L’Agence internationale de l’énergie (AIE) et son Directeur exécutif, Fatih Birol, sont tombés dans le piège que bon nombre d’organisations et d’institutions internationales engagées dans la transition énergétique n’ont pu éviter depuis des années. Ils ont pris leurs désirs pour la réalité et ont été emportés par le militantisme. Ils ont confondu les promesses, les mots et la réalité des 15 milliards de tonnes de combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz) que consomment chaque année 8 milliards d’êtres humains. Substituer des sources d’énergies décarbonées aux combustibles fossiles à une telle échelle ne se décrète pas. Il y a des réalités technologiques, économiques, sociales, politiques insurmontables. Voilà pourquoi à l’échelle planétaire la transition n’a toujours pas vraiment commencé et si le monde construit bien à un rythme sans précédent des équipements pour produire de l’énergie bas carbone, il bat dans le même temps tous les ans des records de consommation de pétrole, de gaz et de charbon…
La production mondiale de pétrole a ainsi atteint en août dernier un niveau sans précédent de 106,9 millions de barils par jour, selon les dernières statistiques de l’AIE. Une augmentation de la production plus rapide que celle de la demande qui pèse sur les cours du baril, les maintient à un niveau assez bas et ne facilite évidemment pas la transition.
Electrification des usages, la théorie et la pratique
D’autant plus que l’électrification des usages ne se passe pas comme prévu… C’est une révolution qui demande des investissements considérables dans les infrastructures et les équipements et qui dans la plupart des cas n’est pas compétitive aujourd’hui en termes de coûts. A l’échelle planétaire, l’électricité, qu’il est relativement facile de décarboner, ne représente aujourd’hui que 21% de la consommation d’énergie.
L’AIE est ainsi en train, douloureusement, d’admettre que le déclin de la consommation d’hydrocarbures en volume, pas en pourcentage, n’est pas pour demain, mais pour après-demain. Cela fait des années que l’AIE annonce année après année, en vain, dans ses World Energy Outlook le pic de consommation de charbon, de pétrole et de gaz. L’agence avait même demandé en 2021 d’arrêter tout investissement dans la recherche et l’exploitation pétrolière… avant de se raviser. Dans son dernier rapport annuel, elle prévoyait encore un déclin de la consommation de pétrole aux Etats-Unis à partir de 2026 et en Chine à partir de 2028.
Un nouveau scénario moins aléatoire
Mais selon l’agence Bloomberg, qui a eu accès à une version préliminaire de son nouveau rapport, l’AIE va ajouter un scénario moins aléatoire à ses prévisions. Elle ne prendra plus en compte les promesses politiques mais la réalité. L’article de Bloomberg est d’ailleurs titré : « The Myth of Peak Fossil-Fuel Demand Is Crumbling » (le mythe du pic de la demande de carburants fossiles s’effondre).
Selon ce nouveau scénario de l’AIE, qui n’est pas encore figé, « la consommation de pétrole et de gaz naturel augmentera jusqu’en 2050 » si les politiques actuelles ne changent pas. À cette date, l’Agence anticipe que le monde consommera alors 114 millions de barils de pétrole par jour contre environ 104 millions millions de barils par jour actuellement. Cette évaluation se rapproche de l’évaluation de l’organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) qui prévoit une consommation de 123 millions de barils par jour en 2050. Sachant que la prévision de l’Opep est à prendre avec des précautions…, le cartel ayant évidemment intérêt à la gonfler.
Transports aérien et maritime, pétrochimie
Selon le nouveau scénario de l’AIE, après 2050 la demande d’hydrocarbure atteindrait en volume une sorte de plateau et connaitrait seulement une baisse relative par rapport aux autres sources d’énergie. La demande resterait soutenue par des activités économiques pour lesquelles les substituts décarbonés sont économiquement et techniquement difficiles à développer. C’est le cas dans le transport aérien et maritime et dans la pétrochimie. Quant à l’adoption massive de véhicules électriques à la place de véhicules à motorisation thermique, elle ne se fait pas au rythme imaginé par l’AIE. Ainsi, en Europe l’interdiction de vente de véhicules neufs à moteur thermique d’ici 2035 est même aujourd’hui remise en cause.
« La transition énergétique n’était pas censée se dérouler ainsi. La réalité du système énergétique mondial a déjoué ces attentes, montrant clairement que la transition sera bien plus difficile, coûteuse et complexe que prévu initialement », résumaient en février dernier avec une surprise qui ne manque pas d’étonner les dirigeants de Standard & Poor’s et de la banque Lazard dans la revue Foreign Affairs.