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L’erreur de raisonnement à l’origine du déni du changement climatique


Ceux qui contestent l’existence même du changement climatique simplifient le monde, pour des raisons de confort intellectuel, et réduisent sa compréhension à deux alternatives, blanc et noir. Ainsi, l’existence de vagues de froid démontrerait que le réchauffement n’existe pas. En fait, il faut accepter que le monde est bien plus compliqué que nous le voudrions. Des thèses simplistes et faciles affirmant que la question climatique est un complot, ou à l’opposé que détruire la civilisation moderne réglera le problème climatique, ne mènent nulle part.

Les vagues de froid amènent souvent ceux qui considèrent le changement climatique comme un complot à se manifester en force sur les médias sociaux, avec des hashtags tels que #ClimateHoax et #ClimateScam. L’ancien président Donald Trump y a pris sa part, affirmant à plusieurs reprises que chaque vague de froid prouve l’inexistence du réchauffement climatique.

D’un point de vue scientifique, ces affirmations sont absurdes. Les fluctuations météorologiques ne réfutent pas les tendances à long terme du climat. Pourtant, de nombreuses personnes croient en ces affirmations, ce qui a eu pour conséquence politique de réduire la volonté de prendre des mesures pour atténuer le changement climatique.

Pourquoi tant de gens sont-ils sensibles à ce type de désinformation? Mon domaine, la psychologie, peut contribuer à l’expliquer et aider les gens à éviter d’être induits en erreur.

Penser en noir et blanc, simple et rassurant

Un examen approfondi des arguments avancés par les négationnistes du changement climatique révèle la même erreur commise à maintes reprises. Cette erreur est une erreur cognitive connue sous le nom de «pensée en noir et blanc », également appelée « pensée dichotomique » ou « pensée du tout ou rien». Comme je l’explique dans mon livre «Finding Goldilocks», la pensée en noir et blanc est une source de dysfonctionnements aussi bien dans le domaine de la santé mentale que dans le relationnel ou le politique.

Les gens y sont souvent sensibles car, dans de nombreux domaines de la vie, la pensée dichotomique apporte quelque chose d’utile. Elle simplifie le monde. La pensée dichotomique est facile à gérer parce qu’il n’y a que deux possibilités à prendre en compte. Lorsque les gens sont confrontés à un éventail de possibilités et de nuances, ils doivent fournir un effort mental plus important. Mais lorsque ce spectre est réduit à deux positions opposées, les choix sont clairs et plus faciles.

Ce dispositif d’économie d’effort mental est pratique dans de nombreuses situations quotidiennes, mais c’est un mauvais outil pour comprendre des réalités compliquées -et le climat est compliqué.

Parfois aussi, les gens divisent leur spectre mental de façon asymétrique, avec un côté beaucoup plus grand que l’autre. Par exemple, les perfectionnistes classent souvent leur travail dans la catégorie «parfait» ou «insatisfaisant», de sorte que même les bons et très bons résultats sont regroupés avec les mauvais dans la catégorie «insatisfaisant». Avec ce type de raisonnement, une seule exception peut faire basculer le point de vue d’une personne d’un côté ou de l’autre. C’est comme un système de notation «réussite/échec» dans lequel 100% des résultats sont réussis.

Avec un tel système de notation, il n’est pas surprenant que les opposants à l’action climatique aient trouvé des moyens de rejeter la recherche sur le réchauffement climatique, malgré l’existence de preuves accablantes.

Voici comment ils s’y prennent:

Tout ou rien

Les négateurs du changement climatique simplifient l’éventail des consensus scientifiques possibles en deux catégories : 100% d’accord ou pas de consensus du tout. Si ce n’est pas l’un, c’est l’autre.

Une étude de 2021 portant sur des milliers d’articles et de comptes rendus de conférences sur la science du climat a conclu que plus de 99% des études ont montré que la combustion d’énergies fossiles réchauffe la planète. Cela ne suffit pas à certains sceptiques. S’ils trouvent quelque part un scientifique qui ne partage pas l’avis général, ils considèrent que l’idée d’un réchauffement climatique d’origine humaine est controversée et concluent qu’il n’y a pas lieu d’agir.

De puissants intérêts économiques sont aussi à l’œuvre. L’industrie des combustibles fossiles finance depuis des années des campagnes de désinformation visant à semer le doute sur le changement climatique, alors qu’elle sait que ses produits en sont la cause et qu’elle en connaît les conséquences. Les membres du Congrès ont utilisé cette désinformation pour bloquer ou affaiblir les politiques fédérales susceptibles de ralentir le changement climatique.

Attendre une ligne droite dans un monde variable

Dans un autre exemple de pensée en noir et blanc, les négationnistes affirment que si les températures mondiales n’augmentent pas à un rythme parfaitement constant, le réchauffement climatique n’existe pas. Mais les variables complexes n’évoluent jamais de manière uniforme. Elles fluctuent à court terme, même lorsqu’elles présentent des tendances à long terme. La plupart des données financières, telles que les chiffres d’affaires, les bénéfices et les cours de Bourse, sont également soumises à ce phénomène. Les fluctuations à court terme sont inscrites dans les tendances à long terme.

Ces deux graphiques ont la même forme: une tendance de long terme marquée par une forte progression et des fluctuations de court terme. CC BY-ND

Prendre une vague de froid pour une preuve de l’absence de changement climatique, c’est comme prendre un mauvais mois pour l’action Apple pour la preuve qu’Apple n’est pas un bon investissement à long terme. Cette erreur résulte du fait que l’on se concentre sur une toute petite partie du graphique et que l’on ignore le reste à dessein.

Oublier la zone grise

Les négateurs du changement climatique citent également à tort des corrélations inférieures à 100% comme preuve de l’absence de réchauffement climatique d’origine humaine. Ils soulignent que les taches solaires et les éruptions volcaniques influencent également le climat, même s’il est prouvé que ces deux phénomènes ont peu d’influence sur l’augmentation de la température à long terme par rapport aux émissions de gaz à effet de serre.

En substance, les négationnistes affirment que si la combustion des combustibles fossiles n’est pas très importante, elle n’est donc pas importante. Ils ne tiennent pas compte de la zone grise entre les deux affirmations. A savoir que les gaz à effet de serre ne sont en effet qu’un des facteurs de réchauffement de la planète, mais c’est le plus important et le facteur sur lequel l’homme peut avoir une influence.

Les influences dans le temps sur les températures globales. 4th National Climate Assessment

Le climat a toujours changé, pas de cette manière

À mesure que l’augmentation des températures mondiales est devenue évidente, certains sceptiques du changement climatique ont cessé de la nier pour la recadrer. Ils affirment ainsi souvent que «le climat a toujours changé» avec en général un air de sagesse patiente. Sauf que ce propos est construit sur une méconnaissance totale des preuves issues de la recherche sur le climat.

Leur raisonnement est basé sur un binaire invalide: soit le climat change, soit il ne change pas, et comme il a toujours changé, il n’y a rien de nouveau et aucune raison de s’inquiéter. Or, le réchauffement actuel est sans commune mesure avec ce que l’homme a connu jusqu’à présent, et les réchauffements intenses survenus dans un passé lointain ont provoqué des catastrophes planétaires à l’origine d’extinctions massives – ce que nous ne voulons pas répéter.

L’humanité est confrontée au défi du réchauffement climatique et pour y faire face nous devons utiliser toutes nos ressources cognitives. Reconnaître l’erreur de raisonnement à l’origine du déni du changement climatique pourrait désarmer les objections à la recherche sur le climat et faire de la science la base de nos efforts pour préserver un environnement hospitalier pour notre avenir.

Jeremy P. Shapiro Adjunct Assistant Professor of Psychological Sciences, Case Western Reserve University

Cet article est republié à partir de The Conversation (Etats-Unis) sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation (en anglais).

 

La rédaction