Stratégie nationale bas carbone, est-ce que ce monde est sérieux ?

13 décembre 2025

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Stratégie nationale bas carbone, est-ce que ce monde est sérieux ?

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La stratégie nationale bas carbone troisième édition (SNBC 3), que le gouvernement a rendu publique vendredi 12 décembre à l'occasion des dix ans de l'accord de Paris, donne le vertige. Car dès sa publication, elle est obsolète. Pour atteindre son objectif de baisse de moitié des émissions de CO2 d'ici à 2030 par rapport à 1990, elle part d’un postulat incroyable, qui aurait déjà dû se vérifier depuis plusieurs années, celui d’une accélération soudaine de la décarbonation dans les transports, dans le chauffage des bâtiments, dans l’agriculture et dans l’industrie. Mais il n'en est rien. On est dans la pensée magique.

La décarbonation est une nécessité. Elle est même le seul objet de la transition énergétique même s’il est souvent perdu de vue. Mais elle ne peut pas se faire en se donnant des objectifs inatteignables et en s’appuyant sur des modèles construits sur des hypothèses sans fondements déterminées uniquement pour obtenir le résultat voulu. C’est malheureusement le sentiment dominant à la lecture de la stratégie nationale bas carbone troisième édition (SNBC 3), intitulée France nation verte, que le gouvernement a rendu publique vendredi 12 décembre à l’occasion des dix ans jour pour jour de l’accord de Paris… mais avec tout de même près de trois années de retard. Quand la communication et les vœux pieux prennent le pas sur le réel.

La SNBC 3 fait pas moins de 700 pages avec ses annexes et concerne tous les domaines de la vie quotidienne des Français, les transports, le logement, l’alimentation, l’agriculture, l’industrie. Elle a été « mise en consultation » et devrait être définitivement publiée par décret au printemps de l’année prochaine. Elle se veut être l’outil de pilotage de la politique climatique du pays avec pas moins d’une centaine d’actions préconisées. Elle chiffre les objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre de la France et établit une feuille de route secteur par secteur permettant de les atteindre. Elle prévoit une baisse de moitié des émissions de CO2 d’ici à 2030 par rapport à 1990. Ces émissions étaient de 545 mégatonnes équivalent CO2 (MtCO2) en 1990 et doivent revenir à 347 MtCO2 par an pour la période 2024-2028, 265 MtCO2 sur la période 2029-2033 et 192 MtCO2 sur la période 2034-2038. Ces objectifs ne seront pas atteints…

Une trajectoire linéaire depuis 2005

Les émissions étaient de 376 MtCO2 en 2023. Pour respecter l’objectif de 2030, les émissions devraient baisser de 5% en moyenne chaque année entre 2024 et 2030. Ce qui est considérable. Cela n’a déjà pas été le cas en 2024 (-1,8%) et encore moins en 2025 (-0,8%) selon les estimations du Citepa (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique). Et après 2030, les émissions devraient reculer de 7% par an entre 2030 et 2050!

En fait, la France reste depuis 2005 sur une trajectoire finalement assez linéaire de baisse de ses émissions, hors épisode du Covid-19, de 1,8% en moyenne, soit 8,5 MtCO2. Et il faudrait soudain passer à -15 ou -16 MtCO2 par an. L’accélération à 5% par an est une vue de l’esprit. Elle demanderait des investissements considérables et des contraintes financières, économiques et sociales que le pays est incapable de supporter.

Pensée magique

Dès sa publication, la SNBC 3 est donc obsolète, construite sur du sable. Elle part d’un postulat qui aurait déjà dû se concrétiser depuis plusieurs années : celui d’une accélération soudaine, pour des raisons inconnues, de la décarbonation dans les transports, dans le chauffage des bâtiments, dans l’agriculture et dans l’industrie.

Mais sans cette pensée magique, les objectifs fixés par l’Union Européenne (UE) n’ont aucune chance d’être atteints. Rappelons que subitement, en décembre 2020, la Commission européenne a porté son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à 55% entre 1990 et 2030, contre 40% antérieurement. Il faut ajouter au passage que cet objectif, fixé en pourcentage des émissions et pas en quantité d’émissions par habitant, désavantage particulièrement la France. En 2024, les Français émettaient en moyenne 5,7 tonnes de CO2 par habitant, les Allemands 8,2 tonnes et la moyenne des pays de l’Union était de 7,2 tonnes. Avec son parc nucléaire et ses équipements hydrauliques, la France produit déjà depuis longtemps une électricité décarbonée. Elle était même décarbonée à 95% en 2024, une performance. La France ne peut pas, comme certains de ses voisins, fermer ses centrales à charbon et les remplacer par des centrales à gaz et des éoliennes et voir soudain ses émissions de gaz à effet de serre s’effondrer.

La France ne peut pas non plus espérer des gains considérables dans les transports et plus particulièrement l’automobile parce que son parc de voitures est constitué en grande partie de petits véhicules qui consomment relativement peu. Et il faut y ajouter le fait que son marché des voitures neuves est plus de trois fois plus petit que celui des véhicules d’occasion et que l’âge des voitures en circulation ne cesse de grandir. Pas l’idéal pour renouveler rapidement le parc.

Enfin, du côté de l’industrie les gains ne peuvent pas non plus être très importants puisque le pays s’est désindustrialisé beaucoup plus vite que la plupart des autres pays européens. Si on ajoute à cela une situation des finances publiques extrêmement dégradée qui ne permet pas d’investir massivement dans la décarbonation, on mesure la difficulté de l’exercice.

La trajectoire de baisse des émissions imaginée par la SNBC 3

Source: SNBC 3.

Adoption massive de la voiture électrique et renouveau de l’industrie automobile

Sauf si on vit dans un monde de fantaisie. Comme celui dans lequel on peut réduire de 26% les émissions des transports d’ici à 2030 avec une très forte augmentation du parc de véhicules électriques. Les transports sont le seul domaine dans lequel les émissions n’ont pas baissé en France depuis 1990 tandis qu’elles ont baissé d’un tiers environ dans les autres secteurs. Pour y remédier, la SNBC 3 prévoit donc que 66% des voitures neuves vendues en 2030 seront électriques contre 20% au cours des onze premiers mois de 2025 et que les électriques représenteront alors 15% du parc roulant. Et l’électrification concernera en 2030 pas moins de 100% des bus et cars et 50% des camions. Par quel miracle ? Mieux encore le pays fabriquera alors sur son sol 2 millions de véhicules électriques par an avec un véritable renouveau de l’industrie automobile… Et ce n’est pas tout, le document prévoit aussi le doublement de la part modale du fret ferroviaire et une augmentation de 50% du fluvial d’ici à 2030 par rapport à 2019.

La révolution des transports selon la SNBC 3

Screenshot

Source: SNBC 3.

Dans le bâtiment, dont les baisses d’émissions n’ont jamais été au rendez-vous depuis plus d’une décennie et dont les dispositifs publics dispendieux et inefficaces du type MaPrimRénov’ et le DPE n’ont cessé d’être corrigés, le plan fixe à 60% l’objectif de réduction des émissions avec la disparition de 60% des chaudières au fioul dans le résidentiel et de 20% des chaudières à gaz… grâce à l’installation de 8,8 millions de pompes à chaleur.

Des questions sans réponses

Il y a encore plus fort avec l’industrie. Elle a émis 63 MtCO2 en 2023. La baisse des émissions est fixée à 68% d’ici à 2030 et 97% d’ici à 2050. Pour y parvenir, rien de plus facile sur le papier. Il faut décarboner les processus industriels qui peuvent l’être (acier vert sans coke, réduction du clinker dans les cimenteries) et augmenter la part d’électricité dans le mix énergétique des industriels français. Comment seront financés les investissements ? Quelle sera la compétitivité de technologies de substitution qui sont pour la plupart expérimentales ? Les prix de l’électricité seront-ils suffisamment attractifs ? Des questions sans réponses. Tout comme celle du coût des techniques de capture et de stockage du carbone (CCS) qui doivent permettre d’éliminer entre 4 et 8 MtCO2 en 2030, et 20 à 30 MtCO2 d’ici à 2050.

Mais la plus grande interrogation concerne le financement public sur lequel la SNBC 3 ne s’interroge pas! La décarbonation préconisée nécessite 80 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an d’ici à 2030 (par rapport à 2024) que les contribuables et les consommateurs devraient payer dans un pays appauvri, surendetté et surimposé. Est-ce que ce monde est sérieux?

Le plus incroyable avec cette SNBC 3 est que le gouvernement se félicite d’avoir pour sa rédaction « associer les parties prenantes (scientifiques, collectivités, entreprises, associations) dans un comité, des ateliers et des groupes de travail sur les hypothèses et leviers de décarbonation » et de s’être appuyé « sur des milliers d’hypothèses issues de la concertation et sur des modélisations sectorielles des principales évolutions d’activité… ». Pour quel résultat?

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