Transitions & Energies
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La réforme du code minier est une catastrophe pour l’avenir de la géothermie


La loi climat et résilience a pour vocation d’accélérer la transition énergétique et le remplacement des énergies fossiles. Mais la réforme du code minier revient à lourdement handicaper la géothermie, énergie renouvelable, propre et non intermittente. Cherchez l’erreur… Une tribune de Jean-Jacques Graff, Président de BYGéo SAS et Président de l’AFPG (Association française des professionnels de la géothermie).

L’Assemblée nationale a adopté en première lecture la Loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Ce projet de Loi inclu dans ses articles 20 et 21 les éléments mettant une touche finale à la réforme du Code minier en chantier depuis de nombreuses années. Quels impacts pour la géothermie?

La géothermie a déjà connu en 2019 quelques réformes, principalement dans la gestion des titres miniers et ce au travers de la Loi ESSOC. Ces modifications, étroitement discutées avec la filière, ont apporté quelques améliorations dans les procédures assez complexes permettant l’obtention des titres d’exploration et d’exploitation. Elles ont aussi monté le niveau d’exigence pour les opérateurs et induit une mise en concurrence plus sévère à la fin de la période d’exploitation. Enfin, l’essentiel de la réforme de 2019 a consisté à améliorer l’information du public et les exigences environnementales. Qui peut s’y opposer?

Les mêmes contraintes que l’exploitation de mines d’or ou de nickel

La réforme du Code minier actuellement en cours étend à l’ensemble des activités minières ces derniers principes déjà retenus pour la géothermie. On ne pourrait que s’en féliciter.

Malheureusement, la réforme en cours a rajouté des contraintes supplémentaires à la géothermie qui est considérée à l’égal de l’extraction de l’or en Guyane ou du nickel en Nouvelle-Calédonie. La mesure la plus impactante est la garantie trentenaire qui impose à l’opérateur de suivre les ouvrages durant 30 ans après la fin de leur exploitation. Cette contrainte à elle seule risque de plomber toute une filière. Normalement lorsqu’un puits est en fin d’exploitation, il est rebouché selon un protocole strict et contrôlé par les autorités, il est ensuite rendu au propriétaire du sous-sol, à savoir l’Etat. D’après ce projet de Loi, il faudrait contrôler l’ouvrage durant 30 années après sa fin de vie, ce qui voudra dire maintenir une activité durant de longues années sur un site, ce qui se traduira par une charge d’autant plus conséquente que l’opérateur aura eu de centrales en exploitation.

Obstacles réglementaires, administratifs et politiques

Un autre point de difficulté qui pointe à l’horizon est le recours à plus d’information et plus d’implication du public et des collectivités. C’est en soi une très belle et noble attention, mais dans la pratique c’est la porte ouverte à de nouvelles difficultés auxquelles l’opérateur devra faire face : le syndrome des périodes électorales locales! De nombreux acteurs l’ont vécu et cela ne se passe pas seulement en géothermie, il y en a également pour l’éolien qui défigure le paysage, la biomasse qui rejette des fumées nocives, les méthaniseurs aux relents nauséabonds ou les capteurs solaires qui occupent des hectares de terrain. On veut bien des énergies renouvelables, mais loin de chez nous.

La peine supplémentaire pour la géothermie est que le sous-sol, cet inconnu, suscite assez facilement des angoisses auprès de la population. Alors, des candidats peu scrupuleux se drapent de la tenue de chevalier pour mener une campagne contre la géothermie accusée de tous les maux. Aussi, un événement comme celui de Strasbourg fin 2020 leur apporte de l’eau à leur moulin; on ne discute plus de manière rationnelle pour comprendre ce qui s’est passé et trouver les parades, mais on bascule sur l’émotionnel et là il est difficile de convaincre. On oublie qu’il n’y a pas de dégâts humains, pas de catastrophe de grande ampleur et on ouvre la porte à tous les pseudo-experts qui en surfant sur internet prédisent l’apocalypse.

Ne pas développer la géothermie, une faute pour la transition

Nous verrons bien ce qu’il adviendra de cette réforme. Il est difficile de se prononcer à ce stade. Une grosse partie du travail se fera dans l’ordonnance qui suivra et où la filière pourra faire des propositions pour éviter à ce que la barque trop chargée ne fasse fuir les quelques courageux qui osent encore entreprendre dans ce pays. Autant il est légitime de faire en sorte que les pollutions du sous-sol ne soient plus de mise aujourd’hui, autant aller trop loin dans l’alourdissement des procédures d’instruction ne permettra pas de développer la géothermie au niveau demandé par la Programmation pluriannuelle de l’énergie. Les enjeux climatiques sont énormes, la géothermie ne pèse qu’environ 0,3% de la chaleur renouvelable qui elle-même représente 20% de la chaleur produite annuellement en France. On peut mesurer le chemin qui reste à parcourir. La géothermie peut tant apporter pour aider à la transition écologique, thème autour duquel on a tant communiqué ces dernières années au point d’en avoir donné le nom à un ministère. Elle peut, non seulement prendre une très grande part de la production d’énergie fossile, mais elle peut aussi créer de nouveaux emplois dans de nombreux secteurs industriels et agroalimentaires où la chaleur représente un poste de dépenses important.

La production de lithium, victime collatérale

Une autre filière naissante risque également de pâtir de ces lourdeurs, c’est la production de lithium. C’est une filière très prometteuse, plusieurs projets portés par des acteurs français sont en cours de tests. Les quantités disponibles dans les eaux de certaines régions françaises sont gigantesques et compte tenu qu’il faut extraire le lithium à des températures plutôt basses, le mariage de raison entre la géothermie et le lithium paraît tout naturel. Nous n’avons pas encore évoqué les instructions de ce nouveau type de permis avec les pouvoirs publics, nous savons que cela va poser des problèmes avec la nécessité de superposer des titres miniers qui n’auront pas forcément ni le même périmètre, ni les mêmes échéances temporelles… un vrai casse-tête à venir.

Sans compter la baisse des effectifs dans la Fonction publique n’arrange pas arranger nos affaires, il faudra savoir patienter quelques longs mois voire quelques années avant de mettre en service des centrales géothermiques.

En Allemagne de grosses ambitions sur la production du lithium géothermal ont permis de mobiliser de gros financements, les permis d’exploration fleurissent à une vitesse qui fait rêver de l’autre côté du Rhin. Ou bien la Serbie, petit pays où le développement de la géothermie chaleur est une des priorités du gouvernement, où les durées d’obtention des permis d’exploration se comptent en semaines. On n’ose même pas y songer…

Si nos dirigeants souhaitent réindustrialiser le pays et développer fortement les énergies renouvelables, il faut alors doter les pouvoirs publics d’outils plus efficaces et plus souples que ceux qui existent actuellement. Un vrai Plan Marshall des énergies renouvelables devrait impulser des actions qui permettraient de développer de nouveaux pans industriels et donner de l’espoir à une jeunesse de plus en plus inquiète et durement touchée par la crise sanitaire qui fait rage depuis une année. Cette crise a eu au moins l’avantage de mettre en exergue la fragilité des pays, comme la France, qui se sont fortement désindustrialisés durant les dernières décennies.

Il est tant de prendre le virage pour retrouver la trajectoire que nous avons perdue et ne pas repousser nos objectifs 2030 à 2050, car quand nous serons en 2050, on les repoussera à 2060, etc… jusqu’à ce que!

La rédaction