Transitions & Energies

Interdire les chaudières à gaz, le gouvernement se refuse à en mesurer les conséquences


Contraindre les 12 millions de ménages français qui se chauffent au gaz à se passer de leurs chaudières est le type même de la fausse bonne idée technocratique que veut imposer le gouvernement et la Première ministre Elisabeth Borne. L’intention n’est pas contestable: réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au chauffage. Mais la mesure devient dangereuse économiquement comme socialement si les moyens économiques et techniques pour substituer au gaz d’autres sources d’énergie n’existent pas. La France ne pourra pas installer à partir de 2026 un million de pompes à chaleur par an pour remplacer les chaudières à gaz ni produire 10 gigawatts de plus d’électricité dans une décennie pour alimenter ses pompes.

C’est le type de mesure qui permet de communiquer sur la volonté inflexible du gouvernement et de la Première ministre Elisabeth Borne d’accélérer la décarbonation de l’économie du pays. C’est aussi le type de mesure que l’Etat français multiplie depuis des années sans jamais anticiper ou même chercher à bien en mesurer les conséquences indirectes et les effets pervers. Ce qui l’oblige souvent à corriger en catastrophe et à la marge des législations et des réglementations toujours, toujours plus incompressibles et toujours plus coûteuses et inefficaces. Cela s’appelle l’impuissance publique.

La possible interdiction de toute nouvelle chaudière à gaz dès 2026 est une caricature de cette incapacité à mesurer les conséquences des décisions imposées à la population. Plus de 12 millions de ménages, pas de personnes, de ménages, se chauffent aujourd’hui avec une chaudière à gaz. Elles fonctionnent avec une énergie fossile dont la combustion émet des gaz à effet de serre et notamment du CO2.

Des possibilités de substitution limitées

Il n’y a pas de doute et de contestation sur le fait qu’il faut et qu’il faudra se passer progressivement du gaz naturel et lui substituer, pour le chauffage et la climatisation des bâtiments et des logements, des sources d’énergie décarbonées. Le problème est que mettre en place des possibilités et des moyens de substitution à l’échelle et économiquement accessibles est la condition indispensable pour se passer du gaz naturel. Sinon, cela crée de l’appauvrissement, du chaos et des colères sociales. Et le mouvement a déjà commencé. Selon le syndicat Uniclima des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques, les ventes de chaudières à gaz et à fioul ont diminué de 29% tandis que celles des pompes à chaleur air/eau ont augmenté de 30% en 2022.

La Première ministre, Élisabeth Borne, ancienne ministre de l’Ecologie, qui s’était notamment illustrée dans une croisade anti-nucléaire et avec la fermeture des réacteurs de Fessenheim, entend imposer l’interdiction de la vente de toute chaudière à gaz d’ici 2026. Tout équipement qui tomberait en panne après cette date devra être remplacée par un autre mode de chauffage. Les possibilités sont relativement limitées : un raccordement à un réseau de chaleur urbain s’il en existe un, une chaudière à bois, un chauffage électrique associant une pompe à chaleur aérothermique ou géothermique. Les pompes à chaleur hybrides mixant gaz et électricité resteraient autorisées sachant que c’est tout simplement une nécessité technique, car dans les régions froides où les températures descendent durablement sous les 5 degrés Celsius les pompes à chaleur aérothermique ont un rendement ridicule et sont incapables d’assurer un niveau de chaleur suffisant.

Recours massif à l’électricité

Cette mesure signifie avant tout le recours massif à l’électricité pour chauffer les bâtiments et les logements, sachant que la France et même l’Europe font face et vont encore faire face pendant de nombreuses années à des capacités de production électrique insuffisantes. D’ores et déjà, l’équilibre entre augmentation de la demande liée à l’accélération de la décarbonation dans les transports et l’industrie rend la situation périlleuse d’ici 2030. Et en 2035, avec la seule installation de millions de pompes à chaleur en lieu et place de chaudières à gaz, la consommation française d’électricité augmentera encore en pointe de 10 gigawatts. Cela signifie que notamment lors des périodes de consommation élevées, le recours aux centrales thermiques, fonctionnant au charbon et au gaz, sera indispensable et parfois même massif. On remplacerait ainsi en partie le gaz des chaudières, par celui des centrales…

La mesure semble tellement problématique qu’un collectif de 25 organisations venues d’horizons très divers a adressé au gouvernement une lettre ouverte dans laquelle il met en garde contre « 8 à 9 millions de pompes à chaleur supplémentaires prévues d’ici 2030 sans garantie de gestes d’isolation, et sans analyse des conséquences sur le réseau électrique, avec un risque de fraude excessif ».

Le collectif soulève quatre problèmes majeurs.

1)-Une meilleure efficacité énergétique est loin d’être garantie

Installer une pompe à chaleur ne garantit pas toujours une meilleure efficacité énergétique. C’est la conclusion d’une étude publiée en janvier 2023 par l’association militante négaWatt. « Dans les bâtiments classés F ou G — souvent anciens — l’installation de PAC ordinaires en remplacement de chaudières sans action de rénovation énergétique associée n’est pas appropriée », détaille l’étude. En cas de grands froids, une pompe à chaleur ne pourra pas fournir assez de puissance pour chauffer le logement. « Il en résultera une insuffisance de la température intérieure ne dépassant pas 14 °C par grand froid et donc un important inconfort thermique », ajoute-t-elle.

2)-L’envolée de la consommation d’électricité

L’installation massive de nouvelles pompes à chaleur — 8 à 9 millions d’appareils sont prévus d’ici 2030 — ne peut que mécaniquement augmenter la consommation électrique. Pour qu’elle soit gérable par le réseau, il faut selon les experts de RTE (le Réseau de transport d’électricité), qui depuis des années n’ont cessé de se tromper dans leurs prévisions, qu’elle soit compensée par une baisse de consommation liée à la rénovation thermique des logements et la modernisation des installations de chauffage. On peut sérieusement s’interroger sur ce scénario, sachant que les performances en matière de rénovation énergétique des bâtiments ont toujours été limités et très inférieures aux prévisions, sans parler, par exemple de l’effet rebond.  « GRDF a calculé que [le changement de 12 millions de chaudières à gaz] augmentera fortement la pointe électrique en hiver et nécessitera 10 gigawatts de plus en 2035, soit l’équivalent de dix réacteurs nucléaires supplémentaires », affirme Que Choisir.

3)-Une filière du chauffage incapable de faire face à une explosion de la demande

ELM Leblanc, Frisquet, Chaffoteaux… si un grand nombre d’industriels fabricants de chaudières à gaz sont français ou installés en France, les pompes à chaleur viennent avant tout de Chine. « Enlever un système intégré de gaz pour y poser une pompe à chaleur souvent fabriquée en Chine, notamment le compresseur, je ne suis pas sûr que ce soit bénéfique pour la planète », explique Jean-Christophe Repon, président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment. Et il ajoute : « on peut pas dire qu’en 2026, on supprime la chaudière à gaz et qu’on forme 200.000 chauffagistes à la pompe à chaleur. Ce calendrier n’est pas tenable ». Même en ayant les moyens économiques et financiers pour se développer rapidement et pour embaucher, ce qui est loin d’être assuré, la filière française du chauffage sera totalement incapable de répondre à une demande qui selon le calendrier imposé par le gouvernement passera de moins de 300.000 pompes par an à plus d’un million dans trois ans.

4)-Qui va payer et garantir la qualité des nouvelles installations?

C’est sans doute l’argument le plus fort contre la mesure voulue par le gouvernement et le moins mis en avant. L’installation d’une pompe à chaleur coûte cher et peut dépasser 15.000 euros. Et les professionnels, qui ne peuvent plus faire face à l’augmentation de la demande, en profite pour augmenter leurs tarifs, sans parler des entreprises douteuses qui sévissent en nombre dans le secteur du bâtiment.

Le magazine 60 Millions de consommateurs détaille dans un dossier de dix pages publié il y a trois mois et titré «Pompes à chaleur : vous risquez d’avoir froid», les déboires de consommateurs ayant fait installer une pompe à chaleur à leur domicile. «Certains constatent que leur consommation électrique augmente et que les économies annoncées ne sont pas au rendez-vous… D’autres encore ont froid lors de leur premier ou deuxième hiver avec leur pompe à chaleur». Sans parler de ceux qui ne parviennent pas à percevoir les aides annoncées et qui «se retrouvent à payer leur installation bien plus cher que prévu». Pour en avoir le cœur net, 60 Millions de consommateurs a fait un test auprès de six installateurs de pompes à chaleur pour réaliser un même chantier. Résultat, «les propositions reçues n’étaient pas satisfaisantes. Un seul installateur a réalisé un travail sérieux…».

La rédaction