Transitions & Energies

Le surprenant retour du nucléaire au Japon


Qui pouvait imaginer cela? Traumatisé en mars 2011 par l’accident qui a détruit la centrale nucléaire de Fukushima, le Japon avait décidé de renoncer définitivement à cette source d’énergie. Mais sans elle, le pays aura les plus grandes difficultés à assurer sa sécurité d’approvisionnement électrique et à limiter suffisamment ses émissions de gaz à effet de serre pour tenir ses objectifs de neutralité carbone d’ici 2050. Le gouvernement japonais vient donc d’annoncer à la fois le redémarrage d’un grand nombre de réacteurs à l’arrêt, la prolongation de leur durée de vie et la construction de nouveaux réacteurs pour les remplacer.

Moins de douze ans après l’accident de Fukushima de mars 2011, qui semblait avoir porté un coup fatal et définitif à l’énergie nucléaire, surtout au Japon, Tokyo vient totalement de changer de stratégie énergétique. Le gouvernement conservateur du Premier ministre Fumio Kishida a adopté la semaine dernière une feuille de route visant à la fois à assurer une fourniture stable d’électricité moins dépendante de l’importation d’énergies fossiles et à réduire les émissions de gaz à effet de serre qui redonne une grande importance au nucléaire. Cette nouvelle stratégie a été définie moins de quatre après la mise en place par Fumio du «GX (Green Transformation) Implementation Council» qui regroupe des experts extérieurs et ceux du gouvernement et de l’administration  pour établir une nouvelle politique énergétique permettant à la fois d’assurer la sécurité énergétique et de lui permettre d’atteindre ses objectifs de neutralité carbone d’ici 2050.  Et cela passe par une relance du nucléaire.

Aujourd’hui, moins de 8% de l’électricité consommée par le pays

Avant Fukushima, le Japon possédait 54 réacteurs nucléaires actifs. Aujourd’hui, seuls 10 de ces réacteurs sont en service après avoir effectué de longues et coûteuses remises à niveau de leurs infrastructures pour obtenir le feu vert du régulateur. Ils produisent moins de 8% de l’électricité consommé dans le pays. Cela était parfaitement en ligne avec l’objectif visant à ne plus utiliser l’énergie nucléaire d’ici 2030. Les énergéticiens japonais avaient soumis depuis une décennie des plans de redémarrage de 27 réacteurs et 17 avaient passé les tests de sécurité.

Mais aujourd’hui le Japon a totalement changé de stratégie et ne s’interdit plus rien dans le nucléaire: prolongation de la durée de vie des équipements en service, relance d’une partie des centrales à l’arrêt et construction de réacteurs de nouvelle génération. Le plan a été approuvé par la Nuclear Regulation Authority (NRA), l’autorité de sûreté nucléaire nippone. L’objectif ambitieux est d’arriver à un mix électrique comprenant pas moins de 20 à 22% de nucléaire d’ici à la fin de la décennie. Cela représente 27 réacteurs en fonctionnement. La plupart des réacteurs japonais ont aujourd’hui plus de 30 ans. Ceux qui le peuvent seront prolongés tous les 10 ans. Les plus vieux réacteurs obtiendront une seule prolongation et seront ensuite remplacés par des réacteurs de nouvelle génération. Quatre réacteurs âgés de plus de 40 ans ont reçu l’autorisation de redémarrer et l’un d’entre eux est aujourd’hui en service.

Redémarrer une bonne partie des réacteurs mis à l’arrêt

La principale raison pour laquelle le Japon revient à l’électricité nucléaire est climatique. Avec la mise à l’arrêt de tout son parc nucléaire après Fukushima, le Japon a augmenté considérablement sa consommation de charbon, de gaz naturel et de mazout, ce qui l’a fait sortir de sa trajectoire de neutralité en carbone d’ici 2050. À cela s’ajoute maintenant la crise énergétique qui non seulement fait grimper le prix de factures mais crée de sérieux problèmes de sécurité des approvisionnements. Le Japon est très dépendant des importations de gaz russe et ne dispose dans son sous-sol d’aucune ressource fossile. Les coupures de courant répétées à Tokyo après Fukushima ont marqué les esprits.

La première étape va donc consister à redémarrer un grand nombre de réacteurs aujourd’hui à l’arrêt et à prolonger leur durée de vie à 60 ans et même au-delà, le temps de développer et construire des centrales de nouvelle génération. D’ici fin 2023 ou début 2024, cinq réacteurs supplémentaires seront remis en service.

Désormais, les exploitants pourront demander, après quarante années d’exploitation, des extensions de dix ans mais devront passer par une grande revue décennale de sûreté avant de recevoir le feu vert de la NRA. Un système très comparable à ce qui se fait en France avec les opérations dites de grand carénage permettant de prolonger de dix ans l’exploitation des réacteurs.

Construire des «réacteurs innovants» pour remplacer ceux qui ne seront pas relancés

Les nouvelles règles devraient permettre d’exploiter les centrales au-delà de la limite des soixante ans même si ce plafond symbolique ne sera pas effacé de la future loi pour ne pas provoquer une trop grande opposition. Mais il y a une astuce. Pour gagner un peu de temps d’exploitation, le gouvernement va modifier les modalités de calcul de l’âge des réacteurs. Les longues phases d’arrêt, liées notamment aux contrôles de sécurité du régulateur, ne seront plus comptées comme du temps d’exploitation. Plusieurs tranches, dont celles mises à l’arrêt par précaution après la destruction de la centrale Fukushima, vont ainsi gagner plusieurs années de vie légale.

La feuille de route du gouvernement japonais stipule également le développement et la construction d’une «nouvelle génération de réacteurs innovants» afin notamment de remplacer les 20 réacteurs du parc existant qui ne seront pas remis en service. Parmi les nouveaux réacteurs envisagés, il y a à la fois des petits modulaires dits SMR, mais il y a de sérieux doutes sur la capacité des autorités à convaincre des villes d’accepter de nouvelles centrales compte tenu de l’histoire difficile du pays avec le nucléaire. Le plus vraisemblable est la construction de tranches puissantes de nouvelle génération sur les sites existants.

La rédaction