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Eoliennes Wikimedia

La guerre des éoliennes, au-delà des postures et des imprécations


Comme toutes les sources d’énergie, l’éolien a des avantages et des inconvénients.
 Ce n’est pas forcément une nuisance insupportable et il ne dégrade pas tous les paysages. Ce n’est pas non plus la recette miracle pour décarboner l’énergie
 et ce n’est pas vraiment un substitut à l’électricité nucléaire. L’éolien est aujourd’hui incapable de fournir une électricité fiable, abondante et peu coûteuse. L’imposer quoi qu’il en coûte est absurde.
Article publié dans le numéro 9 du magazine Transitions & Energies.

La question des éoliennes est devenue au fil des années un combat avant tout politique. Le gouvernement, la gauche et les écologistes font des renouvelables une sorte de recette miracle pour réaliser la transition sans en reconnaitre les limites et les effets pervers. La droite et l’extrême droite font des éoliennes le mal absolu et l’illustration de l’oppression des classes populaires et des territoires par les élites parisiennes. Pas étonnant si les éoliennes sont un des thèmes de la campagne des élections régionales.

Elles cristallisent, il est vrai, les contradictions, les hypocrisies, les postures et les errements de la transition énergétique. La vocation de Transitions & Énergies étant d’éviter le manichéisme, les slogans et le simplisme, nous avons décidé d’aborder cette question de façon rationnelle.

Les éoliennes comme toutes les sources d’énergies, sans exception, ont des avantages et des inconvénients. La seule question qui vaille est celle de leur utilité pour la transition. Il y a deux aspects à prendre en compte. La dimension énergétique et environnementale et la dimension économique et politique.

Les arguments techniques en faveur des éoliennes sont réels et ne peuvent être ignorés. Il s’agit d’une énergie renouvelable. Il s’agit d’une source d’énergie qui émet peu de gaz à effet de serre. Les calculs les plus récents effectués par les experts de Bernstein Research font état de 11 grammes de CO2 par kilowattheure à comparer à 44 grammes pour le solaire photovoltaïque, 450 grammes pour le gaz naturel et 1.000 grammes pour le charbon. Le champion des émissions reste le nucléaire avec 9 grammes.

Faible densité énergétique

Les émissions de l’éolien ne proviennent pas de son fonctionnement, mais de sa construction. Cela signifie que plus la durée de vie d’une éolienne est grande, moins son empreinte carbone est importante. Sa construction est indéniablement polluante. Il faut fabriquer et ensuite importer, souvent de l’autre bout du monde, les turbines et les pales. Il faut produire des tonnes d’acier et de ciment et les transporter. Que ce soit à terre ou en mer. Les principaux contributeurs à l’empreinte carbone des éoliennes sont l’acier, l’aluminium et les résine epoxy qui maintient les pièces ensemble. Les tours d’acier représentent environ 30% des émissions de CO2, les fondations en béton 17% et les pales en matériaux composites 12%. Le problème avec les pâles est qu’elles sont très difficiles à recycler et qu’en général les opérateurs d’éoliennes les remplacent tous les dix ans.

Les inconvénients techniques tiennent d’abord à la faible densité énergétique des éoliennes. En clair, il en faut beaucoup pour produire suffisamment d’électricité pour avoir un impact et il faut alors occuper de grandes surfaces et les dégrader en enfouissant 1.000 à 1.500 tonnes de béton pour chaque installation. Toute la logique des révolutions énergétiques qui se sont succédé depuis deux siècles, et ont permis les révolutions agricoles et industrielles qui ont changé le destin de l’humanité, a consisté à utiliser des sources d’énergie de plus en plus en plus denses. Le charbon concentre plus d’énergie que le bois. Le pétrole et le gaz concentrent plus d’énergie que le charbon. Le nucléaire concentre plus d’énergie que le pétrole. Avec l’éolien, l’évolution est totalement inverse. Ce qui signifie également qu’il faut investir lourdement pour reconfigurer les réseaux électriques afin d’y raccorder des milliers d’éoliennes et de pouvoir faire face à des variations subites de production. Pas simple.
 Autre problème technique majeur de l’éolien, le plus lourd de conséquence, l’intermittence. Une éolienne terrestre fonctionne réellement en France à sa capacité nominale en moyenne 25% du temps. Cela signifie à la fois que les capacités de production affichées n’ont rien à voir avec la réalité et surtout qu’il faut pour assurer l’équilibre permanent des réseaux électriques, faute de quoi ils s’effondrent, balancer systématiquement les éoliennes par des capacités de production dites pilotables à savoir hydrauliques, nucléaires, au gaz, au charbon…

Prendre ses désirs pour la réalité

Les partisans des éoliennes et plusieurs études militantes, émanant parfois d’organismes publics, balayent la question de l’intermittence en expliquant que nous serons bientôt capables de stocker dans des conditions techniques et économiques satisfaisantes de grandes quantités d’électricité. Il s’agit d’une forme de pensée magique… Elle consiste à prendre ses désirs pour la réalité. Les technologies permettant de stocker de l’électricité à l’échelle des besoins énergétiques d’un pays ou même d’une agglomération de plusieurs millions d’habitants n’existent pas. Et elles n’existeront pas, au mieux, avant de très nombreuses années.

Comme l’expliquait Vaclav Smil, l’un des scientifiques les plus respectés dans le monde en matière de transition, dans un entretien accordé à Transitions & Énergies il y a deux ans: «Plus de la moitié de la population mondiale se concentre dans les grandes villes et de plus en plus dans les méga cités. Les renouvelables ne sont pas capables de les alimenter de façon durable. Imaginez la métropole de Tokyo, 39 millions d’habitants, face à un typhon de trois jours. Les éoliennes ne fonctionnent pas, il y a trop de vent. Il y a très peu de soleil. Imaginez ce qu’il faudrait comme quantités de batteries –leur poids, leur taille, les matières premières nécessaires– pour alimenter l’agglomération pendant trois jours avec de l’électricité stockée éolienne et solaire. Il faudrait des gigawatts. C’est physiquement impossible. Et c’est la même chose pour Mumbai, Singapour, Mexico City, Le Caire, New York, Paris…».

De fait, les études qui affirment qu’il sera possible de construire bientôt des systèmes de production électriques à grande échelle 100% renouvelables sont non seulement mensongères mais dangereuses. Elles ouvrent la voie à des stratégies de transition irréalistes. Elles créent d’ores et déjà en Europe des risques de pénuries d’électricité qui ne vont cesser de s’aggraver et pourraient avoir des conséquences économiques et politiques désastreuses. France Stratégie, l’organisme de prévision rattaché au bureau du Premier ministre, a mis en garde à la fin de l’année dernière contre un risque majeur de pénuries fréquentes d’électricité en Europe d’ici 2030. Comme propagande contre la transition, il n’y a pas mieux.

Des modèles économiques absurdes

En matière d’émissions de gaz à effet de serre, le gain fournit en France par les éoliennes… est nul. Cela revient à remplacer des centrales nucléaires par des milliers d’éoliennes. Cela signifie que le contribuable français soutient à bout de bras, via des subventions massives de dizaines de milliards d’euros, une production d’électricité intermittente et plus coûteuse que celle provenant des centrales nucléaires pour un gain en terme de CO2 qui n’existe pas.

L’équation économique de l’éolien est aujourd’hui très médiocre même si les prix de l’électricité produite baissent. Mais ils restent supérieurs à ceux du nucléaire. Ces prix sont d’autant plus élevés qu’il faut doubler les capacités intermittentes par d’autres mobilisables à la demande. Ce n’est pas pour rien si c’est en Allemagne où en Californie que l’électricité est la plus chère, là où les installations d’éoliennes ont été massives. L’éolien illustre le paradoxe des renouvelables qui donnent naissance à des modèles économiques absurdes… Ils créent le chaos sur le marché en effondrant les prix de l’électricité dans les périodes ou il y a beaucoup de vent (ou de soleil). Ils font, en revanche, s’envoler les prix quand il n’y en a pas.

Cela signifie que sur un marché important, un investisseur, sans subventions massives, a peu de raisons d’investir dans un champ d’éoliennes. Il vend son électricité de façon intermittente et à des prix bas. Il vaut mieux, de son point de vue, investir, par exemple, dans une centrale au gaz dont les prix sont constants et la rentabilité prévisible. Le modèle économique de l’éolien dépend ainsi exclusivement de l’argent du contribuable qui assure en France aujourd’hui environ la moitié du chiffre d’affaires des parcs.

Le vrai défi de la transition est social

Reste la question politique. Car la guerre des éoliennes oppose des écologistes et des défenseurs de l’environnement, de leur environnement. Elle démontre une fois encore que le vrai défi de la transition n’est pas technique ou idéologique. Il est social.

Les éoliennes contribuent aujourd’hui à élargir le fossé entre la France
 des métropoles et la France périphérique. Elles sont imposées par la première à la seconde. Et ce n’est pas pour 
rien si de nombreux politiques se sont
 emparés de la question. Le président de 
la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, dénonce ce qu’il qualifie de «scandale national», dont «la méthode de développement anarchique méprise les populations». Au ministère de la Transition écologique, la question est balayée d’un revers de main.

La ministre de l’écologie, Barbara Pompili, a envoyé à la fin du mois de mai une directive comminatoire aux préfets… Ils doivent dans les six mois «réaliser une cartographie précise des zones favorables au développement de l’éolien». L’idée est de faire en sorte que les territoires s’emparent du sujet pour ne pas donner l’impression que l’état impose la construction de ces équipements. Son ministère a aussi pondu un argumentaire de 16 pages défendant les éoliennes et baptisé «Pour y voir plus clair, vrai/faux sur l’éolien». Il est tellement truffé de contrevérités et de sophismes qu’il est contre-productif.

L’enjeu du développement des éoliennes en France ne justifie en aucun cas une crise politique et sociale de type Gilets jaunes. Il s’agit d’une source d’énergie qui en l’état ne peut pas être un élément majeur de la transition. Son utilité réelle est marginale. Elle présente trop de faiblesses rédhibitoires: son intermittence, son manque d’intensité, les problèmes environnementaux qu’elle pose et pour finir des coûts trop élevés. Il faut cesser d’entretenir à dessein la confusion entre énergies renouvelables et énergies décarbonées. L’objectif premier de la transition énergétique consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela fait malheureusement longtemps que le gouvernement et bon nombre d’écologistes l’ont perdu de vue…

Eric Leser

La rédaction