Transitions & Energies

La production électronucléaire à l’épreuve de la chaleur


Les 56 réacteurs nucléaires en service en France sont refroidis par de l’eau provenant soit de la mer, soit des fleuves. Cette eau est rejetée à 98%. Ce n’est donc pas la quantité d’eau qui pose problème en cas de canicule et de sécheresse et la sûreté des installations n’est pas affectée. En revanche, la température à laquelle l’eau est rejetée est un facteur essentiel car si sa température est trop élevée, elle peut affecter la biodiversité des fleuves. C’est la raison pour laquelle lors des sécheresses, la puissance de certains réacteurs peut être réduite. Mais l’impact de cette mesure de protection de l’environnement restera limité selon les projections à moins de 3% de la production d’ici 2050.

C’est un débat qui revient, année après année. L’augmentation des périodes de canicule et de sécheresse représenterait un danger pour la production électronucléaire. Soyons clairs: la chaleur et la baisse du niveau des cours d’eau durant la période estivale ont effectivement un impact sur la production électrique du parc nucléaire. Mais contrairement à ce que répètent à l’envi les opposants à l’atome, cet impact est largement documenté et étudié, mais surtout ne remet pas en cause la sûreté des installations.

Afin d’assurer le refroidissement de ses réacteurs, une centrale a besoin d’une source d’eau froide. Il s’agit de la prélever soit dans la mer soit dans un fleuve afin d’assurer le refroidissement des installations, puis de rejeter l’immense partie de cette eau (98% en moyenne) quelques dizaines de mètres plus loin.

Réduire la puissance pour respecter les normes environnementales

Deux cas se présentent: soit la centrale se trouve en bord de mer (14 réacteurs en France), et l’impact d’une éventuelle canicule est nul. Soit celle-ci se trouve au bord d’un fleuve, et dès lors, deux paramètres doivent être surveillés. Le premier est le niveau d’étiage, c’est-à-dire la hauteur et le débit du fleuve afin d’assurer un apport suffisant en eau à la centrale. De ce côté-là, des marges très importantes existent et le risque pour la sûreté est pour ainsi dire nul.

Le second est la température de rejet de l’eau. En effet, une centrale prélève de l’eau en amont à température ambiante, et la rejette en aval avec une augmentation de cette température comprise entre quelques dixièmes de degrés (en cas de circuit fermé, c’est à dire de présence de tours aéroréfrigérantes) à quelques degrés (en cas de circuit dit « ouvert »). Des normes environnementales existent obligeant l’exploitant à rejeter une eau dont la température maximale est comprise entre 26 et 29 degrés, pour préserver la biodiversité.

Or, en cas de grosse vague de chaleur, il est courant que ce seuil puisse être dépassé. Et parfois même en entrée de circuit. Le réacteur doit alors soit réduire sa puissance pour respecter les normes environnementales, soit obtenir une dérogation très temporaire pour les dépasser.

L’impact limité du réchauffement climatique sur la production électrique future

Il ne s’agit donc pas d’un problème de sûreté nucléaire, mais bien de respecter des normes de protection de la biodiversité dont l’existence ne saurait être remise en cause.

Une centrale française fait exception, il s’agit de Chooz (voir photographie ci-dessus). En bord de Meuse, sur la frontière franco-belge, celle-ci est soumise non pas à la réglementation environnementale française mais à un accord transfrontalier très restrictif. En effet, cet accord prévoit qu’en dessous d’un débit journalier de 22m3/s (sur une moyenne de 12 jours) un premier des deux réacteurs doit être mis à l’arrêt. Et s’il passe en dessous de 20m3/s, les deux réacteurs doivent être mis à l’arrêt.

Et ce, alors même que le nécessaire pour que la centrale puisse tourner à pleine puissance en toute sécurité n’excède pas… 6m3/s. Mais cette fois ci nulle justification environnementale, mais une préoccupation belge de maintenir un débit suffisant pour son agriculture et son industrie.

Mais aujourd’hui, l’impact du réchauffement climatique rend ces périodes de baisse de production de plus en plus fréquentes. Et la modélisation de cet impact à moyen terme devient une préoccupation afin d’optimiser la production nucléaire en toute sûreté et avec un impact le plus réduit possible sur son environnement immédiat.

Une étude datant de 2019 chiffre les pertes de production à horizon 2050 pour les centrales « bord de fleuve » dans le scénario moyen et pessimiste du GIEC, toutes choses étant égales par ailleurs (aucune adaptation technique d’ici là modélisées). D’après celle-ci, seule une centrale dépasse les 2% de pertes, Chooz, pour les raisons évoquées plus haut. Nous sommes donc très loin de la catastrophe économique et écologique annoncée et de l’incapacité du nucléaire à fournir de l’électricité dans un monde qui se réchauffe, façon dont certains aiment à présenter ces faits.

Des périodes de faible consommation électrique

Le Président de la République Emmanuel Macron a aussi annoncé il y a quelques semaines que les réacteurs « ouverts » seraient dotés de circuits aéroréfrigérants, les rendant moins sensibles au réchauffement. Cette évolution pourrait fortement limiter les besoins de baisse de puissance de certaines centrales, elle a cependant jeté un certain scepticisme dans la filière: l’investissement est très coûteux pour un gain marginal de production.

Plus intéressant, une expérimentation aura lieu dès cet été sur la centrale de Bugey, visant à installer un prototype de mécanisme dont l’objectif est de condenser les panaches des tours aéroréfrigérantes afin de réinjecter l’eau obtenue dans le circuit de refroidissement et réduire encore les besoins de prélèvement.

Quoi qu’il en soit, si cet enjeu est réel, il est bien pris en compte et ne remet pas en cause ni la sûreté des installations, ni la sécurité d’approvisionnement les périodes où ces baisses sont amenées à se produire étant celles où la consommation électrique est la plus faible.

Il faut aussi noter que chaleur et sécheresse font mauvais ménage avec toutes les méthodes de production électrique. Ainsi, alors que certains tentent de faire croire qu’une baisse de 2 ou 3% de la production électronucléaire à l’horizon 2050 serait une catastrophe, la sécheresse 2022 a entraîné une baisse de la production hydroélectrique de… presque 30%. La sensibilité est donc incomparable.

Plus ironique encore, le photovoltaïque dont le pic de production se produit durant les mois estivaux pour des raisons évidentes de niveau d’ensoleillement est aussi affecté par la chaleur. Le rendement des cellules diminue avec l’augmentation des températures. Au-dessus d’une température optimum de 25 degrés Celsius de surface, un panneau perd en moyenne 0,4% de rendement par degré supplémentaire. En période de très forte chaleur, la température de surface du panneau arrive fréquemment à plus de 80 degrés, entraînant une perte de rendement de… 30%.

Les réalités physiques sont incontournables. L’excès de chaleur et le manque d’eau entraînent des baisses de rendements de presque toutes les sources de production d’électricité décarbonées. Mais nous possédons les technologies nous permettant – à condition d’anticiper – d’y faire face.

Philippe Thomazo

La rédaction