Transitions & Energies

«Il est crucial d’investir massivement dans la formation et le recrutement»


Un entretien avec Guillaume Tarnaud. Ingénieur de formation, Guillaume Tarnaud est l’un des fondateurs du groupe Arverne, le grand spécialiste français de la géothermie. Après de nombreuses années à forer des puits à travers le monde pour le compte d’un grand groupe pétrolier français, il a pris les commandes, à la création d’Arverne il y a cinq ans, des activités de forage. Propos recueillis par Gil Mihaely. Article publié dans le numéro 18 du magazine Transitions & Energies.

-T&E Pouvez-vous présenter le groupe Arverne ?

G.T. C’est un jeune groupe industriel créé en 2018 par des professionnels du sous-sol avec l’ambition de devenir l’un des leaders de la géothermie, d’abord en France puis en Europe. Les fondateurs d’Arverne Group, pour la plupart issus de l’exploration et de la production pétrolière, ont choisi de mettre leurs compétences au service de ce projet résolument ancré dans la transition énergétique.

La géothermie, c’est la récupération d’une partie de la chaleur produite par le noyau terrestre via un ouvrage qu’on appelle le puits. Cette activité est divisée en deux domaines : la géothermie de faible profondeur ou de surface, matérialisée schématiquement pas des puits qui vont jusqu’à 200 mètres de profondeur, et la géothermie profonde avec des puits de 1 000 mètres à 4 à 5 km pour les plus profonds. La première donne accès à des ressources à basse température pour intégrer des solutions bas-carbone de chauffage ou de refroidissement pour des logements, des bureaux ou encore des bâtiments industriels, la seconde permet d’avoir accès à des températures de 70 °C à plusieurs centaines de degrés permettant un apport de calories à disposition de processus industriels ou, dans certains cas, permettant la production d’électricité.

Notre stratégie industrielle est de maîtriser les deux extrémités de la chaîne de création de valeur. Pour l’une, il s’agit des travaux de forage. Pour l’autre, il s’agit de la production et de la commercialisation de la ressource : des calories, bien sûr, mais également les minéraux dissous dans ces eaux géothermales lorsqu’ils sont d’intérêt, comme le lithium par exemple. C’est l’objet de Lithium de France, une de nos sociétés installées en Alsace.

Guillaume Tarnaud

-Où en est la géothermie en France aujourd’hui ?

-On l’ignore souvent mais la France est le leader européen de la géothermie en réseau de chaleur urbain ! Nous devons cette situation au bassin sédimentaire en Île-de-France et en particulier à la présence du Dogger, un aquifère souterrain chaud situé entre 1 600 et 2 000 mètres de profondeur. Cette ressource est exploitée au moyen de plusieurs dizaines de forages alimentant des réseaux de chaleur qui chauffent plusieurs dizaines de milliers de personnes en région parisienne par une solution bas-carbone complétement intégrée. A contrario, la géothermie de surface est encore sous-développée en France et très en deçà des larges développements qu’elle connaît depuis de nombreuses années en Suède, en Allemagne ou encore en Suisse pour ne citer qu’eux.

Globalement et jusqu’à maintenant, l’intégration de la géothermie au mix énergétique français reste timide et méconnue, en particulier au regard des autres solutions de production des énergies renouvelables, telles que le solaire et l’éolien. Aujourd’hui, nous avons enfin le vent en poupe après de longues années d’activité cyclique n’ayant pas permis à la filière de s’organiser pour faire face aux ambitions du Plan national géothermie annoncé par la ministre Agnès Pannier-Runacher en février 2023. En conséquence, nous sommes confrontés à une raréfaction des ressources humaines et des compétences. Il est crucial d’investir massivement dans la formation et le recrutement.

-Comment allez-vous faire face à ce défi ?

-Nous nous en donnons les moyens – capitaux, structuration et équipements. Le plus délicat reste l’accès à la ressource humaine, en nombre et en compétence. Aujourd’hui, les sociétés de forage détenus par Arverne Group représentent environ une centaine de collaborateurs. Nous serons plus de 300 en 2026.

En France, la géothermie de surface est dominée par de nombreuses TPE. Sauf exception, ces structures ne sont pas en mesure de répondre à la demande croissante de projets à fort volume. Pour cette activité et au cours des trois à cinq années à venir, nous estimons le besoin à plus d’une centaine d’ateliers (une machine et son équipe), c’est-à-dire, a minima, doubler la capacité de production de sondes géothermiques. Quand on parle d’un atelier de géothermie de surface, c’est deux à trois collaborateurs sur site, à quoi s’ajoute le back-office nécessaire pour leur permettre d’opérer. Cela représente plusieurs centaines de collaborateurs à recruter et à former d’ici 2026.

Pour la géothermie profonde, on parle d’autres profils et d’autres moyens matériels, bien plus lourds, à mettre en œuvre. Une cinquantaine de personnes aux métiers spécialisés, travaillant en cycle continu et nécessitant une quarantaine de semi-remorques et plusieurs grues pour une installation de site qui durera une bonne semaine, afin de livrer, in fine, un doublet (un puits producteur et un puits injecteur) de géothermie profonde à l’issue de plusieurs mois de travail. La capacité actuelle des acteurs français permet de construire moins d’une dizaine de doublets par an et nous constatons déjà une accélération des projets de géothermie profonde qui nécessitera, ici aussi, d’une capacité plus que doublée d’ici à 2030 ! Cela représente, au bas mot, plusieurs appareils supplémentaires. La construction d’une unité neuve adaptée à des interventions en milieu ultra urbain représente 15 à 30 millions d’euros d’investissement et dix-huit mois de délais. Le temps de formation étant plus long pour les postes de conduite d’appareil en géothermie profonde, il est nécessaire d’attirer des professionnels du forage, souvent recrutés par les sociétés pétrolières à l’étranger.

-Qui sont vos employés ?

-Pour la géothermie et le forage d’une façon générale, ce sont des spécialistes passionnés. Ce n’est pas un métier qu’on trouve dans un catalogue de formation. On tombe dedans souvent par hasard. Jusqu’alors cela suffisait mais maintenant il faut trouver d’autres façons de faire connaître ces métiers et d’attirer des candidats. Nos outils sont des concentrés de technologie, nos ouvrages sont complexes et nécessitent de comprendre ce qui ne se voit pas, le sous-sol, pour produire une source d’énergie respectueuse de l’environnement. Par ailleurs, les rythmes de travail, bien que différents en géothermie profonde et en géothermie de surface, offrent aux collaborateurs des alternances de périodes de travail soutenues, puis de temps libre. Autant d’atouts qui ne laissent pas nos collaborateurs actuels indifférents.

-Existe-il des formations structurées et des écoles spécialisées ?

-Pas vraiment. La filière s’organise et l’Association française des professionnels de la géothermie (AFPG) ou encore le Syndicat national des entrepreneurs de puits et de forages pour l’eau et la géothermie (SFEG) œuvrent en ce sens depuis de nombreuses années. Depuis peu, certaines structures, historiquement concentrées sur la formation des métiers du forage pétrolier, s’intéressent au sujet et tentent de faire leur mue. Mais il va nous falloir de l’aide et être innovant.

L’enjeu est double. D’abord il faut faire connaître ces métiers pour attiser la curiosité de personnes qui n’y ont jamais été sensibilisées. Nous sollicitons les organismes comme la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) et les Opérateurs de compétences (Opco). C’est un métier de chantier, avec la vie qui va avec et donc idéalement, les candidats ont déjà une première expérience et partagent cette culture.

Il faut aussi développer de nouvelles initiatives pour créer des formations initiales, mais également des formations continues pour satisfaire rapidement le besoin au travers de la reconversion professionnelle. Ensuite, l’aventure continue en situation car ce métier, comme beaucoup de métiers opérationnels, s’apprend en l’exerçant et la progression vers les postes de pilotage et de supervision se font nécessairement par le rang.

Il nous faut des coachs, beaucoup de coachs, des sachants du métier du forage mais aussi de la bonne gestion de chantier, de la maîtrise des risques et de la sécurité. Il y en aura pour toutes les bonnes volontés. À nous de bien les accueillir et les motiver.

La rédaction