Le projet le plus ambitieux pour créer en Europe un géant des batteries capable de lutter contre les groupes chinois, celui de la start-up suédoise Northvolt AB, a tourné à la catastrophe. Il s’est conclu en mars dernier par une faillite retentissante. On est très loin des rodomontades des politiques qui nous promettaient un Airbus de la batterie… La chute de Northvolt vient notamment du fait que l’entreprise a été incapable d’honorer ses contrats. Cela a conduit, par exemple, BMW à annuler une commande de 2 milliards d’euros. En difficultés croissantes, Northvolt a lancé des appels répétés à ses investisseurs pour obtenir plus de liquidités et a fini par faire fuir ses créanciers.
L’origine de l’effondrement de Northvolt est bien identifiée : l’impossibilité de produire suffisamment de batteries faute de pouvoir recruter en nombre suffisant les ingénieurs et les techniciens hautement qualifiés dont elle avait absolument besoin. Un épisode illustre parfaitement cette situation. L’an dernier un groupe important d’ingénieurs et de techniciens chinois s’est rendu dans la ville suédoise de Skellefteå installer des machines de production pour Northvolt. Comme l’avait alors déclaré un ingénieur de Northvolt au Financial Times, « ils sont tout simplement meilleurs. Nous sommes en retard… ». On connait la suite…
Les postes ne sont plus pourvus
Et ce n’est pas une question d’argent. Northvolt avait réussi à lever plus de 13 milliards de dollars de capitaux. « Le fiasco de Northvolt est un exemple classique d’une idée géniale, mais qui échoue à cause de la disponibilité de la main-d’œuvre », explique à l’agence Bloomberg Bas Sudmeijer, directeur général du Boston Consulting Group.
Il s’agit bien d’un exemple extrême, mais il révèle une réalité inquiétante. La main-d’œuvre vieillissante en Europe n’est plus en mesure de répondre aux nécessités de la réindustrialisation du vieux continent et de la transition énergétique. C’est un problème qui affecte d’ailleurs l’ensemble des pays développés. Les États-Unis ne parviennent pas à pourvoir un tiers des 400.000 postes d’ingénieurs créés chaque année. Au Royaume-Uni, 20% des ingénieurs prendront leur retraite d’ici à 2030, ce qui entraînera une pénurie d’un million d’emplois. Le Japon connaîtra un déficit de 700.000 ingénieurs au cours de la même période.
Blackout, délais, coûts plus élevés
Lorsqu’elle ne provoque pas la faillite d’une entreprise ou l’arrêt d’un projet, la pénurie d’ingénieurs et de techniciens qualifiés se traduit par des coûts plus élevés et des délais bien plus longs pour la construction d’infrastructures indispensables, telles que les réseaux électriques modernisés. Le spectaculaire blackout de la péninsule ibérique le 28 avril dernier est directement la conséquence d’un réseau électrique insuffisamment modernisé et incapable de gérer les sauts de production de renouvelables intermittents. Les errements, délais et malfaçons du chantier du réacteur nucléaire EPR de Flamanville en France sont aussi directement liés au manque de main d’œuvre qualifié et expérimenté. Ce que la plupart des responsables du chantier présents sur place reconnaissent.
EDF se trouve en fait dans une situation impossible. La relance de la filière nucléaire et la montée en niveau indispensable de la maintenance du parc existant nécessitent un recrutement massif d’ingénieurs et de techniciens bien formés. Un besoin estimé à 10.000 personnes par an pendant plusieurs années. Personne ne sait où les trouver…
La former sur place ou recourir à l’immigration
Il n’y a pas 25 solutions pour remédier au problème de main d’œuvre qualifiée. « Soit on la fait naître, soit on l’importe », explique Zeke Hernandez, professeur à la Wharton School de l’université de Pennsylvanie. « Mais dans un contexte de baisse des taux de natalité, d’augmentation des départs à la retraite et d’un régime d’immigration restrictif, les pénuries deviennent très sérieuses ».
Dans les années 1950 et 1960, les États-Unis et l’Europe ont connu une croissance rapide de l’industrialisation et de la population, ce qui a entraîné une augmentation de la demande d’électricité et de main-d’œuvre qualifiée. C’est le genre de trajectoire que des pays comme l’Inde et la Chine connaissent au XXIe siècle. L’Inde ne manque pas d’ingénieurs, mais ses problèmes sont davantage liés à la qualité de la formation. En Chine, les gestionnaires de réseau se trouvent dans la situation enviable de devoir choisir parmi une horde croissante de jeunes ingénieurs. Nombre de ceux qui ont perdu leur emploi dans les filières technologiques au cours des dernières années sont soudain désireux d’obtenir un emploi plus sûr dans les entreprises publiques. Ces emplois ne sont pas aussi prestigieux et aussi bien payés, mais ils sont pérennes et offrent de solides avantages sociaux.
La Chine promeut depuis des décennies l’enseignement de la science et des technologies
Les groupes industriels chinois bénéficient des efforts déployés depuis des décennies pour promouvoir dans le pays l’enseignement des sciences et des technologies. Le nombre d’ingénieurs dans le pays a plus que triplé entre 2000 et 2020 pour atteindre 17,7 millions, et beaucoup d’entre eux sont jeunes. Les ingénieurs de moins de 30 ans représentent 44% de l’ensemble des ingénieurs, contre 20% aux États-Unis et un chiffre vraisemblablement du même ordre en Europe.
Voilà pourquoi des entreprises cherchent à former et intéresser les jeunes le plus tôt possible. La filiale d’EDF, Enedis, a lancé des classes technologiques dans 120 lycées et 40 universités en France. Ceux qui sont sélectionnés pour ses programmes de formation se voient proposer des premiers stages de 18 semaines. Daikin Industries, un géant japonais de la fabrication de pompes à chaleur, a doublé le nombre de ses centres de formation en Europe au cours des trois dernières années.