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Le covoiturage a-t-il encore un avenir?


En dépit de sa bonne image et de son développement récent, le covoiturage reste un moyen de déplacement marginal. Il a été touché de plein fouet, comme tous les transports collectifs, par la pandémie. Peut-il retrouver la faveur des utilisateurs?

Depuis le début du confinement, la fréquentation des transports en commun a connu une chute libre et reprend désormais très progressivement. Les modes de déplacement individuels (véhicules personnels, vélos, marche à pied) demeurent largement privilégiés aux transports collectifs (covoiturage, taxi, transports en commun), pour des raisons sanitaires évidentes.

Le recours au covoiturage – entendu selon la définition du ministère de la Transition écologique et solidaire pour désigner des trajets fondés sur le principe de partage des frais, avec des conducteurs non professionnels – a brusquement été stoppé.

Le registre de preuve de covoiturage, une initiative de l’open data du gouvernement, recense 402.120 mises en relation en février 2020 sur une dizaine de plates-formes partenaires, majoritairement pour le covoiturage au quotidien –un chiffre qui est descendu à 242.833 en mars et a atteint 34.087 en avril. Malgré le déconfinement partiel, le nombre de covoitureurs n’est remonté en mai qu’à 73.987, encore loin de leur niveau habituel.

Une pratique marginale

Malgré de nombreuses mises en relation, le covoiturage reste une pratique marginale. 70% des déplacements domicile-travail sont réalisés avec des véhicules individuels, seulement 3% en covoiturage. Pour les trajets domicile-travail, chaque véhicule ne transporte en moyenne que 1,08 personne. Les conditions sanitaires encouragent d’autant plus «l’autosolisme».

Pour autant, le covoiturage n’est pas le mode de transport qui suscite le plus d’inquiétudes. Un sondage récent initié par Karos, une plate-forme de covoiturage de courte distance, montre surtout une chute de 25% des intentions d’utilisation des transports en commun. Ce volume est absorbé par une faible hausse de l’usage de la voiture (+6%) et de la marche à pied (+10%), mais surtout par une explosion du déplacement à vélo ou à trottinette (+54 %). L’appétence vis-à-vis du covoiturage n’a pas évolué avec le confinement.

Une autre enquête de l’institut CSA sur un échantillon représentatif de la population française adulte révèle que 22% des utilisateurs habituels des transports en commun ne comptent pas y revenir malgré le déconfinement. Ils préfèrent des modes alternatifs comme la voiture (70% de sondés l’ont cité), la marche (49% des sondés) et le vélo (39% des sondés).

À court terme donc, le covoiturage ne semble ni gagnant ni perdant. Les habitués l’utiliseront encore mais il n’attirera probablement pas de nouveaux adeptes.

Il est par ailleurs trop tôt pour prédire une augmentation persistante de l’autosolisme. Pendant le confinement, la réduction du trafic nous a fait bénéficier d’une qualité de l’air améliorée dans l’ensemble de la France, notamment en matière de dioxyde d’azote, polluant local essentiellement émis par le trafic routier.

En Île-de-France, sa présence dans l’air a baissé de 20 à 35% selon les semaines et jusqu’à 50% en bordure des axes routiers du 17 mars au 11 mai, selon Airparif. Malgré un retour temporaire à l’autosolisme pour des raisons sanitaires, la période pourrait remettre en question à long terme nos modes de déplacement.

Les études montrent que la perception et l’utilisation d’un mode du transport sont susceptibles d’évoluer à l’issue d’un évènement important dans la vie. Si les entreprises et les autorités organisatrices de la mobilité (AOMs) saisissent l’opportunité pour créer une culture sociale favorable au covoiturage, par exemple, par une campagne de sensibilisation du forfait mobilités durables, ou par une facilitation de la mise en service du covoiturage, ce mode de transport aura des chances de persister sur le long terme.

Des soutiens publics

Le covoiturage n’a pas officiellement été interdit pendant le confinement et a été explicitement autorisé dès la mise en œuvre du déconfinement, dans certaines limites: 1 passager hors foyer maximum dans la voiture, le port d’un masque obligatoire pour les personnes de plus de 11 ans, une distance entre chaque passager à respecter et une aération régulière recommandée.

Depuis quelques années, la France développe progressivement une politique plus favorable aux modes de transport partagés et actifs, notamment le covoiturage. La Loi d’orientation des mobilités (LOM) votée en 2019 renforce les soutiens politiques et financiers à ces derniers.

La crise a notamment accéléré la mise en place du forfait mobilité durable, inclus dans la LOM. Accessible depuis le 10 mai, il permet aux entreprises de rembourser jusqu’à 400 euros par an et par salarié pour l’usage de modes de transports plus propres et moins coûteux tels que le vélo ou le covoiturage, exonérés d’impôt et de cotisations sociales. Les voies sur des tronçons de l’A1 et de l’A6A en Île-de-France, habituellement réservées aux transports en commun et aux taxis, sont ouverts depuis le 11 mai aux covoiturages d’au moins deux personnes.

Un modèle économique qui ne fonctionne pas

Si les passagers et les conducteurs gardent l’esprit ouvert au covoiturage et que des incitations encouragent son usage, la fragilité financière des plates-formes constitue une menace sérieuse.

Pour la plupart d’entre elles, la commission prélevée pour la mise en relation –lorsqu’il y en a une– est insuffisante pour atteindre la rentabilité. Leurs principales sources de financement proviennent de subventions et de contrats avec des collectivités et des grandes entreprises.

Beaucoup d’acteurs sont d’ailleurs des start-up, en concurrence accrue les unes avec les autres surtout sur le covoiturage au quotidien. Même pour le géant du marché, BlaBlaCar, la rentabilité demeure un défi. Pendant le confinement, l’entreprise a arrêté ses autocars et déconseillé le covoiturage, provoquant une chute de son activité de 98%.

Cela peut paraître anodin, mais il est essentiel pour ces sociétés de maintenir le lien avec la communauté d’utilisateurs, qui contribueront à redynamiser le service après la crise et encourageront de nouveaux usagers. Le covoiturage bénéficie d’un effet de réseau : plus large est la base d’utilisateurs, plus facile est la mise en relation. En zone périurbaine et rurale, ces services dépendent tout particulièrement de la dynamique du groupe.

De nombreuses pistes peuvent être testées selon la nature du service : des mails de bienveillance, des apéritifs virtuels, des gestes de solidarité pour le territoire, des contenus plus dédiés au fond…

En banlieue lyonnaise, un service de covoiturage quotidien, LANE, a utilisé pendant le confinement ses panneaux d’information, initialement conçus pour afficher les demandes de covoiturage au bord de la route, afin de diffuser des messages de soutien écrits par les utilisateurs. De son côté, BlaBlaCar a lancé un hackathon et crée BlaBlaHelp, une application favorisant l’entraide entre voisins pour les déplacements de première nécessité.

Bien sûr, l’impact réel de ces initiatives est probablement limité : combien de personnes soignantes ont vu et ont été encouragées par ces messages ? Combien de personnes ont besoin d’utiliser Blablahelp pour faire leurs courses ? L’intérêt est essentiellement symbolique, il s’agit de nouer des liens entre les utilisateurs et de renforcer la notion de communauté.

Un nouveau monde?

Aider les covoitureurs à respecter scrupuleusement les consignes sanitaires dénote une attention aux utilisateurs et une capacité d’organisation, et nourrit la confiance des usagers. Les principaux acteurs ont rapidement réagi pour adapter leurs sites en fonction de la situation réelle.

Bénéficier d’un accompagnement personnalisé via l’assistance téléphonique, les mails et les réseaux sociaux devient d’autant plus crucial en cette période. Certains services de covoiturage, comme LANE, fournissent les produits d’hygiène aux utilisateurs.

Chaque crise contient une opportunité. Sur les transports, l’incertitude demeure. La tension du trafic pendant les «heures de pointe» disparaîtra-t-elle grâce à une extension du télétravail?

On observe déjà que l’utilisation des véhicules à Paris est quasiment revenue à normal le 15 juin, mais les chiffres doivent être pris en précaution avec une préférence actuelle à l’autosolisme. De nouveaux aménagements urbains encourageront-ils les modes de transport actifs ? Notre mode de vie sera probablement bouleversé par nos expériences pendant la crise, et le covoiturage pourrait jouer un rôle pour construire un système de transport plus efficace, plus sécurisé et moins polluant.

Dianzhuo Zhu Docteure, chercheuse associée, Université Paris Dauphine – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.

La rédaction