<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Nucléaire et CO2, le vrai du faux

23 mai 2020

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Centrale nucléaire
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Nucléaire et CO2, le vrai du faux

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Article paru dans le N°3 du magazine Transitions & Energies.

Il ne s’agit pas de porter un jugement définitif sur le nucléaire. Simplement de remettre les choses au clair quant à l’atome et au climat. Les centrales nucléaires ne contribuent pas au réchauffement de la planète. Le nucléaire traîne son lot de fantasmes. Une hydre difficile à saisir, n’étant ni une énergie fossile, ni renouvelable. Dans l’imaginaire collectif, en tout cas pour 69% des Français selon un sondage BVA pour Orano (juin 2019), le nucléaire contribuerait au réchauffement climatique. Pour 10% des personnes interrogées, le pétrole et le gaz seraient moins en cause que le nucléaire. 11% pensent même que le charbon est plus propre que l’atome.

Et si on se plantait tous? «Le niveau de désinformation est très fort, estime Daniel Heuer, physicien, directeur de recherche au CNRS de Grenoble. Chaque fois qu’un politique ou un écologiste parlent du changement climatique, ils évoquent lutte contre l’effet de serre et sortie du nucléaire dans la même phrase. Or, ce n’est pas corrélé. les gens en déduisent que les émissions de CO2 sont dues au nucléaire. » Et qui sont les grands gagnants de cette intox ? Les 18-34 ans, étonnamment, et malgré le mal que certains Youtubeurs et Youtubeuses se donnent pour remettre les choses en place. Selon l’étude, les émissions liées au nucléaire correspondent en fait à 12 grammes par kWh produit (à peu près l’équivalent de ce que rejettent les éoliennes). Daniel Heuer corrige même ce chiffre à la baisse : « En France, c’est plutôt cinq ou six parce que l’enrichissement de l’uranium est fait par l’électricité nucléaire, qui n’émet pas de CO2. »

UNE IDÉE FIXE. Pour arriver à diminuer de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, la France s’est fixée des paliers chaque année et peine à respecter ses objectifs. En 2018 par exemple, les Français ont rejeté 445 millions de tonnes, soit 4,5 % de plus que l’objectif visé. Les transports et le secteur du bâtiment sont les plus à la traîne, selon l’Observatoire climat-énergie. Alors pourquoi cette idée fixe sur le nucléaire ? Il y a bien sûr la crainte généralisée du risque d’accident. Tchernobyl ou Fukushima laissent des traces. Face à ces traumatismes, que pèse un changement « lent », moins « spectaculaire », comme le réchauffement climatique ? C’est la fameuse métaphore de la grenouille, évoquée dans le film Une vérité qui dérange, de Al Gore.

LA CRAINTE DE LA RADIOACTIVITÉ. « Le risque zéro n’existe pas. Par contre, ce qui est dommage aujourd’hui, c’est que dans le public il y a une compréhension du risque nucléaire qui est totalement erronée. […] Les déchets nucléaires font plus peur à la population que, tenez-vous bien, les accidents de la route ou que les accidents domestiques. Les accidents domestiques, c’est 20 000 morts par an. Les déchets nucléaires, c’est zéro », clame l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, interrogé sur France Culture en novembre. Dans une tribune publiée dans le Wall Street Journal (janvier 2019), le politologue Joshua S. goldstein et l’ingénieur en énergie Staffan A. Qvist rappellent que l’énergie nucléaire est aussi peu mortelle que les énergies renouvelables. La catastrophe de Fukushima n’aurait fait qu’un seul mort selon le gouvernement japonais… Ce qui est sûr, pour Daniel Heuer, c’est que « les conséquences de Fukushima sont quasi négligeables, à l’exception du fait qu’on a pris beaucoup plus de risque en déplaçant plus de 100 000 personnes, plutôt qu’en les laissant sur place. La crainte de la radioactivité est aussi liée à un énorme niveau de désinformation. Elle n’est pas si dangereuse que ça. Les décès ont été causés par le déplacement de personnes fragiles et en état de stress, et non par l’irradiation. »

GAGNER LA CONFIANCE DES FRANÇAIS. En France, la communauté des climatologues fait rarement dans le consensus. Concernant le nucléaire, certains affirment que les énergies renouvelables seront, plus vite qu’on ne le croit, aussi performantes que lui. « Le nucléaire est une option pour lutter contre le changement climatique. Il faut admettre ça. Mais ce n’est pas parce que c’est une option qu’on est obligé de l’utiliser », résume Daniel Heuer. Ce spécialiste des réacteurs à combustibles liquides travaille pourtant à un réacteur « socialement acceptable », persuadé que le nucléaire actuel n’est pas à la hauteur des enjeux. Objectif : gagner la confiance des Français. Grands témoins des déboires répétés du chantier de Flamanville par exemple.

Depuis plus de vingt ans, Daniel Heuer et son équipe ambitionnent de fabriquer LE réacteur idéal, qui serait capable de supprimer tous les risques, non simplement de les parer. Un, le combustible utilisé serait liquide, ce qui éliminerait le risque de criticité (Tchernobyl). Deux, l’effet dominos façon Fukushima (du réacteur en surchauffe à l’explosion d’hydrogène) serait évité, en supprimant les réactions chimiques possibles. Séduisant tableau. « Ce type de réacteur est pilotable. Il produit de l’énergie quand on en a besoin ; lorsqu’il n’y a pas de vent, de soleil ou toute forme d’énergie stockée, facilement récupérable. Pour ma part, en France, je suis favorable à un mix énergétique avec 50 % de nucléaire et 50 % de renouvelable (éolien, photovoltaïque, mais aussi chaleur solaire, géothermie, biocarburant et évidemment hydraulique) », nuance Daniel Heuer. Pour que ce scénario apaisé fonctionne, il suppose une amélioration de l’efficacité énergétique de 50 % entre 2010 et 2050, ce qui permet de réduire d’un facteur 2 la demande énergétique mondiale.

Et qu’en est-il de la grande problématique des déchets nucléaires ? L’équipe semble avoir tout considéré. Car ce réacteur futuriste ne produit pas d’actinides mineurs. Seulement des produits de fission, dont la radioactivité disparaît quasiment au bout de trois cents ans. Et cerise sur le gâteau : il est même capable d’utiliser d’anciens déchets (actinides ou uranium appauvri par exemple) comme combustibles. De là à sauver le climat et la planète… Il n’est pas certain que ce bel attirail convainque les écologistes antinucléaires. D’aucuns pourront simplement retenir que la fission nucléaire n’a rien à voir avec la combustion d’une énergie fossile. Et que cette technologie est peu émettrice de CO2, gaz imputé à la fabrication du béton et de l’acier pour fabriquer les réacteurs. CQFD.

Émilie Drugeon

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