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Les réacteurs nucléaires français ne sont pas seulement affectés par de la corrosion sous contrainte


La découverte d’une fissure très importante sur la soudure d’une canalisation du réacteur numéro 1 de la centrale de Penly montre que les problèmes de maintenance des 56 réacteurs du parc nucléaire français vont au-delà des questions de corrosion sous contrainte découvertes en 2021. Cette corrosion sous contrainte a pour origine un défaut de conception des réacteurs les plus récents entraînant des contraintes physiques sur les matériaux et l’apparition de fissures. A Penly, les premiers éléments indiquent que le point faible serait certaines soudures se trouvant sur un circuit de refroidissement d’urgence qui ont été «réparées» ou «retouchées» lors de la construction de la centrale. Pour autant, le risque est extrêmement limité. Il existe à Penly quatre circuits redondants permettant de refroidir le réacteur et capables chacun de le faire seul. Et les analyses n’ont pas montré de défaillance sur les trois autres.

Les phénomènes de corrosion sous contrainte n’en finissent pas d’empoisonner EDF et d’alimenter l’incertitude sur la capacité de production électrique de la France. Après l’épisode de 2022 qui a vu l’ensemble des quatre réacteurs du palier N4 (les plus récents et plus puissants, 1.500 MW) mis à l’arrêt pour des fissures détectées sur leur système d’injection de sécurité (circuit RIS), il a été décidé de changer, avant fin 2023, l’ensemble des circuits concernés sur ce palier et le palier précédent, le P’4 de 1.300 MW.

La centrale normande de Penly (voir la photographie ci-dessus) possédant deux réacteurs du palier P’4 a été mise alors à l’arrêt, la dépose des circuits concernés a eu lieu et, une fois la découpe achevée, ceux-ci ont été envoyé au LIDEC, le laboratoire d’analyse des matériaux d’EDF situé sur le site de Chinon. Ce laboratoire, inauguré en 2015, est spécialisé dans l’analyse des matériaux composant la tuyauterie mais aussi l’analyse des soudures permettant de fixer les pièces les unes avec les autres.

Des soudures «réparées» ou «retouchées» lors de la construction de la centrale

A la suite de ces analyses, EDF a annoncé cette semaine la détection de plusieurs nouvelles fissures sur ces circuits. L’une d’elle, sur l’une des boucles de Penly 1, a particulièrement fait parler de par son ampleur: 15cm de longueur pour 23mm de profondeur sur une épaisseur totale de 27mm. Mais il s’agit, et c’est loin d’être rassurant, d’un problème différent de celui de la corrosion sous contrainte.

La corrosion sous contrainte initialement détectée avait pour origine principalement un défaut de conception du circuit concerné entraînant des contraintes physiques sur les matériaux et l’apparition de fissures. Les premiers éléments indiquent ici que le point faible serait certaines soudures. Et pas n’importe quelles soudures. Mais des soudures dites «réparées» lors de la construction du réacteur de Penly qui a été lancée en 1982 et qui est entré en service en 1990

Les soudures sur des organes si sensibles doivent être strictement conformes à un cahier des charges extrêmement précis. Pour cela, chaque soudure est contrôlée par radiographie et différents procédés. Si la soudure inspectée présente des non conformités par rapport à ce cahier des charges, il était alors autorisé de la reprendre, au maximum deux fois, avant d’être entièrement refaite. Il semblerait donc que les soudures ayant été «retouchées» sont celles sur lesquelles se trouvent les fissures détectées.

Aujourd’hui, il n’est plus possible de «réparer» une soudure existante, elle doit être refaite

Pour l’instant, cette affaire n’appelle que des suppositions en attendant des analyses complémentaires, mais face à l’instrumentalisation de certains tentant d’expliquer que ces découvertes sont de nature à remettre en question à la fois l’existence des centrales existantes mais aussi le programme de nouvelles constructions, il convient de rappeler certaines vérités.

La première est que ces fissures ont été découvertes sur des circuits déjà démontés et en cours de remplacement, d’un réacteur à l’arrêt et en l’absence de combustible. Il n’y a jamais eu de détections similaires sur des réacteurs en fonctionnement. Le changement -déjà prévu- du circuit concerné fait au passage disparaître la fragilité.

Le deuxième point est que ce genre de choses n’est plus possible aujourd’hui. Tout simplement parce qu’aucune réparation ou retouche n’est autorisée. Une soudure non conforme doit être reprise intégralement. Ce sera notamment le cas concernant la conformité des soudures pour l’installation des nouveaux circuits.

Quatre boucles à Penly permettant le refroidissement d’urgence et chacune peut le faire seule

La troisième chose est que cette fissure, du fait de son importance, entraîne très clairement un risque de rupture du circuit concerné. Il faut cependant rappeler que ce circuit n’est pas nécessaire au fonctionnement normal du réacteur: il n’a pour objectif que l’injection d’eau borée en cas de défaillance du circuit de refroidissement afin de stopper la réaction nucléaire. Ce circuit est aussi redondant: il existe au moins deux boucles permettant, en cas de défaillance de l’une d’elle, d’assurer pleinement son rôle malgré tout. Le palier P’4 en compte même quatre! Chacune dimensionnée de façon à être capable seule d’assurer l’intégralité de la fonction.

Ainsi, même en cas d’accident et de rupture de la boucle concernée, le réacteur aurait malgré tout eu la capacité d’assurer son arrêt en toute sécurité. Il faudrait un incroyable concours de circonstances pour que les quatres boucles soient poussées à la rupture au même moment. Et que, simultanément, tous les autres systèmes de sécurité soient défaillants. Une probabilité infime. Or, les analyses n’ont pas montré de fissures sur les autres boucles. La sécurité était donc assurée malgré tout.

Le quatrième et dernier point est que cette centrale n’est pas la seule sur laquelle des soudures ont dû être reprises à la construction et -de facto- pas la seule à être potentiellement sensible au même phénomène. Mais si des soudures réparées existent sur plusieurs réacteurs de tous paliers, d’après nos sources, leur nombre reste très minoritaire. Ce qui corrobore les propos de l’ASN pour qui les vérifications ne devraient pas entraîner d’arrêt massif du parc à l’instar de ce qu’a connu l’année 2022 suite à la détection de la corrosion sous contrainte.

Incertitudes sur la production électrique française en 2023 et 2024

Pour conclure, il faut rappeler que si ces nouvelles fissures n’entraînent pas de danger immédiat comme tentent de le faire croire certains, elles restent incompatibles avec l’objectif de sécurité des installations nucléaires en France. Et à ce titre, EDF dévoilera dans les prochains jours une adaptation de son plan de réparation des circuits touchés par la corrosion sous contrainte.

Ce plan sera à suivre, car dès cette annonce, le prix de vente de l’électricité en livraison 2024 a significativement augmenté, les marchés anticipant une nouvelle période d’indisponibilité du parc nucléaire français et par conséquent une baisse de la production attendue…

Philippe Thomazo

La rédaction