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L’entretien et la surveillance des grands barrages dans le monde deviennent un problème


La catastrophe de Derna en Libye avec la rupture de deux barrages ayant causé la mort de plus de 11.000 personnes et des milliers de disparus devrait au moins servir à alerter sur le danger un peu partout dans le monde des barrages vieillissants et mal entretenus. Ces ouvrages, construits pour la plupart entre 1950 et 1985, qui fournissent de l’eau potable fiable, de l’irrigation agricole, des moyens de lutte contre les inondations et de l’électricité à des centaines de millions de personnes, peuvent fonctionner bien au-delà d’un siècle, s’ils sont bien entretenus. Mais cela coûte cher…

Après la rupture de deux barrages dans le nord-est de la Libye, des milliers de personnes sont mortes, des milliers d’autres sont portées disparues et des dizaines de milliers ont été déplacées de la ville de Derna et des localités alentours. Les barrages situés le long de la vallée de la rivière Wadi Derna se sont effondrés sous l’effet de la tempête Daniel, un cyclone méditerranéen qui a déversé plus de 40 centimètres de pluie en l’espace de 24 heures.

L’ampleur de la catastrophe à Derna, une ville d’environ 100.000 habitants, est considérable. Pourtant, ses causes ne sont pas uniques. La catastrophe s’est produite du fait de l’instabilité née de la guerre civile en Libye et la disparition de l’Etat, d’une tempête historique et surtout d’une infrastructure négligée. Les barrages détruits, construits dans les années 1970, n’ont plus été entretenus depuis 2002

Des barrages vieillissants mal ou pas entretenus

Et des conditions similaires existent dans de nombreuses autres régions du monde. Les experts appellent à un sursaut sur le problème grandissant de barrages vieillissants et mal entretenus à qui on n’accorde pas le centième de l’attention qu’on donne à la sécurité des centrales nucléaires.

La plupart des grands barrages dans le monde ont été construits dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, entre 1950 et 1985 explique Duminda Perera, ingénieur civil et chercheur en évaluation des risques à l’Institut pour l’eau, l’environnement et la santé qui dépend de l’ONU. Ces barrages sont des infrastructures essentielles qui fournissent de l’eau potable fiable, de l’irrigation agricole, des moyens de lutte contre les inondations et de l’électricité à des centaines de millions de personnes.

Mais les barrages se dégradent avec le temps et nécessitent d’être entretenus. Ils commencent en général à présenter des faiblesses à partir de 50 ans d’existence. Même les barrages en béton sont vulnérables au fil du temps à la force de l’eau. L’érosion a un impact sur la terre qui se trouve en dessous et autour des structures en béton. Souvent, ces barrages ont besoin d’être renforcés et d’avoir de nouveaux ancrages pour leurs fondations. Le béton lui-même se fragilise avec l’exposition aux éléments, subissant des réactions chimiques qui nuisent à sa stabilité.

Il faut 157 milliards de dollars pour réparer les barrages aux Etats-Unis

L’entretien régulier, les renforcements et la modernisation peuvent permettre à un barrage de fonctionner en toute sécurité bien au-delà de 100 ans et de se conformer aux normes actuelles. Mais de nombreux barrages qui ne font pas l’objet de réparations régulières vieillissent mal.

Un rapport des Nations Unies de 2021, dont M. Perera est coauteur, a évalué plus de 50.000 grands barrages dans le monde. Lui et ses collègues ont constaté que les barrages de nombreux pays ont, en moyenne, plus de 50 ans et risquent de plus en plus de tomber en panne. C’est notamment le cas aux États-Unis, qui comptent le deuxième plus grand nombre de grands barrages au monde après la Chine et où l’âge moyen des grands barrages est de 65 ans.

Selon un rapport publié en 2023 par l’Association of State Dam Safety Officials, le coût des réparations recommandées pour la plupart des barrages américains s’élèverait à 157,5 milliards de dollars. Et puis il y a le reste du monde, où les données sur la réhabilitation nécessaire des barrages et les coûts estimés sont souvent rares ou difficiles à obtenir. Même lorsque les gouvernements ou les entreprises privées savent que des réparations sont nécessaires, ils n’ont pas toujours la volonté politique ni les fonds nécessaires pour agir.

Le barrage de Mullaperiyar en Inde est en très mauvais état et menace 3,5 millions de personnes

Le rapport des Nations unies de 2021 de M. Perera a identifié plusieurs barrages comme étant dangereux. Le barrage de Mullaperiyar, dans l’État indien du Kerala, (voir la photographie ci-dessus) en est un exemple. Cette structure a plus de 125 ans et présente des signes visibles de détérioration. Elle est située à la frontière d’un État en proie à de graves conflits politiques et dans une région où les tremblements de terre sont fréquents. En cas de rupture du barrage, on estime que 3,5 millions de personnes seraient menacées…

En Libye aussi, les ingénieurs étaient conscients de la vulnérabilité des barrages de Derna. Une étude hydrologique du bassin de l’oued de Derna publiée l’année dernière mettait en garde. L’auteur de l’étude expliquait que « des mesures immédiates doivent être prises pour l’entretien régulier des barrages existants, car en cas d’inondation massive, le résultat sera désastreux pour les habitants de la vallée et de la ville ». Si cet avertissement avait été pris en compte, des milliers de vies auraient pu être sauvées

Il n’est évidemment pas trop tard pour épargner à des populations dans d’autres régions du monde des catastrophes similaires. Il faut que les gouvernements et les institutions internationales mesurent bien qu’il est indispensables d’investir dans l’entretien des barrages, de créer des systèmes d’alerte précoce et de renforcer les plans d’urgence.

La rédaction