Transitions & Energies

«La raison d’être d’Arverne est la valorisation du sous-sol dans la transition énergétique»


Un entretien avec Pierre Brossollet, patron et fondateur du groupe Arverne qui entend devenir le champion français de la géothermie dont cette industrie a tant besoin depuis des années pour réussir à se développer et à devenir une source d’énergie renouvelable majeure. Propos recueillis par Éric Leser. Interview publiée dans le numéro 16 du magazine Transitions & Energies.

T&E – Arverne vient d’annoncer la reprise auprès du tribunal de commerce de la société GéoRhin (ex-Fonroche). En quoi cette acquisition permet au groupe Arverne de changer de dimension ?

P.B.- Il y a un intérêt majeur au rachat des actions de Géorhin, c’est de mettre la main sur cinq permis d’exploration en géothermie profonde qui sont distribués dans trois régions, Grand-Est, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine. Si la procédure collective qui était en cours au sujet de la société GéoRhin était allée à son terme, elle se serait terminée par une liquidation judiciaire et la disparition pure et simple de ses permis. Il nous aurait fallu des délais d’instruction très longs, de plusieurs années, pour éventuellement récupérer ses permis ou certains de ses permis, nous n’aurions pas forcément repris les cinq existants.

– Cela signifie que le tribunal de commerce et aussi les pouvoirs publics ont jugé et considéré qu’Arverne possède les moyens technique, humain et financier pour utiliser ses permis ?

– Il a fallu franchir trois étapes. La première est la validation par le ministère de tutelle, celui de la transition énergétique, de la reprise par Arverne des titres miniers détenus par GéoRhin. Il y a eu une analyse de nos capacités technique et financière. La deuxième étape a été de faire valider notre plan d’apurement du passif financier par le tribunal de commerce et les créanciers de GéoRhin. Enfin, le tribunal a aussi validé notre plan de continuation d’activité de la société dont nous conservons tous les salariés.

– Qu’est-ce qui vous permet aujourd’hui d’assurer que les erreurs techniques commises par Fonroche géothermie devenu GéoRhin sur le site de Vendenheim en Alsace, et qui se sont traduites par des mini séismes ayant conduit la société au dépôt de bilan, ne vont pas de reproduire ?

– GéoRhin a été à l’origine d’un accident industriel. Il y a deux raisons principales qui nous ont fait écrire et nous engager à ne plus connaître ces problèmes. D’abord, nous ne sommes pas sur la même géothermie. La géothermie de GéoRhin était électrogène, pour produire de l’électricité, donc par définition très profonde. Nous, nous sommes sur une géothermie chaleur, de profondeur intermédiaire. Mécaniquement et géologiquement, c’est un facteur important de sécurité.

Le second élément que nous avons pu prouver au tribunal et aux pouvoirs publics est celui de la compétence de nos équipes. GéoRhin n’était pas issu du monde du sous-sol. En revanche, la raison d’être d’Arverne est la valorisation du sous-sol dans la transition énergétique avec un pool d’experts de haut niveau. Nous avons avec nous des « sachants » du sous-sol qui viennent de la géothermie, du pétrole et du gaz… et des actionnaires comme le géant norvégien Equinor, qui ont à leur actif des dizaines de milliers de puits. On amène un bagage et une assurance, qui n’est jamais à 100 %, le risque zéro n’existe pas, mais qui permet d’assurer que la méthode de travail est rigoureuse. Le problème rencontré à Vendenheim était avant tout lié à la méthodologie suivie et aux technologies employées.

– GéoRhin est venu s’ajouter à l’ensemble de sociétés qui constituent le groupe Arverne. Combien y en a-t-il aujourd’hui et quelles sont leurs activités ?

– C’est un tryptique. Il y a Arverne drilling, société spécialisée dans l’exploration et le forage, Lithium de France qui comme son nom l’indique a pour vocation de faire de la géothermie avec extraction du lithium du sous-sol, et une troisième société en cours de création dont l’activité sera exclusivement consacrée à l’exploitation des calories géothermales à destination des réseaux de chaleur et de la chaleur industrielle, sans extraction de métaux. Le rachat de GéoRhin est pour nous un accélérateur et nous allons répartir au sein des deux sociétés, Lithium de France et celle en cours de création, les permis qui correspondent à leurs vocations respectives. Par exemple, le permis de Strasbourg qui comprend du lithium sera transféré à Lithium de France.

Quant à Arverne drilling, il s’agit du bras armé des deux autres sociétés du groupe qui n’est pas une fin en soi, car la vocation d’Arverne est d’être un producteur d’énergie verte du sous-sol. C’est un outil que nous avons décidé d’acheter pour cela et qui aujourd’hui travaille d’ailleurs pour d’autres groupes qui font de la géothermie. Mais la quote-part des activités internes au groupe est appelée à devenir de plus en plus importante dans le carnet de commandes d’Arverne forage. Nous avions fait le constat depuis des années que le forage est le talon d’Achille de la géothermie en France. Nous avons donc très vite développé nos propres ressources en hommes et en machines.

– Le gouvernement vient de présenter il y a quelques semaines un plan national de soutien à la géothermie avec une volonté apparemment forte au sein du ministère de la Transition énergétique que les paroles et les promesses soient suivies d’actes. Peut-on considérer aujourd’hui que la géothermie va enfin décoller en France et que les avantages de cette énergie renouvelable, bas-carbone, non intermittente, locale… sont et seront reconnus ?

– J’ai la volonté et l’optimisme de croire qu’aujourd’hui les décideurs ne se payent pas de mots. Il y a une vraie prise de conscience et ce n’est pas que de la posture. Bien sûr, la géothermie n’est pas une solution miracle qui vient d’être révélée, mais la réalité du terrain a fini par émerger. Parce que cela marche. Les pouvoirs publics sont engagés dans une course contre la montre pour décarboner et ont compris que la géothermie peut rendre de grands services. Et ce n’est pas l’effet d’un lobby de la géothermie qui a d’ailleurs toujours été faible dans ce pays.

On peut même parler de la revanche du sous-sol qui est très mal considéré et même décrié depuis des années alors que la France a longtemps été un pays précurseur sur le plan technologique dans ce domaine dans le pétrolier et le parapétrolier. On l’a oublié, mais la France a longtemps été une référence technique dans le domaine du sous-sol et du pétrole un peu comme dans le nucléaire.

Maintenant, la filière de la géothermie à force d’être négligée et malmenée est affaiblie et doit se structurer rapidement pour prendre sa place et profiter du moment qui lui est favorable. Et pour le faire, nous avons besoin de figures de proue, d’entreprises emblématiques et tout ce que j’espère est qu’Arverne en soit une.

– L’intérêt pour la géothermie n’est pas seulement français, bien au contraire. Nous sommes clairement en retard par rapport à la Suisse, la Suède et l’Autriche mais d’autres pays ont lancé ou vont lancer des plans de soutien à la géothermie, l’Allemagne, l’Italie, la Hongrie. Cela peut-il présenter des opportunités pour Arverne ?

– Il y a aujourd’hui une sorte de concert des nations qui veut développer la géothermie et pourrait avoir un effet d’entraînement. La crise énergétique a clairement servi d’accélérateur. Il y a une coordination qui existe déjà au niveau de l’EGEC [European Geothermal Energy Council] qui travaille depuis des années pour que cette dynamique puisse exister.

Un autre signal assez fort est l’intérêt grandissant des grands groupes pétroliers, des majors, pour la géothermie. Ce qui était considéré comme une source d’énergie anecdotique et difficile à exploiter à grande échelle attire aujourd’hui de plus en plus l’attention et l’intérêt de grandes compagnies, comme Equinor, qui est l’un de nos actionnaires, ou Shell par exemple. Et ses entreprises ont les moyens de procéder à des investissements massifs et des compétences dans l’exploitation du sous-sol. Je crois que l’énergie va devenir de plus en plus une question locale, de territoires, et toutes ses majors qui sont présentes dans des dizaines de pays vont être en concurrence avec des opérateurs locaux et en prennent conscience.

Enfin, au niveau d’Arverne, nous sommes sollicités pour nous développer hors de France et nous devrions nous associer avec un partenaire allemand. Mais nous ne pouvons pas tout faire et allons en priorité consacrer nos moyens à nous développer en France.

– Vous avez l’ambition à Arverne de faire à la fois de la géothermie dite de surface (moins de 200 mètres) et de la géothermie profonde. Peut-on faire les deux de front et s’agit-il des mêmes métiers ?

– Aujourd’hui ce dont nous manquons le plus chez Arverne, c’est de temps. On pourrait faire l’erreur de grandir trop vite. Mais je considère que la géothermie de surface et profonde, même si elles sont différentes par l’ampleur des chantiers et des équipements, appartiennent au même métier. Sur le forage, nous avons en fait avec Arverne drilling deux sociétés distinctes qui s’occupent l’une du forage à faible profondeur et l’autre du forage à grande profondeur. Et nous faisons travailler des techniciens dans les deux sociétés. Arverne est un projet intégré. Nous n’avons pas l’impression que nous nous dispersons. Nous avons d’ailleurs une troisième branche qui est la géothermie avec lithium qui réclame d’autres compétences et qui est géologiquement différente. C’est pour cela qu’on traite les différents sujets par sociétés, ce sont des sociétés distinctes au sein du groupe dont nous avons le contrôle mais qui ont des actionnaires et des partenaires distincts.

Pour autant, le développement de la géothermie n’est pas et ne sera pas un long fleuve tranquille. Il y a des obstacles techniques, économiques, financiers. Le premier tient à la difficulté de recruter et de former des techniciens compétents, surtout si l’ambition est de multiplier la géothermie de surface dans les bâtiments neufs et anciens de toute taille. Surtout pour une activité assez peu connue et relativement peu développée en France. Comment faites-vous à Arverne ?

– Il s’agit tout simplement de ma préoccupation majeure pour ne rien vous cacher. Aujourd’hui, nous sommes une centaine. L’année prochaine à la même date nous aurons doublé nos effectifs et ils vont encore doubler dans les douze mois suivants. Nous avons une problématique humaine qui va largement au-delà des questions de compétence. Il faut aller chercher loin des personnes sur des thématiques d’inclusion, de réinsertion. Il faut absolument qu’on soit créatif en matière de formation et de partenariat avec le monde associatif. Nous devons aller chercher des profils ailleurs par rapport à ce que nous faisions traditionnellement. Et il ne faut pas trop compter sur la possibilité d’aller recruter dans l’industrie pétrolière ; les ingénieurs et les techniciens sont reconvertis par les filières électriques et renouvelables, l’éolien offshore par exemple, qui disposent de moyens importants.

Nous avons aussi des problématiques spécifiques puisque dans le monde universitaire on ne forme plus à nos métiers du sous-sol. Il faut recréer des diplômes avec les chambres des métiers, les chambres d’artisanat.

– Une autre difficulté de la géothermie tient au fait que les chantiers ne sont jamais identiques. Le sous-sol et la géologie sont toujours singuliers et il faut recommencer à zéro ou presque à chaque fois. Il est donc difficile de faire des économies d’échelle en multipliant les opérations. Et cela amplifie l’autre difficulté, financière, qui est que la géothermie est une énergie qui devient en général très rentable à moyen terme mais nécessite des investissements initiaux importants.

– Je ne le formulerais pas comme cela. Bien sûr, les forages sont uniques, mais notre ambition est d’apporter les méthodes de pointe de l’industrie pétrolière dans la gestion des réservoirs, dans les technologies de recueils et de traitement des informations sur le sous-sol, dans la façon de forer. Cela permet d’être plus efficace et de dupliquer les techniques et les procédés. Et cela permet aussi de réduire les coûts et les investissements initiaux.

– Maintenant, parlons de l’avenir d’Arverne. Quelles vont être les prochaines étapes de votre développement ?

– L’avenir lointain d’Arverne que j’ai bien en tête, même s’il s’agit aujourd’hui d’un rêve, est d’être un acteur qui compte des énergies vertes du sous-sol et d’aller fédérer une filière pour changer la donne comme va l’être Lithium de France. Les thématiques peuvent être celles du stockage de CO2, du stockage d’hydrogène, de l’exploitation de l’hydrogène natif du sous-sol… Il faudra des forages. Il faudra de la géophysique. Il faudra du réservoir. Tout cela, c’est évidemment le futur lointain. Arverne ne sera pas une société à vendre dans cinq ans.

Dans un avenir beaucoup plus proche, la prochaine étape est de digérer le rachat de GéoRhin avec une répartition intelligente de nos permis et une priorisation des campagnes avec les bons partenaires. Nous ne ferons pas tout seuls mais travaillerons avec des acteurs européens et français pour développer ses permis au stade de l’exploration, du développement et de l’exploitation.

Nous allons bientôt annoncer une levée de fonds au périmètre de Lithium de France pour pouvoir produire nos premières calories d’eau chaude en 2025 et nos premières tonnes de lithium en 2026. Du côté de la société en cours de création, nous sommes en discussion avec des partenaires pour développer des réseaux de chaleur urbains et de chaleur industrielle sur les trois grandes régions où nous sommes présents.

Nous allons mener des opérations capitalistiques à la fois au niveau du groupe et à celui des filiales. Et il faut dire que l’intérêt actuel pour la géothermie nous aide à trouver les bons partenaires. Enfin, comme je l’ai dit précédemment, nos effectifs vont augmenter très rapidement et avant tout pour la partie forage, car nous allons faire construire de nouveaux équipements et il faudra des équipes pour les mettre en œuvre.

– Est-il possible de voir un jour sous la marque Arverne, un réseau de sociétés associées et spécialisées dans la géothermie de surface et de « détail » qui pourraient équiper les immeubles et les maisons individuelles sur une grande partie du territoire français ?

– Cela fait partie intégrante de notre projet. Je crois à ce type d’approche et à la multiplication nécessaire d’appareils de forage en région et au fait de travailler avec des entrepreneurs locaux. La décarbonation passera par là, par des boucles d’eau tempérées, par des micro-réseaux de chaleur… Elle ne peut pas se faire uniquement avec des réseaux de chaleur importants dans les grandes villes. Il y a aujourd’hui 10 millions de chaudières au fioul en France. Il faut s’attaquer au problème et les remplacer et Arverne est calibré pour cela.

La rédaction