Transitions & Energies

Les SUV sont-ils enfin condamnés?


L’explosion depuis plus d’une décennie des ventes de SUV, qui représentent maintenant près de 50% des voitures neuves commercialisées dans le monde, est une aberration en termes de sécurité et plus encore sur le plan énergétique. Vincent Cobée, le directeur de Citroën, veut croire au fait que la motorisation électrique va faire disparaitre les SUV. Rien n’est moins sûr.

A en croire Vincent Cobée le directeur de Citroën, la voiture électrique va faire disparaitre les SUV. Il affirme cela dans une interview à Auto Express. «Le monde des SUV, c’est bientôt fini. Je sais que pour l’instant, les chiffres de ventes ne disent pas du tout ça, mais je pense que cela va vite évoluer.» Pour lui, la mauvaise efficacité énergétique des SUV leur sera fatale. «Sur une voiture électrique, les pertes en autonomie sont importantes si votre aérodynamique est mauvaise. La perte est de 50 kilomètres entre une bonne aérodynamique et une auto mal conçue à ce niveau et si vous regardez la différence entre une berline et un SUV, on peut vite mesurer un écart de 70 ou 80 km», affirme-t-il. Le problème est que l’annonce de la fin des SUV semble très prématurée et ne correspond vraiment en rien à la réalité des marchés automobiles en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Les SUV représentent aujourd’hui sur la plupart des grands marchés automobiles, y compris en France, autour de 50% des ventes neuves… Leur progression est ininterrompue depuis plus d’une décennie. Le dernier chiffre précis disponible est de 45,9% des ventes mondiales de voitures neuves en 2021 à comparer à 16,5% en 2010. Et le trophée européen de la voiture de l’année 2022 vient d’être attribué il y a quelques jours au SUV électrique Jeep Avenger…

Des batteries toujours plus grosses fabriquées avec toujours plus de métaux stratégiques

«On installe des batteries plus grosses dans un SUV que dans une berline équivalente. Mais je pense que l’on va  bientôt limiter la taille de ces batteries que ce soit avec une taxation, des avantages à l’achat ou tout simplement la très mauvaise image publique qui devrait accompagner ces modèles dans le futur. Il y a quelques années, déposer ses enfants en SUV dans une grande ville n’avait rien de choquant. Aujourd’hui, on vous considère déjà parfois comme un terroriste si vous faites la même chose», explique Vincent Cobée«En 1970, une voiture pesait en moyenne 700 kg. Aujourd’hui, une voiture pèse en moyenne 1300 kg. A cause des SUV électriques, elles pourraient peser demain deux tonnes. On utiliserait trois fois plus de ressources dans la construction d’une voiture juste pour vendre des voitures vertes…».

Reste à savoir si M. Cobée ne prend pas ses désirs pour la réalité. Citroën est un cas à part. La marque n’a pas aujourd’hui de SUV électrique dans sa gamme et la taille des batteries de ses modèles électriques actuels, limitée à 50 kWh, ne permet pas de propulser un gros SUV familial. Mais la plupart des autres constructeurs ne suivent pas du tout la même logique, notamment car leurs marges sont bien plus importantes en vendant cher des SUV que des berlines ou des compactes. Les derniers mois ont ainsi été marqués par la mise en vente par un très grand nombre de constructeurs européens, américains et asiatiques d’une multitude de nouveaux modèles de SUV hybrides rechargeables et 100% électriques dont certains pèsent plus de 2,5 tonnes. Et cela devrait continuer. Plus d’une cinquantaine de nouveaux modèles ou de modèles restylés de SUV devraient être lancés cette année. Même des marques sportives de niche comme Ferrari, Lotus ou Alpine passent au SUV…

Les paradoxes du marché automobile

Les SUV illustrent par leur succès un grand paradoxe du marché de l’automobile. La voiture individuelle à moteur thermique n’a jamais été aussi vilipendée pour ses émissions de gaz à effet de serre et de pollutions atmosphériques (particules fines, dioxyde d’azote) et pour ses nuisances, notamment dans les métropoles… et les SUV n’ont jamais été aussi populaires. Bon nombre d’automobilistes les achètent parce qu’ils procurent à la fois un sentiment de liberté et plus encore de sécurité. Même si dans les faits, ils sont statistiquement moins sûrs que les voitures classiques. Une personne a ainsi 11% de plus de risques de mourir à la suite d’un accident dans un SUV que dans une berline traditionnelle. Le problème des SUV est qu’ils procurent une fausse sensation de sécurité en «dominant» la route. Et cela suffit à les rendre populaires.

Mais les SUV sont surtout une aberration sur le plan énergétique. La mode planétaire de véhicules plus haut, plus lourd, consommant plus est même la deuxième cause d’augmentation des émissions de CO2 dans le monde depuis 2010 après la production d’électricité mais avant le transport aérien, le transport maritime, le transport routier, l’industrie lourde, l’agriculture, le numérique… Et dans la même période, les SUV sont même la seule cause d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans les pays développés. Les SUV à moteur thermique émettent en moyenne 25% de CO2 en plus que leurs équivalents en berlines ou en breaks. Pour quels avantages? De meilleures marges pour les constructeurs automobiles et le sentiment pour leurs conducteurs de «dominer» la route.

Acronyme de Sports Utility Vehicles ou utilitaire à caractère sportif, le SUV est une sorte de croisement entre un 4×4 et une berline apparu aux Etats-Unis dans les années 1980. Du premier, il possède la taille et le poids avec une carrosserie surélevée évoquant celle d’un tout terrain et de la seconde la facilité d’utilisation. Ils sont dans la quasi-totalité des cas réservés à un usage «ordinaire» sur les routes et ne sont souvent même pas conçus pour s’aventurer vraiment hors des sentiers battus. Leur succès est un raz-de-marée. Ils ont ainsi quasiment éliminés les monospaces et sont en train de faire la même chose avec les berlines dites classiques notamment grâce aux crossovers, les «petits» SUV. Comme l’écrit AutoPlus, «berline, coupé, cabriolet, monospace: la plupart des catégories traditionnelles et historiques ont disparu chez nous. Elles ont été remplacées par leur équivalent en SUV…».

Des campagnes de promotion incessantes

En France, au début de la décennie 2010 les ventes de SUV représentaient moins de 10% du marché du neuf et près de 50% l’an dernier. Il faut dire que tous les constructeurs orchestrent une promotion permanente de leurs gammes très rentables de SUV. En 2019, la seule publicité télévisée dédiée en France à la promotion des SUV représentait 4 heures par jour et plus de 1,8 milliard d’euros. Les slogans -trompeurs- sont toujours les mêmes. Les SUV seraient synonymes de sécurité, de robustesse et de qualité, ce qui est statistiquement faux pour une simple raison de physique. Plus la masse d’un véhicule est élevée, plus les dégâts sur le véhicule et sur les autres sont importants en cas de choc. Il y a tout simplement plus d’énergie à absorber.

Il y a trois ans déjà, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) écrivait: «Ce changement radical vers des voitures plus grandes et plus lourdes a conduit à un doublement de la part des SUV au cours de la dernière décennie. En conséquence, il y a maintenant plus de 200 millions de SUV dans le monde, contre environ 35 millions en 2010, ce qui représente 60% de l’augmentation du parc automobile mondial depuis 2010. Environ 40% des ventes annuelles de voitures aujourd’hui sont des SUV, contre moins de 20% il y a dix ans… Les SUV ont été le deuxième contributeur à l’augmentation des émissions mondiales de CO2 depuis 2010 après le secteur de l’énergie, mais devant l’industrie lourde (y compris le fer et l’acier, le ciment, l’aluminium), ainsi que les camions et l’aviation… Les SUV ont été responsables de la totalité de la croissance de 3,3 millions de barils par jour de la demande de pétrole des voitures particulières entre 2010 et 2018, tandis que la consommation de pétrole des autres types de voitures (à l’exclusion des SUV) a légèrement diminué

Combinant le poids d’un rhinocéros adulte et l’aérodynamique d’un réfrigérateur, les SUV nécessitent plus d’énergie pour se déplacer que la plupart des autres types de voitures et émettent donc plus de gaz à effet de serre, éclipsant les gains résultant de l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules et du marché naissant des véhicules électriques. Un autre éclairage de l’AIE publié il y a un an montrait qu’en 2021 les SUV ont généré dans le monde pas moins de 900 millions de tonnes de gaz à effet de serre. Si les propriétaires de SUV formaient un seul pays, ce serait le 6ème plus gros émetteur de gaz à effet de serre devant l’Allemagne ou la Corée du sud…

La rédaction