Le débat public par médias interposés sur la désormais trop fameuse PPE3 (Programmation pluriannuelle de l’énergie, version 3) est devenu totalement lunaire. Les filières des renouvelables intermittents, éolienne et solaire, mobilisent tous leurs relais et crient à la catastrophe si la PPE n’est pas adoptée par décret de toute urgence. Il s’agit d’obtenir avec le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, ce qu’elles n’ont pas obtenu avec le précédent, François Bayrou. Et elles ont fait donner les ministres démissionnaires de l’Industrie, de l’énergie et… des renouvelables, Marc Ferracci, et de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.
Le scénario évoqué par un article de Contexte à la fin de la semaine dernière avec une PPE accompagnée d’un moratoire de quelques mois sur de nouveaux parcs éoliens terrestre et solaires, le temps de mesurer précisément leurs coûts réels et les vrais besoins de la France, les a mis en transe. Mais l’article a obtenu l’effet recherché. Torpiller le moratoire en question. Cette possibilité a ainsi été démentie presque immédiatement par Sébastien Lecornu dans une interview accordée au Parisien. « Cette information est complètement fausse et mensongère : il n’est pas question de revenir sur nos ambitions énergétiques car la décarbonation est une priorité pour notre souveraineté. Il faut sortir de certaines dépendances », a-t-il affirmé. Et dans la plus pure tradition macroniste, le Premier ministre a aussi ajouté « qu’aucune rente ne sera tolérée, n’en déplaise à certains lobbys ». Comprenne qui pourra. Le problème avec les contrats garantis par l’Etat sur 15 ou 20 ans pour les parcs éoliens et solaires est qu’ils ont tout d’une rente donnée la plupart du temps à des intérêts privés : accès prioritaire au réseau (dédommagements si cela n’est pas possible) et prix de vente garantis.
Des investissements coûteux et inutiles
Mais le principal problème aujourd’hui, c’est que la France n’a pas besoin du tout de cette production supplémentaire intermittente d’électricité. Contrairement au discours martelé dans les médias par le lobby renouvelable, qui ne défend que ses intérêts, le pays n’a aucune raison objective de se précipiter dans de nouveaux investissements… à la fois inutiles et très coûteux.
Avec une dette publique, un niveau de déficit public et des taux d’intérêt sur les obligations d’Etat qui en font l’homme malade de la zone euro. Avec un réseau électrique malmené et fragilisé par la pression technique et économique résultant de la surabondance aléatoire et difficile à gérer des productions d’électricité intermittente, éolienne et solaire. Ce qui se traduit par des épisodes toujours plus fréquents et aberrants de prix proches de zéro et même négatifs sur le marché de gros de l’électricité. Avec la nécessité de ce fait de réduire de plus en plus fréquemment le niveau de production des réacteurs nucléaires, ce qui finit par poser des problèmes de maintenance et affecte leur durée de vie… au moment où elle est prolongée.
La France produit beaucoup bien plus d’électricité décarbonée qu’elle n’en a besoin
Enfin et surtout, la France produit déjà beaucoup plus d’électricité qu’elle n’en a besoin. Le pays produit une électricité déjà décarbonée, à 95% en 2024, et en surabondance par rapport à ses besoins stagnants et même diminuant. L’an dernier, le pays a produit 537 TWh et en a consommé 447 TWh et a donc battu des records d’exportation d’électricité. Céder aux industriels des renouvelables reviendrait tout simplement à privilégier des intérêts particuliers et corporatistes au détriment de l’intérêt général.
Car même s’ils sont déformés et pollués par les discours idéologiques et politiques, les faits sont têtus. Et même si le Syndicat des énergies renouvelables dénonce un « déni démocratique » et un « déni énergétique ». Il va jusqu’à affirmer que le moratoire permettrait aux énergies fossiles de sortir « grandes gagnantes ». On ne voit pas vraiment comment…
Presque tous les experts qu’ils soient d’EDF, de RTE, du CEA ou de l’Académie des sciences font le même constat. Il suffit juste pour se faire une opinion de consulter l’application eCO2mix avec laquelle RTE informe les Français en temps réel de la production électrique, de la demande et du prix de l’électricité.
Le constat se décline en sept points.
1)-Jamais depuis 2005 la France n’a connu une demande d’électricité aussi faible, en raison de sa croissance anémiée, de la poursuite de la désindustrialisation et de la hausse des prix qui freine la consommation des ménages.
2)- Jamais le surplus quotidien de production d’électricité n’a été aussi élevé, entraînant très souvent une chute des prix spot à zéro ou à des valeurs négatives lorsque le vent et le soleil activent les productions éolienne et surtout photovoltaïque.
3)- Du coup, jamais le coût budgétaire des dédommagements à payer aux producteurs de renouvelables intermittents n’a été aussi élevé, soit au titre des prix minima que l’Etat leur a garanti, soit pour les dédommager des arrêts de production que RTE doit leur imposer pour éviter un black-out. Car le danger de black-out existe tout autant avec une sous-production qu’avec une surproduction. L’exemple espagnol du 28 avril dernier suffit à le démontrer.
4)-Jamais EDF n’a été autant contraint de ralentir sa production nucléaire pour absorber le trop plein d’électricité éolienne ou solaire, ce qui a un impact sur sa rentabilité et la maintenance des réacteurs.
5)-Jamais la puissance installée en production éolienne et solaire n’a été aussi élevée en France, et en croissance aussi rapide, puisqu’elle représente aujourd’hui une puissance équivalente à celle de 45 réacteurs nucléaires. Le parc nucléaire en activité en France est de 57 réacteurs. Il représente pourtant selon les années environ 70% de la production avec, il est vrai, un facteur de charge sans commune mesure avec celui des renouvelables intermittents… Mais ce n’est pas tout.
6)-Car jamais le nombre de dossiers pour de nouveaux projets éoliens et solaires déposés et en cours d’instruction dans les préfectures n’a été aussi élevé. Il représente 52 GW de capacités, dont 69% de solaire, ce qui équivaut à 30 réacteurs supplémentaires dernier cri du type de l’EPR de Flamanville… Et tout cela avant même les nouveaux appels d’offre que prévoyait d’autoriser la PPE 3 !
7)-Selon les données plus larges recensées par le Cérémé (qui est actionnaire de la société éditrice de Transitions & Energies), il existerait déjà aujourd’hui en service en France 52 GW de capacités de renouvelables intermittents. Il y aurait également 52 GW en attente de construction et/ou de raccordement, 19,5 à 26,5 GW en instruction et entre 2 et 5 GW en attente d’une décision de la justice administrative. Cela représente un total de capacités compris entre 125 et 135 GW, deux fois celui du parc nucléaire (63 GW)…
Mettre en péril la transition avec une nouvelle envolée des prix de l’électricité
Conclusion évidente, le moratoire est une nécessité. Si l’Etat poursuit la construction massive d’équipements supplémentaires solaire et éolien, il va mécaniquement augmenter son déficit budgétaire et son endettement et le prix de la facture d’électricité car il faudra faire aussi payer les consommateurs. Le contribuable, la compétitivité des industriels et donc les consommateurs en seront les victimes. Pour rien…
Il y a même encore plus grave. Cela mettra en péril la transition énergétique. Car elle passe obligatoirement, pour décarboner la consommation d’énergie, par l’électrification des usages dans les transports, l’industrie, le chauffage et la climatisation des bâtiments. Mais cette électrification des usages ne se fera pas si les prix de l’électricité sont trop élevés. Ce n’est pas pour rien si la consommation d’électricité n’est pas du tout au rendez-vous depuis des années, que ce soit en France ou en Allemagne. A tel point que l’Allemagne a décidé de réduire les aides publiques aux renouvelables intermittents qui est pourtant le cœur de sa stratégie énergétique depuis quinze ans… Une stratégie qui est un échec cuisant.