Transitions & Energies
Nord Stream 2

Qui a fait sauter les gazoducs NordStream?


La vérité est ailleurs et risque de l’être encore pour quelques temps. Trois enquêtes officielles ont été lancées par l’Allemagne, le Danemark et la Suède depuis le sabotage il y a un an presque jour pour jour des gazoducs NordStream 1 et NordStream 2 reliant directement la Russie à l’Allemagne et l’Europe de l’ouest via la mer Baltique. Mais nous sommes loin d’avoir des vérités officielles. Trop de pays avaient intérêt à détruire les NordStreams et ont toujours intérêt aujourd’hui à semer la confusion. La destruction des gazoducs a en tout cas scellé de fait la fin d’une époque, celle de la dépendance de l’Europe de l’Ouest et plus particulièrement de l’Allemagne aux importations massives de gaz russe.

Il y a un an presque jour pour jour, le 26 septembre 2022, trois explosions successives à quelques heures d’intervalle d’une intensité allant jusqu’à 2,5 sur l’échelle de Richter créaient trois brèches distinctes à une profondeur allant de 80 à 110 mètres sur les gazoducs russes de 1.200 kilomètres NordStream 1 et NordStream 2 posés au fond de la mer Baltique. Des gazoducs qui reliaient directement la Russie à l’Allemagne et l’Europe de l’Ouest et dont la version 2 qui venait juste d’être terminée et avait coûté la bagatelle de 11 milliards de dollars n’étaient pas encore entrée en service. Son existence même permettait de contourner totalement l’Ukraine et la Pologne pour approvisionner en gaz la partie la plus riche de l’Union Européenne.

Trois enquêtes officielles

Depuis les hypothèses sur l’origine du sabotage se sont multipliées mais aucune réponse définitive n’a été apportée. Qui l’a fait : les Ukrainiens, les Américains, les Russes, les Anglais, les Danois, les Norvégiens, les Polonais, les Suédois, une équipe privée de haut vol? Depuis un an trois enquêtes officielles ont été lancées en Allemagne, au Danemark et en Suède et les spéculations et théories se multiplient. Une seule certitude, ce n’était pas une opération facile à la portée d’un simple commando d’hommes grenouille. Les canalisations étaient fabriquées en acier de haute qualité avec des épaisseurs de paroi allant de 26,8 à 34,4 millimètres et protégées par des coffrages en béton. Et il a fallu en faire sauter trois à quelques heures d’intervalle. Pour le reste, les potentiels suspects sont finalement assez nombreux et tous avec de bonnes raisons. Et nombre d’entre eux ont intérêt à entretenir la confusion…

Pour Seymour Hersh, célèbre journaliste américain spécialiste des questions militaires et des révélations retentissantes plus ou moins étayées, les forces spéciales américaines ont mené l’opération. Il affirme que des plongeurs de l’US Navy ont placé les explosifs lors du 51ème BALTOPS22, un exercice de l’OTAN impliquant «47 navires, 89 avions et 7.000 personnes en mer Baltique» qui s’est déroulé un peu plus de trois mois avant les explosions. Mais trois mois c’est long. En tout cas, des déclarations du Président américain Joe Biden alimentent facilement cette hypothèse.

Les menaces de Joe Biden

Il avait déclaré en février 2022, lors d’une conférence de presse aux côtés du chancelier allemand Olaf Schultz, que si la Russie envahissait l’Ukraine, il ferait en sorte «qu’il n’y ait plus de NordStream 2, nous y mettrons un terme». Lorsqu’un journaliste lui avait demandé comment il comptait s’y prendre puisque Nord Stream 2 était sous le contrôle de l’Allemagne, il avait répondu: «je vous promets que nous serons à la hauteur de la situation. Je vous promets que nous serons en mesure de le faire».

Evidemment, la Russie affirme que les Etats-Unis et l’OTAN sont responsables. Mais Moscou a aussi quelques raisons de détruire le gazoduc. Pour signifier aux Européens et plus particulièrement aux Allemands qu’il n’y aura plus de retour en arrière et en sachant de toute façon que les gazoducs étaient condamnés à l’inactivité. La Russie a dans l’histoire souvent adopté la politique dite de la «terre brûlée».

Le mystérieux voyage de l’Andromeda

Les enquêteurs allemands ont découvert qu’un voilier de 15 mètres, l’Andromeda, a navigué près du lieu de l’explosion à peu près au moment où l’on pense que les explosifs ont été mis en place, soit quelques jours avant les sabotages. Les six membres de l’équipage voyageaient apparemment avec des passeports falsifiés et les enquêteurs allemands ont trouvé à bord des traces d’un explosif, l’octogène, qui fonctionne sous l’eau. Il semble que le navire ait été loué en Allemagne à Rostock par une société polonaise dirigée par une Ukrainienne. Le New York Times et le Wall Street Journal ont suggéré que l’Andromeda pourrait avoir été utilisé par des commandos Ukrainiens, ce qu’affirment également les médias allemands Die Zeit et ARD. «Des traces d’ADN ont été trouvées à bord, traces que l’Allemagne a essayé de faire correspondre à au moins un soldat ukrainien», écrit le Wall Street Journal.

Le Washington Post a écrit par ailleurs qu’un projet ukrainien de sabotage était connu de la CIA avant les faits, dès le mois de juin 2022. Une agence de renseignement européenne aurait transmis l’information aux services américains. L’ancien patron de Naftogaz, la société nationale de gaz ukrainienne, n’avait-il pas prédit que quand la construction de NordStream 2 serait terminée, la Russie envahirait l’Ukraine!

Le problème avec la piste Andromeda est que d’après plusieurs experts, la mise en place des explosifs aurait été techniquement très difficile à mener par une petite équipe de six personnes sur un tel bateau de plaisance sans une aide  significative de navires militaires à proximité.

D’autres enquêteurs ont découvert que le navire militaire danois P524 Nymfen et plusieurs navires militaires russes se sont approchés du lieu de la détonation à la même heure le 21 septembre. Étrangement, tous ont éteint leurs transpondeurs et ont donc échappé aux surveillances par satellites. Le 22 septembre, un avion de reconnaissance suédois et une corvette suédoise ont également convergé vers la même zone.

L’enquête danoise semble favoriser la piste russe. L’armée danoise dispose notamment de photographies du navire russe SS-750, incluant un sous-marin de poche, en mer Baltique, 4 jours avant le sabotage.

Que faisait le Minerva Julie?

Puis il y a encore une autre piste, celle du Minerva Julie, un navire de 180 mètres battant pavillon grec et chargé de pétrole russe. Il se dirigeait vers Rotterdam lorsqu’il s’est soudainement arrêté et a navigué exactement dans la même zone pendant sept jours. Il attendait officiellement des instructions de livraison. Mais le navire a finalement fait demi-tour et s’est dirigé vers Tallinn et Saint-Pétersbourg au lieu de Rotterdam.

Comme dans un roman d’espionnage bien fait, il y a de nombreux suspects ayant tous à la fois des mobiles convaincants et des alibis plausibles… La confusion est d’autant plus grande, et entretenue, que les trois enquêtes officielles ne partagent apparemment aucune information et évidemment ne sont pas, pour le moment, rendues publiques. Il va falloir être patient pour connaître peut-être la vérité…

La rédaction