<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « Le Pacte vert européen a été écrit par Greenpeace »

10 juillet 2025

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« Le Pacte vert européen a été écrit par Greenpeace »

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Un entretien avec Samuele Furfari, professeur de géopolitique de l’énergie l’Université libre de Bruxelles, président de la Société européenne des ingénieurs et industriels et ancien haut fonctionnaire à la Commission européenne. Propos recueillis par Éric Leser. Article paru dans le numéro 25 du magazine Transitions & Energies.

T&E – On a le sentiment aujourd’hui d’une inflexion de la politique énergétique européenne sur les véhicules électriques, sur les obligations environnementales des entreprises, sur les normes de pollution automobile, avec une volonté affichée de simplifier la législation et la réglementation. Comment expliquez-vous ce changement alors que la Commission était jusqu’à aujourd’hui toujours dans la surenchère pour imposer aux pays de l’Union des contraintes toujours plus fortes et toujours plus irréalistes de décarbonation ?

S.M. – J’ai été vraiment très déçu par mon institution, puisque j’ai travaillé trente-six ans à la Commission européenne, lorsqu’ils ont lancé en 2021 le fameux nouveau Pacte vert. Je l’ai trouvé tout de suite excessif, injustifié et très pénalisant. Il y a un an, lors de la campagne électorale pour les élections européennes du 9 juin 2024, le monde politique a tenté par petites touches de revenir ou d’amender certaines contraintes liées à ce Pacte vert. On a bien vu dans les résultats des élections l’opposition grandir à un programme irréaliste et dangereux. Le Parti écologiste a subi une véritable défaite au Parlement européen. Et les partis de droite et d’extrême droite qui ont progressé ont souvent fait campagne contre les contraintes écologiques grandissantes. Mais à cause du système, ils ont pu maintenir la même majorité qu’avant. Et même Ursula von der Leyen a été réélue à la tête de la Commission.

Mais la réalité énergétique est ce qu’elle est et vous ne pouvez pas l’ignorer indéfiniment. Nous sommes dans une impasse. C’est pour cela que nous assistons à des reculs, des révisions, des ajustements. Il y a des changements en cours. Enfin.

Parce que les comportements et les attitudes étaient devenus scandaleux. Un exemple. Le jour où les tracteurs ont envahi Bruxelles au printemps 2024, le même jour, la Commission annonçait pour 2040 un objectif de réduction de 90% des émissions de CO2. Et Mme von der Leyen a annoncé quand elle a été reconduite maintenir cet objectif. Elle devait l’annoncer fin février. À la fin mai, elle ne l’a toujours pas annoncé ni confirmé.

Il s’est tout simplement passé que plusieurs pays ont fait savoir, dans des termes diplomatiques, que cette fois-ci, cela commence à devenir insupportable, y compris la France. Cela signifie-t-il que c’est une pause tactique et qu’elle va y revenir si elle en a l’opportunité ? Son problème est de ne pas perdre la face. Ursula von der Leyen aura du mal à admettre qu’elle fait fausse route depuis 2021.

Maintenant, au sein même de la Commission, les divisions sont profondes. Il y a plusieurs commissaires de droite qui sont fermement opposés au Pacte vert et de l’autre côté des commissaires de gauche et écologistes qui le soutiennent. Heureusement, nous n’avons plus l’extrémiste Frans Timmermans, qui était premier vice-président de la Commission, et surtout son chef de cabinet Diederik Samsom, ancien membre de Greenpeace. Il faut savoir que le Pacte vert européen a été écrit par Greenpeace.

La Commission a été noyautée par des idéologues. Et je vous assure, ce n’était pas comme cela avant. J’ai travaillé trente-six ans à la Commission et il n’y avait pas de programme idéologique à imposer. Nous étions là pour apporter des solutions aux problèmes qui existaient, pour trouver les moyens de fournir de l’énergie abondante et abordable et pour développer le marché intérieur. Il y avait une dynamique extraordinaire pour le bien commun et pour renforcer une Europe unie.

T&E – Cela veut-il dire, compte tenu du poids aujourd’hui de l’idéologie politique écologiste au sein de la Commission, que le recul sur le Pacte vert est avant tout tactique et lié à des circonstances moins favorables, mais que sur le fond l’objectif à Bruxelles reste la décarbonation, quel qu’en soit le coût économique, politique et social ? Et question subsidiaire, comment la Commission peut-elle continuer à imposer des objectifs dont tout le monde sait qu’ils sont inatteignables ?

S.M. – Le personnel de la Commission est devenu beaucoup plus politique qu’il ne l’était dans le temps. Lorsque la Commission a été créée, il y avait dans le service qui s’occupait de l’énergie énormément de monde qui venait du monde industriel. Mon premier chef, celui qui m’a engagé, était un ingénieur des mines. Il avait joué un rôle important de sauveteur lors de la catastrophe minière de Marcinelle, la plus grave de l’histoire de la Belgique. Il y avait eu 262 victimes.

Progressivement, le Britannique Neil Kinnock, qui a été vice-président de la Commission, a introduit une réforme administrative qui considérait que la Commission n’avait plus besoin de ses propres experts et qu’elle allait avoir recours à des consultants. On a arrêté de recruter des experts. Quand je suis entré dans la Commission, je suis entré en tant qu’expert dans le domaine des carburants de synthèse.

La Commission a engagé au cours des vingt dernières années des personnes qui sortaient de l’université et qui étaient formés dans les domaines de la politique économique et écologique mais n’ont pas de compétences techniques et industrielles. Ils ne connaissent rien à la réalité de l’énergie. C’est la même chose dans l’administration en France.

Maintenant, il est essentiel d’apporter une nuance. Ce ne sont pas les fonctionnaires qui font la politique. Ce sont bien les commissaires. Si à la DG Énergie, il y avait des gens qui n’étaient pas d’accord avec Frans Timmermans, ils n’avaient rien à dire.

T&E – Cela ressemble à une situation presque inextricable.

S.M – Oui. Un jour ou l’autre, il faudra bien qu’ils admettent leur échec. Mais ils ne sont pas près de le faire. Je suppose que Mme von der Leyen fait tout pour maintenir son objectif de 90 % de décarbonation d’ici à 2040. La preuve, c’est que le fameux rapport Draghi, qui souligne certains dégâts économiques faits par la politique énergétique, était prêt avant les élections européennes. Mais ils l’ont rendu public après les élections. Parce que cela aurait donné des arguments supplémentaires aux opposants au Pacte vert.

Pour autant, le rapport Draghi a été fortement amendé et même caviardé par Mme von der Leyen et ses services pour aller dans leur sens. C’est eux qui en ont rédigé une bonne partie. J’ai écrit une analyse de 13 pages de ce rapport qui est publiée en cinq langues et se trouve facilement sur internet. J’analyse tout ce qui est écrit sur l’énergie. C’est parfois proprement hallucinant. Ce n’est pas possible de croire que quelqu’un comme Mario Draghi a pu écrire, par exemple, que d’ici 2030, l’Europe consommera 90 % de moins de gaz. C’est totalement absurde au moment où les pays européens cherchent par tous les moyens à s’approvisionner en ressources gazières !

Le problème fondamental, c’est celui du prix de l’énergie. Ce qui est dans le rapport Draghi. Et qu’allons nous faire ? Nous allons faire plus de ce qui est fait depuis des années et a abouti à une envolée des prix de l’énergie.

On se trouve avec une politique énergétique qui est un échec total et qu’il sera difficile de défaire parce que celle qui est à l’origine de cette politique est toujours en place. Il aurait fallu mettre quelqu’un d’autre à la présidence de la Commission pour pouvoir renoncer au Pacte vert. N’importe qui. Mais les Allemands s’y sont refusés. Cela signifie que nous continuons à perdre notre temps, notre argent, notre compétitivité.

T&E – Mais le Conseil, qui est l’émanation des gouvernements, est tout de même capable de s’opposer à la Commission et à Ursula von der Leyen ?

S.M. – Je pense qu’il peut effectivement le faire. C’est pour cela qu’elle n’a pas ressorti sa proposition de réduction de 90 % des émissions carbone d’ici 2040. Plusieurs États membres ont décidé de ne plus laisser faire, les Pays-Bas, l’Italie, bon nombre de pays de l’Est, même la Belgique. La France, on ne sait jamais. Cela dépend des jours. Il ne faut jamais perdre de vue que c’est Emmanuel Macron qui a sauvé Ursula von der Leyen.

Et puis le black-out espagnol (lire page 52) peut être considéré comme un tournant. Les experts, et je l’ai écrit de nombreuses fois dans mes livres, savaient qu’on allait avoir de sérieux ennuis parce qu’on ne peut pas sécuriser un réseau avec des sources d’énergies variables et intermittentes sans inertie. C’est arrivé. Maintenant, on a Pedro Sánchez, le Premier ministre espagnol, l’équivalent de Frans Timmermans, qui va tout faire pour trouver une autre explication et noyer le poisson. Il ne changera pas. Les faits n’ont pas d’importance pour les idéologues. D’ailleurs, il y a aujourd’hui à la Commission une vice-présidente espagnole, Teresa Ribera, désignée par Pedro Sánchez, qui est directement dans la ligne de Frans Timmermans.

Pour finir tout de même sur une note plus optimiste, je dirais qu’il ne peut pas y avoir de changement radical avec Mme von de Leyen à la tête de la Commission. Mais elle n’a plus la capacité qu’elle a eu lors de son premier mandat pour continuer à prendre des décisions et des orientations aussi stupides. Elle a face à elle des contre-pouvoirs bien plus importants.

Pour preuve, le gouvernement allemand a changé d’organisation comme l’a fait la France. L’énergie ne dépend plus du ministère de l’Écologie mais de celui de l’Économie. C’est un changement majeur.

T&E – Il y a aussi une évolution en tout cas dans les pays de l’Union sur le nucléaire. La Belgique, après de multiples tergiversations, a finalement décidé de ne plus fermer ses centrales. L’Italie y réfléchit. Même l’Allemagne fait semblant de s’interroger. Les Pays-Bas ont pris la décision de construire des réacteurs comme la République tchèque et la France. Cela peut-il freiner les anti-nucléaires toujours très actifs au sein des institutions européennes ?

S.M. – Il ne faut pas se faire d’illusions. L’hypocrisie est toujours de mise au sein de la Commission. Dans la lettre de mission que Mme von der Leyen avait donné au commissaire à l’énergie, le Danois Dan Jorgensen, avant que sa nomination soit entérinée, il était spécifié qu’il devait œuvrer à une relance du nucléaire. Dans la lettre de mission finale, cette mention a disparu. Dan Jorgensen est un anti-nucléaire primaire… tout comme Teresa Ribera. Ursula von der Leyen est allemande et donc anti-nucléaire. Une preuve supplémentaire. Elle a comme collaborateur proche, son conseiller à la transition, le Belge Philippe Lamberts, qui a été un député européen écologiste farouchement opposé au nucléaire.

Le comble est que la présidente de la Commission est la gardienne des traités européens. Et elle a décidé de faire comme si le traité Euratom, signé en 1957, n’existait pas. Il est toujours en vigueur et spécifie dans son article premier que l’Europe se donne pour mission de développer l’énergie nucléaire…

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La rédaction

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