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Le krach du lithium


Ce métal indispensable aux batteries des véhicules électriques est devenu un pur objet de spéculation. Après avoir atteint un sommet historique de 595.000 yuans (86.170 dollars) par tonne en novembre 2002, les cours du lithium sont retombés au cours des premiers jours de mars 2023 à leur plus bas niveau depuis 13 mois à 357.500 yuans (51.525 dollars) la tonne, une dégringolade de 40%. La spéculation a reflué parce que le déficit entre la demande et l’offre de lithium va se réduire cette année de 76.000 tonnes en 2022 à entre 20 et 30.000 tonnes en 2023 du fait d’une production minière et de raffinage industrielle plus élevée et d’un coup d’arrêt subi par le marché chinois des véhicules électriques.

La conquête à marches forcées du marché automobile par les véhicules électriques va se traduire et s’est déjà traduit par une envolée de la demande de lithium pour fabriquer les centaines de kilos de batteries embarquées par unité produite. Le lithium, le métal le plus léger existant, n’est pas vraiment rare. Mais son exploitation est exigeante. Parce que ce métal est très réactif au contact de l’air, il n’existe que quand il est enfermé et protégé dans une gangue d’autres matériaux. Ainsi, il est enfoui profondément dans la croûte terrestre. Cela signifie que pour l’extraire, il faut des mines importantes dont l’exploitation est coûteuse et qui nécessitent des investissements de long terme qui n’ont pas toujours été rentables au cours des dernières années. La spéculation massive autour du lithium ne va pas vraiment améliorer cette situation.

En dix ans, le prix de la tonne de lithium est passé de 4.450 à 86.170 dollars avant de revenir à 51.525 dollars

Car le marché mondial du lithium fait l’objet de toutes les attentions, de la part des constructeurs automobiles et de batteries pour tenter de sécuriser leurs approvisionnements et leurs marges et de la part des spéculateurs. Il fait partie des métaux dits stratégiques et la France en a même fait une priorité en matière de souveraineté économique. Elle entend ainsi exploiter celui qui est présent dans les eaux géothermales du bassin rhénan. Il faut dire que les cours du carbonate de lithium (lithium raffiné) ont été multipliés par six entre août 2021 et novembre 2022 et ceux des cristaux de spodumène (un minerai contenant du lithium voir la photographie ci-dessus) ont encore plus progressé dans le même temps. La consommation mondiale de lithium a augmenté de 283% entre 2010 et 2021 et le prix de la tonne est passé de 4.450 dollars en 2012 à 86.170 dollars en novembre 2022 (sommet historique de 595.000 yuans) avant de revenir le 7 mars 2023 à 51.525 dollars (357.500 yuans). Une dégringolade de 40% en quatre mois…

Le vieil adage boursier, «les arbres ne montent pas jusqu’au ciel», se vérifie toujours, y compris pour le lithium. Et la caractéristique de la spéculation est de finir par refluer… Cela est lié notamment au fait que le marché automobile chinois des véhicules électriques, de loin le plus important au monde, a connu un coup d’arrêt inattendu. Les ventes de voitures électriques ont baissé de 6,3% en janvier 2023 après avoir connu une envolée de 90% en 2022 du fait notamment de la fin de subventions à l’achat qui existent depuis 13 ans.

L’offre augmente plus vite que la demande

Autre surprise pour le marché du lithium, le groupe chinois CATL, le numéro un Mondial de la fabrication des batteries lithium-ion qui compte Tesla, NIO ou Volkswagen parmi ses clients, a commencé à offrir des baisses de prix il y a quelques semaines… aux seuls constructeurs chinois. Il a ainsi cherché à compenser la baisse de la demande de véhicules.

 Et puis la production de lithium a augmenté en Chine, en Australie et au Chili. «La demande reste forte mais les prix sont insoutenables depuis un certain temps maintenant et la nouvelle offre arrive très vite», explique l’analyste Dylan Kelly d’Ord Minnett à Mining.com. Et les projets de développement miniers ne manquent pas. Les grands groupes Albemarle, la Sociedad Quimica Y Minera de Chile (SQM) et Ganfeng Lithium ont tous annoncé des investissements importants. L’américain Albemarle, par exemple, a l’intention de multiplier par cinq sa capacité de production de lithium pour atteindre 500.000 tonnes par an d’ici 2030. Même en France, du lithium provenant d’eaux chaudes géothermales devrait commencer à être extrait en Alsace à partir de 2025.

Le reflux des cours du lithium pourrait donc durer un temps. Pour le consultant spécialiste de l’énergie Rystad Energy, le déficit du marché mondial du lithium passera de 76.000 tonnes de carbonate de lithium en 2022 à environ 20.000 à 30.000 tonnes au cours de l’année en cours. La banque d’affaires Goldman Sachs fait le même constat et estime que l’offre de carbonate de lithium augmentera de 33% cette année et la demande de 25%. «La hausse probable de l’offre et les surcapacités en aval devraient faire baisser les prix du lithium», écrit la banque dans une note. Cela devrait, selon elle, encore faire reculer les cours jusqu’à 34.000 dollars la tonne.

Un métal qui reste stratégique

Cela dit, pour de nombreux analystes, le ralentissement de l’augmentation de la demande du lithium et de l’expansion du marché des véhicules électriques est temporaire. «La demande est toujours solide, mais les fabricants de batteries et de véhicules électriques déstockent actuellement au lieu de passer de nouvelles commandes. La faible demande actuelle pèse donc sur le sentiment et fait baisser les prix», résume Susan Zou, vice-présidente de Rystad Energy à Shanghai.

Pour Albemarle, la baisse de la demande de véhicules électriques n’est pas durable. Elle est notamment la conséquence d’un nouvel an lunaire précoce dans le calendrier et la baisse des subventions à l’achat ne devrait pas empêcher le marché de connaître encore une croissance de 40% cette année.

Posséder des mines et des réserves de lithium et détenir sur son sol les usines qui raffinent ce métal blanc reste par ailleurs un enjeu stratégique majeur. Une course contre la montre est toujours engagée pour produire toujours plus de lithium. Car d’ici 2040, quand les voitures électriques détiendront 80% du marché mondial du neuf, la demande de lithium pourrait être multipliée par 30 par rapport à 2020.

Et si la production, et le recyclage, de lithium sont capables de suivre la demande, cela sera au moins une bonne nouvelle pour les consommateurs.  Car les batteries sont de loin le composant le plus coûteux d’un véhicule électrique. Le spécialiste de l’énergie et des équipements collectifs E Source a estimé l’an dernier dans une étude que les prix des cellules de batterie aller augmenter de 22% entre 2023 à 2026, culminant à 138 dollars le kilowattheure, inversant ainsi une tendance pluriannuelle qui avait vu les coûts des batteries et des véhicules électriques diminuer régulièrement. Divers analystes ont estimé que les véhicules électriques pourraient atteindre la parité des coûts avec les véhicules thermiques lorsque les coûts des batteries seront d’environ 100 dollars par kilowattheure.

La rédaction