Sans sécurité d’approvisionnement énergétique, il n’y a pas de souveraineté. Cela est vrai pour le pétrole, le gaz et d’ailleurs tout autant pour les éoliennes, les panneaux solaires, les pompes à chaleur, les batteries, les véhicules électriques et les minéraux critiques. Une réalité que les pays de l’Union Européenne (UE) ont longtemps ignoré avant de mesurer leur dépendance au gaz russe puis maintenant américain et qatari et aux équipements de la transition énergétique produits massivement dans les usines chinoises.
Les grands discours sur la réindustrialisation, la souveraineté économique et même le réarmement ont peu de chances de se traduire dans les faits si la question de l’approvisionnement énergétique continue à être traitée avec légèreté. Voilà pourquoi plusieurs pays européens sont en train, sans trop le clamer, de changer radicalement de politique sur les hydrocarbures. Plutôt que de les importer à prix élevés, ils vont essayer d’en produire plus eux-mêmes. Si l’Europe veut avoir un avenir industriel, elle ne peut pas continuer à payer son énergie trois fois plus cher que les Etats-Unis et la Chine. La question est particulièrement problématique pour le gaz et plus particulièrement le GNL (Gaz naturel liquéfié) que l’Europe importe maintenant massivement des Etats-Unis pour remplacer le gaz que lui fournissait la Russie par gazoducs jusqu’en février 2022 et l’invasion de l’Ukraine.
Le gaz, épine dorsale des systèmes énergétiques
Tout cela tient au fait que le gaz naturel est devenu aujourd’hui l’épine dorsale des systèmes énergétiques dans le monde. Il est indispensable dans l’industrie et le chauffage des bâtiments et permet de remplacer les centrales électriques au charbon en émettant environ deux fois moins de gaz à effet de serre et au passage de stabiliser et sécuriser les réseaux électriques fragilisés par le caractère intermittent et aléatoire des productions éoliennes et solaires. L’an dernier la demande mondiale de gaz a battu un nouveau record à 4.124 milliards de mètres cubes. Nul doute qu’elle atteindra un nouveau sommet en 2025.
Voilà pourquoi la semaine dernière deux pays membres de l’Union Européenne (UE), la Grèce et l’Italie, et le Royaume-Uni ont changé radicalement de politique et annoncé de nouveaux forages d’exploration pétroliers et gaziers.
Grèce, Italie, Royaume-Uni, Pologne, Norvège
La Grèce a délivré sa première licence d’exploration pétrolière et gazière marine depuis plus de 40 ans à un trio d’entreprises, dont Exxon Mobil. La licence du bloc 2 en mer Ionienne pourrait contenir jusqu’à 200 milliards de mètres cubes de gaz. Le forage devrait commencer fin 2026 ou 2027. Le pays a également accordé à Chevron et à Helleniq Energy des droits d’exploration dans les blocs situés au sud de la péninsule du Péloponnèse. Le gouvernement italien envisage également de relancer l’exploration pétrolière et gazière marine, qu’il avait suspendue en 2019.
Au Royaume-Uni, le gouvernement britannique a assoupli la semaine dernière son interdiction des nouvelles activités d’exploration en mer du Nord. Les compagnies seront autorisées à augmenter leur production dans les champs existants. Et selon l’agence Reuters, Londres devrait donner son feu vert à l’exploitation de deux nouveaux gisements importants dans les mois à venir.
Par ailleurs, une découverte majeure en Pologne de pétrole et de gaz au début de l’année a relancé les perspectives d’exploitation de ressources énergétiques dans la mer Baltique, tandis qu’en Norvège, la compagnie pétrolière publique Equinor prévoit de forer 250 puits d’exploration au cours de la prochaine décennie. Mais la Norvège est vraiment un cas à part. Ce pays qui se veut un modèle en termes de décarbonation de sa production électrique et de conversion record de son marché intérieur aux véhicules électriques doit en partie sa prospérité à ses exportations massives de pétrole et surtout de gaz… Si un pays a le plus profité de la guerre en Ukraine, avec le Qatar et les Etats-Unis, c’est la Norvège!
Encore plus de doutes sur l’engagement européen d’acheter encore plus de GNL aux Etats-Unis
Maintenant, ses différentes initiatives de pays de l’Union Européenne pour produire eux-mêmes des hydrocarbures renforcent les sérieux doutes sur l’engagement pris par l’UE auprès de Donald Trump d’importer toujours plus de GNL américain. Cela ressemble plus à une opération de communication qu’à un accord sérieux.
Les pays européens, certains d’entre eux en tout cas, semblent avoir enfin compris le danger qu’il y a à mettre leur sécurité d’approvisionnement énergétique et leur compétitivité entre les mains d’une puissance, qu’elle soit la Russie ou les Etats-Unis, qui cherche à les dominer et les contraindre. Selon les chiffres d’Eurostat, l’Union européenne dépend des importations de gaz pour 85% de sa consommation à comparer à un pic de production sur son sol qui correspondait à 50% de la demande dans les années 1990 quand les gisements de mer du nord et celui terrestre de Groningue aux Pays-Bas produisaient à plein.
Le premier pays exportateur vers l’Europe de GNL est aujourd’hui de loin les États-Unis. Selon Reuters, les États-Unis fourniront environ 70% du GNL européen entre 2026 et 2029, contre 58% cette année, car l’UE prévoit d’interdire le GNL russe à partir de 2027 et le gaz russe à partir de 2028. Les États-Unis assurent aujourd’hui 16,5% de la consommation totale de gaz de l’UE.
L’UE continue à acheter du gaz à la Russie, faute de pouvoir faire autrement
Et cela ne peut qu’augmenter. La dépendance de l’Europe au GNL américain va grandir en raison de la baisse des stocks et du déclin des flux gaziers en provenance de Russie et d’Algérie. Le continent devra ainsi importer jusqu’à 160 cargaisons supplémentaires de GNL cet hiver. Les importations de GNL passeront de 660 méthaniers en 2024 à 820 cette année.
Il faut souligner qu’en dépit d’une multitude de « paquets » de sanctions européennes contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine, l’UE continue d’acheter beaucoup de gaz à ce pays, faute de pouvoir faire autrement. Moscou était même le deuxième exportateur de GNL vers l’Union en 2024.
Le développement de sources d’énergie fossiles nationales pourrait réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis des importations de gaz et potentiellement diminuer les coûts des combustibles étrangers. Selon l’Institut pour l’économie énergétique et l’analyse financière (IEEFA), l’UE a dépensé environ 225 milliards d’euros pour ses importations de GNL au cours des trois dernières années, dont 100 milliards pour le GNL américain. Ce montant élevé s’explique en partie par le fait que le GNL américain est plus cher pour les acheteurs européens que le GNL provenant d’autres fournisseurs. Et que le GNL est plus cher par nature (il faut le liquéfier, le transporter par méthanier et le regazéifier) que le gaz naturel transporté par gazoduc.
Hypocrisie climatique
Mais cette volonté nouvelle européenne de sécurité d’approvisionnement énergétique illustre aussi l’hypocrisie des grands engagements climatiques. Avec sa dépendance au gaz naturel, on ne voit pas vraiment comment l’UE pourrait atteindre son objectif de réduction de 90% des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2040 par rapport à 1990.
Il y a aussi une sérieuse contradiction avec la promesse faite par l’UE d’acheter davantage de GNL américain. L’administration Trump et l’Union ont conclu un accord commercial dans lequel les pays européens s’engagent à acheter pour 250 milliards de dollars de produits énergétiques américains (principalement du GNL) par an pendant les trois prochaines années. En échange, les États-Unis avaient réduit les droits de douane sur les produits européens de 30% à 15%.
Un engagement absurde qui ne correspond à aucune réalité physique et économique et est totalement déconnecté de la réalité de la production et des marchés de l’énergie. En outre, ce n’est pas Bruxelles qui importe de l’énergie ou en dicte les flux, mais des entreprises privées pour la plupart.
Pour respecter son engagement d’achat de produits énergétiques aux États-Unis chaque année, l’UE devrait s’approvisionner à hauteur d’environ 70% de ses importations énergétiques auprès de ce seul pays. Non seulement, cela crée une dépendance problématique en termes de souveraineté, mais les exportateurs américains n’ont tout simplement pas les capacités suffisantes pour fournir…













