Transitions & Energies
Salarde Atacama Gisement Lithium Chili Wikimedia Commons

Les compagnies pétrolières veulent mettre la main sur le marché du lithium


Remplacer à marches forcées les véhicules à moteur thermique par des véhicules électriques va se traduire inévitablement par une envolée des besoins en lithium, métal indispensable à la fabrication des batteries. Et il n’y en aura pas suffisamment. Car exploiter le lithium est tout sauf une partie de plaisir. Ce métal, le plus léger existant, est très réactif au contact de l’air. Il n’existe que quand il est enfermé et protégé dans une gangue d’autres matériaux. Cela signifie que pour l’extraire, il faut des mines et des équipements importants dont l’exploitation est coûteuse et qui nécessitent des investissements de long terme qui n’ont pas toujours été rentables au cours des dernières années. Les grandes compagnies pétrolières ont une expertise technique qui leur donne un avantage certain pour exploiter bien plus efficacement de nouveaux gisements de lithium. Elles comptent bien profiter de ce qui pourrait être une rupture technologique.

En mars 2021, Schlumberger, le géant de la recherche pétrolière, a annoncé un projet pilote mené par sa filiale Schlumberger New Energy pour tester une nouvelle méthode d’extraction du lithium plus rapide, plus efficace et consommant beaucoup moins d’eau. Le procédé baptisé «direct lithium extraction» (DLE ou extraction directe du lithium) permet théoriquement de produire du lithium de haute qualité, compatible avec l’utilisation dans les batteries lithium ion, en diminuant le temps nécessaire pour le faire de plus d’une année (notamment à cause des processus d’évaporation) à quelques semaines. De la même façon, toujours en 2021, une joint-venture entre la société All-American Lithium et une filiale du groupe pétrolier Occidental Petroleum a été dotée d’une série de brevets sur de nouvelles technologies et process permettant l’exploitation et le raffinement du lithium.

«Une rupture technologique»

Pour la banque d’affaires américaine Goldman Sachs, la DLE est «potentiellement une rupture technologique», l’équivalent de la fracturation hydraulique pour le gaz ou le pétrole. Non seulement, cela va accélérer considérablement le processus d’extraction qui va demander des jours et non plus des mois, mais le taux moyen de récupération du métal va passer de 60 à 80% au lieu de 40 à 60% ce qui rend économiquement viable l’exploitation de ressources moins concentrées. Mais pour l’instant cette technologie n’a pas encore été expérimentée à grande échelle.

Au début du mois, l’agence Reuters indiquait qu’une véritable course contre la montre est maintenant engagée entre les groupes miniers, les compagnies pétrolières et les start-ups technologiques. Elle vise à trouver la meilleure technologie d’extraction directe du lithium.

C’est au tour du géant Exxon de mettre ses considérables moyens dans la conquête de ce marché. Il a acquis le mois dernier des droits pour rechercher des gisements de lithium aux Etats-Unis dans l’Arkansas. Plus près de nous géographiquement, les grandes ambitions du groupe français Arverne dans l’exploitation du lithium situé dans les poches géothermiques profondes du bassin rhénan, sont notamment liées au fait que son savoir-faire et sa technologie viennent directement de la recherche pétrolière et gazière. «Nous avons avec nous des «sachants» du sous-sol qui viennent de la géothermie, du pétrole et du gaz… et des actionnaires comme le géant norvégien Equinor, qui ont à leur actif des dizaines de milliers de puits», expliquait en mars dernier à Transitions & Energies, Pierre Brossollet, patron et fondateur du groupe Arverne.

Un risque grandissant de pénuries

Il faut dire que remplacer à marches forcées les véhicules à moteur thermique par des véhicules électriques va se traduire par une envolée des besoins en lithium, un métal indispensable à la fabrication des batteries. Et il n’y en aura pas suffisamment. Pour l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le monde pourrait faire face à des pénuries de lithium d’ici 2025. En 2021 et 2022, la demande a déjà été supérieure à l’offre en dépit de l’augmentation de 180% de la production depuis 2017.

La semaine dernière, l’agence Reuters a averti que les producteurs de lithium mettaient en garde sur leur incapacité à satisfaire la demande. Ils citent notamment comme obstacle à leur développement la difficulté à obtenir des permis miniers, l’inflation et le manque de main d’œuvre qualifiée. Il y avait l’an dernier 45 mines de lithium opérationnelles dans le monde. Onze devraient ouvrir cette année et sept l’an prochain selon Fastmarkets. Ce rythme de développement est très inférieur, selon les experts, à ce qui est nécessaire pour répondre à la demande. «Vous pouvez vous retrouver dans une situation dans laquelle les fabricants de batteries n’auront aucune sécurité d’approvisionnement en lithium», explique à l’agence Reuters Stu Crow, le Pdg du groupe minier australien Lake Ressources spécialisé dans le lithium. «Il y a une totale déconnexion entre la panique qui existe dans le monde minier et l’activité frénétique de l’industrie [constructeurs automobiles et fabricants de batteries] qui essaye d’assurer sa sécurité d’approvisionnement». On comprend bien pourquoi les groupes pétroliers se disent que c’est le moment d’entrer sur le marché du lithium.

La spéculation s’en mêle

Ils ne sont pas les seuls, les spéculateurs aussi. Les cours du carbonate de lithium (lithium raffiné) ont ainsi été multipliés par six entre août 2021 et novembre 2022, et ceux des cristaux de spodumène (minéral contenant du lithium) ont encore plus progressé dans le même temps. La consommation mondiale a quant à elle augmenté de plus de 280% entre 2010 et 2021. Le prix de la tonne est passé de moins de 5.000 dollars en 2012 à plus de 80.000 dollars en novembre 2022 avant de redescendre en avril à 30.000 dollars et de remonter en juin à plus de 45.000 dollars.

Dans une interview au Financial Times, Brian Menell, le dirigeant du fonds d’investissement TechMet spécialisé dans l’industrie minière, explique que «plusieurs majors pétroliers accordent beaucoup d’attention et de temps à la stratégie à suivre pour devenir important dans le lithium». Il cite notamment Exxon et Chevron aux Etats-Unis et Equinor, BP, Shell et ENI en Europe. Il ajoute, «c’est en quelque sorte une évolution naturelle pour les compagnies pétrolières. Les saumures de lithium sont une évidence pour elles, car contrairement aux réseaux de bornes de recharge et aux parcs éoliens, pour lesquels elles n’ont pas d’autres compétences que la gestion de projet, elles ont un vrai savoir-faire en matière de pompage souterrain et de fluides

Pour autant, l’exploitation minière et notamment celle du lithium reste une activité polluante et dommageable pour l’environnement. Clairement, la technologie d’extraction directe (DLE), occupe moins d’espace, pollue moins et consomme moins d’eau que la technologie actuelle qui utilise des bassins d’évaporation massifs (voir l’image ci-dessus) et extraie le lithium en appliquant une membrane entre les saumures et la surface. Mais cela n’enlève rien au fait que les oppositions, notamment locales, à l’ouverture de nouvelles mines et exploitations sont de plus en plus virulentes. Le choix est toujours aussi difficile à faire entre la transition énergétique et la défense de son propre environnement.

La rédaction