Transitions & Energies
Terres rares Chine

Pour dominer la production de batteries, la Chine contrôle étroitement le marché des terres rares et des métaux stratégiques


La baisse brutale des exportations de terres rares par la Chine l’an dernier n’est pas seulement une conséquence de la pandémie. Il s’agit aussi d’une stratégie pour asseoir la domination chinoise du marché des batteries pour véhicules électriques. En faisant monter les prix et en limitant les quantités de minéraux disponibles pour les concurrents des industriels chinois, cela affecte leur développement et leur compétitivité.

La stratégie économique chinoise consiste à se rendre indispensable au fonctionnement des chaînes d’approvisionnement, notamment dans les domaines clés de la transition énergétique. A savoir les panneaux solaires, les turbines d’éoliennes, les batteries de véhicules électriques et à terme l’hydrogène er plus particulièrement les piles à combustibles, et les réacteurs nucléaires de nouvelle génération.

Les terres rares et les métaux stratégiques offrent un bon exemple de la façon dont une telle stratégie de domination industrielle est mise en place. Il s’agit de minéraux, qui proviennent souvent de mines africaines, mais dont la Chine contrôle de fait le traitement et l’approvisionnement. Ils sont indispensables aux batteries lithium-ion des téléphones portables et des véhicules électriques, aux panneaux solaires et aux aimants des turbines d’éoliennes.

Limiter les approvisionnements des concurrents au moment où les ventes de véhicules électriques s’envolent

Les exportations chinoises de terres rares ont brutalement et fortement baissé l’an dernier à 35.448 tonnes contre 46.330 tonnes en 2019. Leur plus bas niveau depuis 2015. Et pourtant la Chine en produit 140.000 tonnes, les deux-tiers de la production mondiale. La Chine affirme que la baisse de ces exportations est la conséquence de la pandémie. Mais selon un article du magazine Forbes, la réalité est un peu différente. Le recul spectaculaire des exportations de terres rares aurait moins à voir avec la pandémie que la Chine le dit. Il vise à renforcer la domination industrielle chinoise et le contrôle sur le marché des batteries de véhicules électriques au moment même où leurs ventes augmentent rapidement dans le monde. En stockant ces matières premières stratégiques et en limitant leur approvisionnement, la Chine contrôle de fait les prix, favorise ces producteurs nationaux et limite la compétitivité des concurrents étrangers. Voilà une mauvaise nouvelle pour l’Airbus des batteries européen.

«Nous assistons simplement au déploiement des projets du parti communiste chinois intitulés Made in China 2025 et les routes de la soie», affirme Pini Althaus, le Directeur général du projet USA Rare Earth (Etats-Unis terres rares).

Ces deux initiatives stratégiques visent à conforter la domination mondiale de l’industrie chinoise. Cela passe notamment par le contrôle des exportations de matières premières stratégiques afin de maintenir ou accroître la dépendance à l’égard de la production chinoise en limitant ou rationnant les approvisionnements.

«Le déclin des exportations de terres rares est un signe avant-coureur du resserrement du marché. En limitant l’accès, en augmentant les prix, la Chine maintient sa position dominante», ajoute Pini Althaus.

Contrôler toute la chaîne d’approvisionnement, des mines aux usines de traitement

Bon nombre de matières premières que la Chine va extraire hors de ses frontières le sont via des mines exploitées par des sociétés publiques qui les ramènent sur le sol chinois afin de les transformer en métaux et produits utilisables dans l’industrie. Pour la plupart, ces groupes publics le font à perte, mais cela permet de fournir les industries nationales avec des ressources bon marché leur permettant d’être très compétitives sur les marchés mondiaux.

Ainsi, la Chine contrôle, par exemple, 86,5% des exportations de cobalt de la République Démocratique du Congo (RDC). La RDC représente 60% de la production mondiale de Cobalt. Des entreprises chinoises ont investi dans les 12 grandes mines de Cobalt du pays et de fait les contrôlent toutes.

La Chine stocke aussi les terres rares et des minéraux stratégiques pour en réserver l’utilisation à ses propres usines et les favoriser pour faire face à l’augmentation rapide de la demande de véhicules électriques à batteries dans le monde. Le prix de ces minéraux n’est pas du tout le même pour les fabricants chinois de batteries et pour ceux à l’étranger qui les achètent en Chine.

En 2010 déjà, par mesure de rétorsion, la Chine avait bloqué les exportations de terres rares vers le Japon

Emily de La Bruyère, co-fondatrice de Horizon Advisory, un cabinet spécialisé dans l’étude de la stratégie économique chinoise, explique à Forbes que la Chine a «une part de marché suffisamment importante dans des minéraux rares comme le lithium pour avoir un impact externe sur les prix». Deux des plus grands fabricants de cellules de batteries lithium-ion au monde, BYD et CATL sont des groupes chinois.

Cette stratégie chinoise n’est pas nouvelle. En 2010, la Chine avait totalement bloqué les exportations de terres rares vers le Japon du fait du conflit sur la souveraineté en mer de Chine. Les Etats-Unis et le Japon avaient alors porté l’affaire devant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Et la Chine avait cédé et repris ses exportations vers le Japon. Il n’est pas sûr qu’aujourd’hui le rapport de force serait en faveur des Etats-Unis et du Japon.

En plus, limiter des exportations pour satisfaire une demande interne et non pas pour des raisons explicitement politiques n’est pas passible de sanctions de l’OMC. En théorie, la Chine est un importateur net de terres rares, même si ces importations proviennent de mines contrôlées par des entreprises chinoises en Asie et en Afrique et si elles possèdent un quasi-monopole sur le traitement de ces minéraux.

L’Airbus des batteries en difficulté

En faisant le choix stratégique de contraindre les industriels et les consommateurs de passer à la voiture électrique à batteries, les gouvernements européens ont pris un risque considérable. Ils mettent de fait l’industrie automobile européenne sous la dépendance des producteurs chinois de batteries et plus encore des matériaux nécessaires à leur fabrication. Les batteries représentent environ 40% du coût de construction d’un véhicule électrique.

Construire des usines de batteries en Europe ne rendra pas l’Europe plus indépendantes si elles sont contraintes pour fonctionner d’importer des minéraux provenant de Chine. Et les contraintes européennes particulières provenant de la volonté de fabriquer des batteries «propres» pourraient encore compliquer la situation des industriels européens.

La rédaction