Transitions & Energies
Investissement Vert

La pensée magique nous a conduits tout droit à la catastrophe


Depuis plusieurs décennies, nous sommes devenus maîtres dans l’art de jeter des anathèmes et de résoudre immédiatement, en paroles, les problèmes par la grâce de solutions toutes faites, la plupart du temps totalement inefficaces et très coûteuses socialement et économiquement. Nous commençons à peine à sortir de ce coma. Par Loïk le Floch Prigent. Article publié dans le numéro 16 du magazine Transitions & Energies.

Devant les difficultés qui apparaissent en France et en Europe – la désindustrialisation et la crise énergétique –, on voit fleurir depuis des années une « pensée magique » qui jette des anathèmes tout en résolvant immédiatement les problèmes par la grâce de solutions très imaginatives mais rarement effectives. « Bien sûr c’est dur de sauver la planète, mais l’urgence est forte et vous pouvez dormir tranquilles, nous avons pensé à tout ! »

La réalité est en train de nous réveiller, mais l’anesthésie a été profonde ; le coma n’est pas encore dissipé, et l’argent va continuer de couler à flots dans des investissements toujours prometteurs et dispendieux ! Nous n’en avons donc pas fini, loin de là, avec les dénis de réalités et les échecs annoncés qui ruinent nos économies mais aussi nos vies avec des casses sociales indécentes, car profondément inutiles et présentées comme inéluctables.

Incantation et communication

Une des premières idées géniales a été de présenter l’avenir de notre continent européen comme celui du savoir-faire en rejetant les usines – sales et peuplées d’incultes – vers des pays manufacturiers, essentiellement asiatiques, le Japon, puis la Chine, et enfin les « dragons ». Faire était devenu trivial, il suffisait de garder le « savoir-faire » grâce à nos intelligences forcément supérieures et à nos années d’avance ! Savoir-faire c’est d’abord faire, et désormais nous ne pouvons plus assembler et concevoir sans l’appui de nos anciens « obligés » : c’est l’enseignement des crises du Covid et de la guerre en Ukraine, enseignement encore refusé par beaucoup de nos « élites ». Si nous devons maintenir certaines de nos productions, il va falloir travailler sur des matériels « triviaux » à valeur ajoutée faible, ce point de vue est loin de faire l’unanimité, beaucoup rêvent encore ! Concevoir des produits et des usines robotisées et automatisées sans avoir la maîtrise des outils mécaniques, de la métallurgie, des robots et de leurs composants va s’avérer de plus en plus complexe comme on peut le voir quand on commence à réfléchir à faire revenir les installations de Taïwan ou de Shanghai !

Les problèmes se corsent lorsque l’on veut décarboner à marche forcée à la fois la France et l’Europe, mais toujours en décidant que notre pays doit aller toujours plus vite que les autres et faire mieux ! C’est, la plupart du temps, de l’incantation et de la communication, mais c’est aussi beaucoup de dépenses inutiles d’argent public et des illusions propagées dans des populations qui finissent par ne plus rien comprendre aux caps fixés pour préparer leur avenir. C’est que la pensée magique a remplacé la réalité des connaissances scientifiques, des ressources des techniques actuelles ou prévisibles et des évolutions industrielles.

La pénurie, les coûts prohibitifs et la dépendance ne sont pas une alternative

Prenons tout d’abord en compte la peur déclenchée, en particulier dans la jeunesse, d’un réchauffement ou d’un dérèglement climatique et de l’urgence d’y porter remède partout dans le monde et en priorité chez nous qui représentons de l’ordre de 1 % de la population comme des terres immergées. L’efficacité des mesures prises en France est illusoire, et l’essentiel devrait être pour les petits pays très développés comme le nôtre de réaliser des travaux de recherche et développement pour inventer des solutions. Plus de 80 % de l’énergie consommée dans le monde est d’origine fossile pour la population mondiale qui, pour survivre, a toujours exigé une énergie abondante, bon marché et souveraine ; le problème posé est donc celui de l’alternative. Si ce qui est proposé c’est la pénurie, un coût prohibitif et une dépendance extérieure, aucun « gouvernement mondial » n’arrivera à l’imposer, chacun retrouvera ses réflexes de survie, c’est ce que l’on peut observer aujourd’hui si on accepte de regarder autour de nous sans œillères. Par exemple, on annonce une pénurie électrique, ceux qui le peuvent se ruent sur des matériels générateurs d’électricité à partir d’essence ou de diesel. Si parmi les choix historiques possibles, la population mondiale a privilégié les produits de raffineries de pétrole et le gaz, c’est parce que ces produits répondaient aux critères souhaités !

Le mur du réel

Les propositions de la pensée magique actuelle ne correspondent pas aux besoins exprimés par les populations et elles s’écrasent donc les unes après les autres sur le mur du réel. Les énergies renouvelables intermittentes, éoliennes et solaires, doivent être doublées par des centrales fossiles (charbon, gaz, fioul) pour assurer la continuité du service électrique ; la voiture électrique se heurte à un temps de recharge élevé et aux cycles des matériaux des batteries, sans parler de l’existence, ou non, de réseaux dans certains coins de la planète ; l’hydrogène le moins cher est d’origine fossile et sa réactivité est sans contestation possible un danger pour l’usage par rapport aux produits liquides de raffineries… On pourrait faire un inventaire à la Prévert de toutes les idées géniales qui ne débouchent pas sur le vide, mais sur des artifices très partiels à des solutions à la fois stabilisées et en progression constante afin de conserver pour l’humanité une énergie lui permettant de ne pas régresser en termes de confort, d’alimentation, de santé, de liberté, d’éducation, de sécurité… Tant que des alternatives n’ont pas démontré leurs capacités à répondre aux critères actuels et futurs des populations, elles n’existent pas et ceux qui font mine de l’oublier sont des escrocs.

Une alternative à la génération par les fossiles de l’énergie électrique a été au siècle dernier l’énergie nucléaire. Sa domestication a été douloureuse, elle fait désormais partie de notre mix énergétique mondial. Les peurs qu’elle continue de susciter sont en grande partie irrationnelles, mais elles font partie de notre humanité. Les décisions prises en France depuis quarante ans ont été marquées par des hésitations fâcheuses, mais on voit actuellement comment les déchets, sujets légitimes de préoccupation, peuvent servir de combustible aux nouveaux réacteurs de quatrième génération (à neutrons rapides). C’est une alternative qui a mûri.

Les fausses et les vraies solutions

Une autre idée a connu un sort plus médiocre, celle d’augmenter les rendements des fossiles. Cela a été le cas, mais le résultat a été d’augmenter la puissance des engins et non de diminuer drastiquement leur consommation. On pourrait donc beaucoup moins gaspiller pour un résultat semblable, mais il apparaît que l’on préfère toujours plus de confort et que les progrès sont donc ainsi « consommés ». Revenir à des véhicules à moteur thermique à consommation faible est cependant parfaitement envisageable et le cycle carbone comparé avec celui des véhicules électriques mériterait alors d’être effectué, car le poids des batteries et le coût environnemental de leur fabrication sont des réalités physiques.

Des chercheurs, puis des industriels, ont cherché à reproduire ce qui a été à l’origine du pétrole fossile, c’est-à-dire le développement des algues et leur macération en utilisant à la fois le soleil et le CO2 sortant des installations de combustion. Cette solution ne plaît à personne, ceux qui veulent « éradiquer les fossiles », comme ceux qui les produisent, mais les populations peuvent, elles, être intéressées par un produit qui ne modifie pas leurs usages (Bio Fuel Systems ou BFS).

La captation du CO2 a occupé énormément de chercheurs. Elle est désormais opérationnelle, mais elle suppose, par exemple, que le dispositif précédent ait un sens, car on ne va pas remplir des réservoirs pendant des années sans avoir compris comment utiliser ce que l’on a mis en souterrain.

Pas besoin de subventions, d’aides, de sanctions, de punitions, de coercitions

On a vu que ni l’éolien ni le solaire ne sont des alternatives car intermittentes ; l’utilisation de l’hydraulique au niveau national comme mondial est une nécessité souvent ignorée, tels les progrès effectués en géothermie. Mais la presse et les politiciens se sont entichés de l’hydrogène, une fois de plus l’essor de la pensée magique. On voit désormais ce combustible partout, avion, bateau, train, camion, voiture… Si notre civilisation industrielle qui connaît et utilise ce produit depuis quelques siècles en a limité le développement, ce n’est pas un complot, cela vient des difficultés de le considérer comme une alternative et surtout des dangers de son utilisation universelle, c’est-à-dire en dehors de contrôles constants. Le prix de l’hydrogène le plus bas sera toujours celui de son extraction du gaz naturel suivi par celui de son électrolyse à partir d’une centrale nucléaire. Une nano fissure dans le réservoir ou une fausse manœuvre conduira toujours aussi à une explosion plus ou moins catastrophique.

On le voit à travers cette analyse sommaire qui peut être l’objet de controverses et de débats, il n’y a pas pour résoudre nos problèmes actuels une pensée unique à partir d’éléments que nous aurions oubliés dans notre recherche désordonnée de consommer toujours plus pour les uns et de gagner aussi plus de puissance et d’argent pour les autres ; un équilibre s’est créé avec des ressources et des utilisations qui a permis un accroissement considérable de la population des humains sur terre. Cette belle médaille a son revers, qu’on l’appelle gaspillage, carbonation, pollution, atteinte à l’environnement, mais nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à avoir foi dans notre science, nos techniques, nos industries et leurs capacités à analyser les alternatives et les promouvoir sans tomber dans les bras de gourous qui promettent sans jamais avoir fait autre chose que d’utiliser nos ignorances et nos peurs. Il faut beaucoup travailler pour trouver des solutions et quand on les a vraiment elles s’imposent d’elles-mêmes, elles n’ont pas besoin de subventions, d’aides, de sanctions, de punitions, de coercitions.

La rédaction