Transitions & Energies

Nous sommes toujours et pour longtemps encore dans l’âge de la vapeur


Jusqu’à aujourd’hui, les transitions énergétiques n’en ont jamais vraiment été. Les nouvelles sources d’énergie et nouvelles technologies se sont ajoutées à celles existantes mais ne les ont jamais totalement remplacées. Ainsi, en dépit de l’essor ininterrompu des carburants fossiles depuis deux siècles, le bois est encore utilisé comme combustible presque partout dans le monde. Et même si les machines à vapeur et les locomotives et navires à vapeur ont disparu des voies de chemin de fer et des océans, les turbines à vapeur restent essentielles… Elles offrent une technologie indispensables pour convertir l’énergie thermique en énergie mécanique et en énergie électrique. Et cela n’est pas prêt de s’arrêter… même avec la fusion nucléaire.

Locomotives à vapeur claquant le long des voies ferrées. Des bateaux à roues à aubes qui descendent le Murray [grand fleuve australien]. Des cuirassés propulsés par des moteurs à vapeur. Beaucoup d’entre nous pensent que l’ère de la vapeur est révolue. Pourtant, si la machine à vapeur a été supplantée par les moteurs à combustion interne et aujourd’hui par les moteurs électriques, le monde moderne dépend toujours de la vapeur. Presque toutes les centrales thermiques, du charbon au nucléaire, ont besoin de vapeur pour fonctionner. Les centrales au gaz n’en ont pas généralement.

Mais pourquoi ? C’est à cause d’une chose que nous avons découverte il y a des millénaires. Au premier siècle de notre ère, les Grecs de l’Antiquité ont inventé l’éolipile, une turbine à vapeur. La chaleur transforme l’eau en vapeur et la vapeur a une propriété très utile : c’est un gaz facile à fabriquer qui peut exercer une pression.

Ce simple fait signifie que même si le rêve de l’énergie de fusion nucléaire semble se rapprocher, nous serons encore à l’âge de la vapeur. La première centrale à fusion commerciale s’appuiera sur une technologie de pointe capable de contenir un plasma bien plus chaud que le cœur du soleil, mais elle sera toujours associée à une humble turbine à vapeur qui convertira la chaleur en mouvement et en électricité.

Pourquoi dépendons-nous encore de la vapeur ?

Faire bouillir de l’eau demande une quantité d’énergie considérable, de loin la plus élevée de tous les liquides courants que nous connaissons. L’évaporation de l’eau nécessite environ 2,5 fois plus d’énergie que celle de l’éthanol, et 60% de plus que celle des liquides ammoniaqués.

Alors pourquoi utilisons-nous la vapeur plutôt que d’autres gaz ? L’eau est bon marché, non toxique et facile à transformer de liquide en gaz énergétique avant de se condenser à nouveau en liquide pour être utilisée encore et encore.

La vapeur a duré aussi longtemps parce que nous avons de l’eau en abondance, couvrant 71% de la surface de la Terre, et que l’eau est un moyen utile de convertir l’énergie thermique (chaleur) en énergie mécanique (mouvement) et en énergie électrique (électricité). Nous recherchons l’électricité parce qu’elle peut être facilement transmise et qu’elle peut être utilisée dans de nombreux domaines.

Lorsque l’eau est transformée en vapeur à l’intérieur d’un récipient fermé, elle se dilate considérablement et augmente la pression. La vapeur à haute pression peut stocker d’énormes quantités de chaleur, comme n’importe quel gaz. Si on lui donne une sortie, la vapeur s’y engouffrera avec un débit élevé. Placez une turbine sur son chemin de sortie et la force de la vapeur qui s’échappe fera tourner les pales de la turbine. Des électroaimants convertissent ce mouvement mécanique en électricité. La vapeur se condense en eau et le processus recommence.

Les moteurs à vapeur utilisent le charbon pour chauffer l’eau afin de créer de la vapeur qui actionne le moteur. La fission nucléaire divise les atomes pour produire la chaleur nécessaire à l’ébullition de l’eau. La fusion nucléaire forcera les isotopes lourds de l’hydrogène (deutérium et tritium) à fusionner en atomes d’hélium 3 et à créer encore plus de chaleur – pour faire bouillir l’eau et produire de la vapeur qui actionnera des turbines pour produire de l’électricité.

Si l’on ne considère que le processus final dans la plupart des centrales thermiques – charbon, diesel, fission nucléaire ou même fusion nucléaire – on constate que l’ancienne technologie de la vapeur a été poussée aussi loin qu’elle pouvait l’être.

Les turbines à vapeur qui entraînent les grands alternateurs électriques produisant 60% de l’électricité mondiale sont de toute beauté. Des centaines d’années de technologie métallurgique, de conception et de fabrication complexe ont permis de perfectionner la turbine à vapeur.

Allons-nous continuer à utiliser la vapeur ? De nouvelles technologies permettent de produire de l’électricité sans utiliser de vapeur. Les panneaux solaires s’appuient sur les photons qui frappent les électrons du silicium et créent une charge, tandis que les éoliennes fonctionnent comme des turbines à vapeur, sauf que c’est le vent qui fait tourner la turbine, et non la vapeur. Certaines formes de stockage de l’énergie, comme l’hydroélectricité par pompage, utilisent des turbines mais pour de l’eau liquide, pas pour de la vapeur, tandis que les batteries n’utilisent pas de vapeur du tout.

Ces technologies deviennent rapidement des sources importantes d’énergie et de stockage. Mais la vapeur n’est pas près de disparaître. Si nous utilisons des centrales thermiques, nous utiliserons probablement encore de la vapeur.

Pourquoi ne pouvons-nous pas tout simplement convertir la chaleur en électricité ?

On peut se demander pourquoi il faut autant d’étapes. Pourquoi ne pouvons-nous pas convertir directement la chaleur en électricité ? C’est possible. Des dispositifs thermoélectriques sont déjà utilisés dans les satellites et les sondes spatiales.

Fabriqués à partir d’alliages spéciaux tels que le Tellurure de plomb, ces dispositifs reposent sur un écart de température entre les jonctions chaudes et froides de ces matériaux. Plus la différence de température est importante, plus la tension qu’ils peuvent générer est élevée.

La raison pour laquelle ces dispositifs ne sont pas omniprésents est qu’ils ne produisent du courant continu qu’à de faibles tensions et que leur efficacité pour convertir la chaleur en électricité n’est que de 16 à 22%. En revanche, les centrales thermiques les plus modernes ont un rendement de 46%.

Si nous voulions faire fonctionner une société avec ces moteurs à conversion de chaleur, nous aurions besoin de vastes réseaux de ces dispositifs pour produire un courant continu suffisamment élevé, puis utiliser des onduleurs et des transformateurs pour le convertir en courant alternatif auquel nous sommes habitués. Ainsi, même si l’on peut éviter la vapeur, il faut ajouter de nouvelles conversions pour rendre l’électricité utile.

Il existe d’autres moyens de transformer la chaleur en électricité. Les piles à combustible à oxyde solide à haute température sont en cours de développement depuis des décennies. Elles fonctionnent à chaud, entre 500 et 1 000 °C, et peuvent brûler de l’hydrogène ou du méthanol (sans flamme réelle) pour produire de l’électricité en courant continu.

Le rendement de ces piles à combustible peut atteindre 60%, voire davantage. Bien que prometteuses, ces piles à combustible ne sont pas encore prêtes pour le « prime time ». Leurs catalyseurs sont coûteux et leur durée de vie est courte en raison de la chaleur intense qu’elles dégagent. Mais des progrès sont réalisés.

Tant que ces technologies n’auront pas atteint leur maturité, nous devrons nous contenter de la vapeur pour convertir la chaleur en électricité. Ce n’est pas si grave : la vapeur fonctionne.

Lorsque vous voyez passer une locomotive à vapeur, vous pouvez penser qu’il s’agit d’une technologie pittoresque appartenant à un passé révolu. Pourtant, notre civilisation dépend encore largement de la vapeur. Si l’énergie de fusion nucléaire voit le jour, la vapeur contribuera également à alimenter l’avenir. L’âge de la vapeur n’a jamais vraiment pris fin.

Andreas Helwig Associate Professor, Electro-Mechanical Engineering, University of Southern Queensland

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation Etats-Unis (en anglais).

La rédaction