde.

Naître avec une cuillère en cuivre nécessite de penser différemment à nos vies matérielles, aux énergies que nous utilisons et de nous intéresser aux endroits où nos minéraux sont réellement produits et à la façon dont leur production et leur distribution sont organisées.

Le prochain monde du cuivre sera-t-il finalement une bénédiction tant attendue pour ceux qui possèdent les ressources, ou une nouvelle ruée mondiale dans laquelle les États et les entreprises chercheront avant tout à sécuriser l’accès au métal précieux. Le cuivre est associé à l’idée d’une malédiction pour de nombreuses personnes. Le premier président de la Zambie, Kenneth Kaunda, faisait remarquer un jour que son pays « paye le prix pour être né avec une cuillère de cuivre dans la bouche ». Il savait trop bien que l’abondance de cuivre avait provoqué une foule de problèmes à la Zambie.

Les «mondes du cuivre»

Notre livre est consacré aux différents «Mondes du cuivre» qui sont nés depuis un siècle et demi. Le terme «monde du cuivre» a été inventé par les historiens britanniques Chris Evans et Olivia Saunders pour décrire un système mondial de production intégré qui reliait les fonderies du sud du Pays de Galles aux mines de cuivre du monde entier entre 1830 et 1870.

Nous le voyons comme le premier monde du cuivre. Il a été supplanté par un deuxième monde du cuivre centré sur les Etats-Unis. Cela s’est traduit par la montée en puissance et la domination des sociétés minières américaines en tant qu’énormes entreprises intégrées contrôlant la production, la transformation et la distribution de la marchandise. « De la mine au consommateur » était le slogan de la célèbre compagnie américaine d’extraction de cuivre Anaconda, active dans le Montana et au Chili. Le monde américain du cuivre était structuré par le contrôle de la chaîne de production grâce à l’utilisation de nouvelles organisations commerciales et technologies.

Les changements technologiques dans l’extraction et la production qui étaient littéralement révolutionnaires ont permis d’extraire et de traiter des quantités toujours plus grandes de cuivre. L’extraction à ciel ouvert a d’abord été développée en Amérique du Nord et s’est rapidement étendue à l’Amérique latine et à l’Afrique centrale, avec des conséquences environnementales souvent destructrices. Beaucoup de ces mines sont encore exploitées aujourd’hui.

Le monde américain du cuivre illustre à la fois la puissance des entreprises américaines et un modèle de contrôle des filières du cuivre qui a été ensuite copié avec empressement par les sociétés de cuivre non américaines. Ce modèle est devenu  mondial. Il a été appliqué au Japon, dans les empires européens qui contrôlaient la «Copperbelt» [ceinture de cuivre, région minière qui s’étend en Afrique de la Zambie à l’ancienne province du Katanga située en République Démocratique du Congo (RDC)] ainsi qu’en Amérique latine. Au milieu du XXe siècle, le monde américain du cuivre s’est désintégré pendant la décolonisation face à la réappropriation nationale des ressources et à une géographie changeante de la production.

Une vague de nationalisations par de nouveaux Etats a donné naissance à un monde postcolonial de cuivre, construit autour du pouvoir de l’État, de la souveraineté économique et de la coopération internationale entre pays. Les pays en développement considéraient le cuivre comme leur ticket pour le développement économique et la modernité. Le rêve associé au métal rouge fut pourtant de courte durée.

Le monde postcolonial du cuivre s’est effondré dans les années 1990 après une longue récession dans l’industrie. Les multinationales privées ont réaffirmées alors leur domination de l’industrie, mais les entreprises américaines et européennes n’ont jamais retrouvé leur position dominante d’autrefois. Chaque monde du cuivre a été marqué par plusieurs caractéristiques déterminantes : institutions sous-jacentes, organisations, pratiques de travail et lien avec des connexions et des interactions mondiales. Identifier et comprendre les mondes consécutifs du cuivre est crucial pour comprendre le développement de l’industrie mondiale du cuivre.

Notre transition énergétique actuelle pourrait annoncer un nouveau monde du cuivre. La demande renouvelée de cuivre intensifiera probablement l’activité minière en RDC, en Zambie et dans d’autres parties du continent africain et pourrait placer ses États dans une position de négociation plus forte.

La nécessité de penser différemment

Le statut du cuivre en tant qu’industrie mondiale a connu des hauts et des bas. L’histoire du métal n’est pas une histoire de connexions mondiales croissantes et dépendantes à mesure que nous nous dirigeons vers le présent. C’est aussi une histoire de déconnexions et d’efforts pour découpler les régions de l’économie mondiale. Notre livre est une contribution à l’histoire mondiale et l’histoire du cuivre qui est nécessairement mondiale. Car l’extraction, le raffinage, l’achat, l’expédition et la consommation du métal ont lieu dans le monde entier. Cependant, l’histoire mondiale ne se limite pas aux connexions.

Notre livre traite également des périodes de démondialisation et des tentatives de rupture des liens, en particulier au milieu du XXe siècle, lorsqu’une âpre lutte pour la propriété des ressources minérales a brièvement menacé un réalignement majeur de l’économie mondiale. En 1967, plusieurs des plus grands producteurs de cuivre du monde (Congo, Chili, Pérou et Zambie) se sont réunis à Lusaka pour établir un cartel du cuivre qui contrôlerait l’industrie et transformerait une abondance de ressources naturelles en croissance économique nationale. C’est une ambition qui doit encore être réalisée.

Duncan Money Researcher, Leiden University

Robrecht Declercq Postdoctoral Researcher , Ghent University

Cet article est republié à partir de The Conversation Canada (en anglais) sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.

 

La rédaction