Transitions & Energies

«Psychologiser» l’adversaire: une technique qui fait toujours recette


Nous avons reçu à la suite de la publication la semaine dernière de l’article «L’erreur de raisonnement à l’origine du déni du changement climatique» une réponse de Benoît Rittaud, président de l’Association des Climato-Réalistes, que nous publions. Parce que Transitions & Energies est pour le pluralisme des opinions et n’entend pas, dans les domaines de la transition énergétique, considérer qu’il y a des idées acceptables et d’autres qui ne le sont pas.

Si l’autre n’est pas d’accord c’est que quelque chose ne va pas dans sa tête. Très prisée en URSS pour interner les dissidents, cette technique perdure encore aujourd’hui, sous une forme heureusement très adoucie mais qui n’en est pas moins un travestissement tout à fait regrettable de la science de l’âme humaine. Ainsi d’un article paru dans The Conversation, hélas repris par Transitions & Énergies, qui prétend que le climato-réalisme se réduit à du «confort intellectuel» et à du «simplisme».

Tout d’abord, l’article ne définit absolument pas son objet. Pour tout dire, il n’en a visiblement qu’une vision très lointaine et stéréotypée. Les climato-réalistes sont indifféremment désignés comme «ceux qui considèrent le changement climatique comme un complot», comme les «négationnistes du changement climatique» ou encore comme les «opposants à l’action climatique».

On peut croire au caractère naturel des changements climatiques tout en voulant agir

Un minimum de connaissances sur le sujet montre pourtant que ces trois catégories sont évidemment distinctes. On peut contester l’existence d’une crise climatique sans pour autant voir dans la peur collective le résultat d’un complot, on peut croire au caractère naturel des changements climatiques tout en voulant agir sur ce qui se passe, et ainsi de suite. Et il y a bien d’autres nuances entre les climato-réalistes, incarnées par des noms tout ce qu’il y a de sérieux comme Judith Curry, Richard Lindzen, Steven Koonin ou encore, comme annoncé il y a quelques jours, John  Clauser (prix Nobel de physique 2022).

Qu’il y ait des propos inconséquents sur les réseaux sociaux est aussi inévitable s’agissant du climato-réalisme que d’à peu près n’importe quel sujet. On peut bien se concentrer dessus pour faire de la critique facile, mais pour le coup s’il y a bien une notion de psychologie à invoquer dans ce cas-là, c’est celle du biais de confirmation.

Il est par ailleurs assez étrange que l’auteur, qui prétend pourfendre le simplisme, croit lui-même pouvoir réduire un phénomène aussi complexe que le climato-réalisme à une cause psychologique unique, à savoir un mode de pensée binaire. Il ne donne pourtant aucun exemple tangible précis d’une telle pensée. Même les tweets de Donald Trump ne sont pas explicités. Ils ont pourtant le mérite d’être effectivement simplistes (comme tant de tweets de tous bords), mais comme ils ne sont pas cités il est difficile de savoir si le simplisme en question appuie effectivement le propos ou non.

Dépeindre l’autre comme un méchant pour se persuader qu’il a tort

Les choses ne sont pas aidées par le fait que l’auteur confond différents simplismes, notamment deux d’entre eux: psychologique et scientifique. Le premier s’illustre par exemple dans le complotisme, qui donne une explication facile et universelle à tout ce qu’on veut. Disserter sur le climat en expliquant, comme le fait l’auteur, que «de puissants intérêts économiques sont à l’œuvre», expédiant les «campagnes de désinformation» en cinq lignes sans aucun élément précis est par exemple une façon classique de flatter le complotisme qui accompagne généralement la peur climatique: dépeindre l’autre comme un méchant comme moyen de se persuader qu’il a tort.

Le simplisme scientifique, lui aussi, se décline de différentes manières: se contenter de trop peu de données pour conclure, prendre la partie pour le tout… L’auteur cite bien entendu les bêtes climato-réalistes qui utilisent une vague de froid pour «démontrer» l’inexistence du réchauffement, mais se garde bien de citer les exemples symétriques tout aussi nombreux de vagues de chaleur abondamment utilisées par les médias comme autant de «signes» ou d’«illustrations» du réchauffement…

Une nouvelle Inquisition

En fait, on pourrait réécrire à peu près tout l’article de Jeremy Shapiro en en inversant la cible. La «psychologie» serait cette fois invoquée contre l’alarmisme climatique, cela flatterait les climato-réalistes, mais l’exercice de style n’aurait évidemment pas beaucoup plus de valeur intellectuelle.

Le seul point qu’on ne pourrait pas réécrire en inversant la conclusion porte sur le fameux «consensus». Certes, celui-ci n’est pas aussi net que l’auteur veut le croire, aux noms éminents cités plus hauts s’en ajoutant beaucoup d’autres qui préfèrent rester discrets voyant ce qui s’est passé pour ceux qui osent parler tout haut (Peter Ridd de l’université James Cook, Stuart Kirk d’HSBC, David Malpass de la Banque mondiale, pour ne citer que quelques cas récents). Mais cela ne change de toute façon pas grand chose: en admettant même l’idée d’une science institutionnelle favorable au GIEC, il est extrêmement dangereux de prétendre psychologiser les dissidents sur une telle base. À moins bien sûr de vouloir faire de l’institution scientifique une nouvelle Inquisition.

Benoît Rittaud

La rédaction