<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Moduler la puissance des réacteurs nucléaires n’est pas sans inconvénients

15 octobre 2024

Temps de lecture : 3 minutes
Photo :
Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

Moduler la puissance des réacteurs nucléaires n’est pas sans inconvénients

par

EDF a acquis une grande expérience dans l’adaptation de la puissance de production de ses réacteurs nucléaires aux besoins du réseau électrique. La modulation de la puissance nucléaire est devenue encore plus importante aujourd’hui avec l’augmentation de la production des renouvelables intermittents (éoliens et solaires). Mais cette pratique a des inconvénients. En imposant des cycles de charge et de décharge répétés, elle accélére l'usure des matériaux, le vieillissement des installations et réduit leur disponibilité.

La modulation d’un réacteur nucléaire, c’est-à-dire la variation de sa puissance en fonction des besoins du réseau électrique, est une pratique courante en France. Cette flexibilité est essentielle pour intégrer les énergies renouvelables intermittentes, comme l’éolien et le solaire, dans le mix énergétique. Elle est de plus nécessaire depuis 40 ans, bien avant l’arrivée des renouvelables, par la part considérable du nucléaire dans la production électrique (70%) et l’évolution des besoins en fonction des variations de températures. Ils varient du simple au double entre été et hiver. Mais cette pratique soulève de nombreuses questions, notamment parce qu’elle a un impact sur la durée de vie des installations nucléaires et leur maintenance.

Les réacteurs nucléaires sont conçus pour fonctionner sur de très longues périodes, au moins 40 à 50 ans et en fait bien plus. Prolonger leur durée de vie présente des avantages économiques importants, mais nécessite une évaluation rigoureuse des contraintes induites par leur exploitation. La modulation, en imposant des cycles de charge et de décharge répétés, peut accélérer l’usure des matériaux et réduire la disponibilité des installations.

Contraintes thermiques et usure accélérée des matériaux

Le cœur d’un réacteur nucléaire est souvent comparé à un feu qu’il faut entretenir avec une extrême précision. La réaction en chaîne qui se produit en son sein dégage une énergie considérable transformée en vapeur et ensuite en électricité. Pour réguler cette puissance, les ingénieurs utilisent des barres de contrôle, un peu comme des manettes de gaz. En les insérant ou en les retirant du cœur, ils modulent la vitesse de la réaction. Mais ces variations répétées, ces démarrages et arrêts incessants, ont des conséquences sur les matériaux qui composent le réacteur.

Imaginez un élastique que l’on étire et que l’on relâche sans cesse. Au bout d’un moment, il perd de son élasticité et finit par se rompre. C’est un peu ce qui se passe dans un réacteur soumis à des cycles de puissance répétés. Les variations de température engendrent des contraintes thermiques qui fatiguent les matériaux. Les composants métalliques se dilatent et se contractent, créant des microfissures qui s’agrandissent progressivement. C’est un phénomène comparable à la fatigue métallique que l’on observe sur les ponts des navires ou les fuselages des avions.

Des coûts d’exploitation plus élevés

De plus, la modulation favorise la corrosion. Les variations de température et de composition chimique du fluide caloporteur qui refroidit le réacteur accélèrent l’oxydation des matériaux. C’est comme si l’on plongeait alternativement une pièce de métal dans de l’eau chaude et de l’eau froide : la corrosion est beaucoup plus rapide que si l’on maintenait une température constante.

Ces dégradations ont des conséquences directes sur la durée de vie des installations. Un réacteur soumis à de fortes sollicitations devra être arrêté plus tôt pour des opérations de maintenance et de remplacement de composants. Cela entraîne des coûts d’exploitation plus élevés et une production d’électricité moins régulière et moins compétitive.

Impact sur la sûreté des installations

La modulation peut aussi avoir un impact sur la sûreté des installations. Une usure prématurée des composants peut augmenter le risque de fuites ou de défaillances. Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre la flexibilité nécessaire pour intégrer les énergies renouvelables et la préservation de la sûreté et de la durée de vie des centrales nucléaires.

Les ingénieurs et les chercheurs travaillent ainsi pour développer de nouveaux matériaux plus résistants aux contraintes thermiques et mécaniques, ainsi que des modèles de prédiction plus précis pour évaluer l’état de santé des réacteurs. Des concepts de réacteurs de nouvelle génération, plus flexibles et plus sûrs, sont également à l’étude.

L’avenir de l’énergie nucléaire est étroitement lié à notre capacité à concilier les exigences de la transition énergétique avec les contraintes liées à la durée de vie et à la sûreté des installations existantes. Il faudra impérativement prolonger la durée de vie opérationnelle des 57 réacteurs du parc nucléaire français au-delà de 50 et même 60 ans pour assurer au pays une production d’électricité suffisante. Voilà pourquoi maîtriser les conséquences de la modulation des réacteurs nucléaires est un enjeu majeur.

Phillipe Thomazo

À propos de l’auteur

La rédaction

La rédaction

Newsletter

Voir aussi

Share This