Transitions & Energies
Investissement Vert

L’incontournable loi des rendements décroissants


Nous devons nous passer des énergies fossiles et leur trouver des substituts, mais pas seulement pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Les réserves de combustibles fossiles sont par nature limitées et se raréfient. Il est ainsi de plus en plus coûteux d’accéder à de nouvelles ressources. Cela signifie qu’il faut dépenser de plus en plus d’énergie pour produire de l’énergie, une donnée calculée par le Taux de Retour Energétique ou EROI (Energy Returned On Energy Invested). L’EROI est un outil indispensable et négligé pour déterminer la pertinence économique des stratégies de transition énergétique.

Il s’agit d’un élément clé pour valider en termes économiques les stratégies de transition énergétique. Un élément souvent ignoré par les décideurs et les conseilleurs… qui par définition ne sont pas les payeurs. C’est la question des rendements décroissants matérialisée par le Taux de Retour Energétique (TRE) ou EROI (Energy Returned On Energy Invested). L’EROI est le ratio entre l’énergie utilisable et celle consommée pour l’obtenir. Il faut dépenser de l’énergie pour en produire. Et il faut en dépenser de plus en plus.

Les révolutions agricole, industrielle et numérique des deux derniers siècles n’ont été rendues possibles que par l’utilisation massive des énergies fossiles, le charbon puis le pétrole et le gaz naturel. L’EROI de ces énergies était bien plus élevé que toutes les formes d’énergies jusqu’alors accessibles aux êtres humains. Les fossiles ont décuplé les possibilités de transformation de la matière. Un humain peut développer en une journée 0,5 kWh de force de travail. La combustion d’un litre d’essence libère 10 kWh… Cela explique pourquoi la révolution industrielle s’est traduite par une envolée de la consommation d’énergie, de la croissance économique et de la richesse matérielle de l’humanité.

Le PIB et l’utilisation de l’énergie sont presque la même chose

En 1820, pas moins de 89% de la population mondiale vivait dans une extrême pauvreté. Ce chiffre est tombé à moins de 10% aujourd’hui. Et cela n’aurait pas été possible sans accès à une énergie abondante, concentrée et relativement bon marché. Le PIB (Produit Intérieur Brut) et l’utilisation de l’énergie sont en fait presque la même chose comptabilisée de deux manières différentes.

Les énergies fossiles sont le fruit de la transformation de milliers de milliards de tonnes de matières organiques pendant des centaines de millions d’années. Plus des deux tiers du pétrole mondial, par exemple, ont commencé à se former à l’ère mésozoïque, il y a plus de 250 millions d’années. Les réserves de combustibles fossiles sont par nature limitées et se raréfient. Il est de plus en plus difficile et donc coûteux d’accéder à de nouvelles ressources. Cela ne veut pas dire qu’elles n’existent pas et que les réserves ne sont pas encore importantes. Mais la rentabilité économique liée à leur exploitation devient de plus en plus faible. La fameuse loi des rendements décroissants.

L’EROI des énergies fossiles ne cesse de baisser

Cela signifie, au-delà même de la question des émissions de gaz à effet de serre et du climat, qu’il est impératif de développer des sources d’énergies alternatives et qu’elles sont indispensables pour assurer la survie matérielle de l’humanité et la poursuite de progrès technologiques.

Certains expliquent, à raison, qu’il y a encore suffisamment de charbon, de gaz et de pétrole sous terre pour permettre à la civilisation de fonctionner pendant encore plus d’un siècle. C’est vrai, mais ils omettent de prendre en compte le coût énergétique de l’extraction des combustibles fossiles.

Lorsque les prospecteurs de la Seneca Oil Company ont découvert l’or noir à Titusville, en Pennsylvanie, en 1859, ils l’ont extrait en forant des puits à une profondeur d’un peu plus de 18 mètres (61 pieds). Chaque baril de pétrole utilisé pour alimenter le processus d’extraction lui-même produisait environ 100 barils de pétrole, soit un retour énergétique sur investissement (EROI) de 100.

Depuis ce ratio n’a cessé de baisser. Au fur et à mesure que le pétrole brut proche de la surface de la Terre a été épuisé, les compagnies ont dû creuser plus profondément. En 1959, les puits de pétrole atteignaient une profondeur moyenne de 1 500 mètres. Aujourd’hui, il n’est pas rare de forer à 5 000 mètres et, dans des cas extrêmes, le pétrole est extrait à une profondeur de 11.000 mètres dans des conditions les plus hostiles de la planète, sous des températures torrides et des pressions atmosphériques écrasantes. La quantité d’énergie nécessaire pour extraire le pétrole dans ces conditions est telle que l’EROI est de 5 !

Un Eroi supérieur à 11 nécessaire pour maintenir une croissance économique soutenue

Cela est parfaitement logique. Plus la ressource est difficile d’accès, plus il faut utiliser de moyens pour la trouver et l’exploiter, creuser profond, notamment dans les mers, et dépenser ainsi beaucoup d’énergie pour l’atteindre. Il faut y ajouter la mise en place de normes environnementales plus coûteuses. Du coup, le rendement énergétique de l’investissement réalisé est de plus plus faible.

La société industrielle et la société de consommation ont été construites sur la profusion énergétique et le très important Eroi des ressources fossiles. Selon les travaux récents de Victor Court, ingénieur et économiste à l’IFP Energies nouvelles et Floriane Fizaine, économiste de l’Université Savoie Mont Blanc, un EROI d’au moins 11 est nécessaire pour maintenir une croissance économique soutenue dans une économie moderne.

Le problème des renouvelables

Le problème est que l’EROI des énergies renouvelables est très loin de ce niveau. Même s’il s’améliore avec les progrès techniques et la production en masse de panneaux solaires et d’éoliennes, il n’a rien de comparable aux énergies fossiles. Le solaire et l’éolien nécessitent à puissance égale plus d’installations, plus de matériaux, plus de surface au sol et plus d’investissements. En plus, ils sont intermittents et aléatoires et nécessitent, s’ils ne sont pas adossés à des capacités de production fossiles ou nucléaires, des moyens de stockage coûteux et assez peu efficaces.

Comme l’expliquait Jacques Treiner, physicien et président du Comité des experts du Think tank The Shift Project : « il faut tenir compte du transport de l’électricité et du raccordement. Pour de telles énergies décentralisées, ça fait beaucoup de lignes pour peu de puissance par rapport à une énergie concentrée. L’Eroi doit aussi prendre en compte l’intermittence des énergies renouvelables, donc le coût du stockage et les solutions de secours quand les fluctuations sont trop importantes. »

Selon plusieurs études, l’Eroi de l’électricité solaire photovoltaïque en Espagne, pays qui bénéficie d’un ensoleillement favorable, passe d’environ 8 à seulement 2 quand on prend en compte les variations de production.

L’éolien, lui aussi intermittent par nature, n’est pas beaucoup plus performant. Un chercheur de l’Institute for Nuclear Physics de Berlin, Daniel Weissbach, a calculé qu’en intégrant le stockage, l’EROI de l’éolien passait de 16 à… 3,9.

Une étude publiée par des chercheurs de l’université de Valladolid estime qu’une transition vers une électricité 100% renouvelable à l’horizon 2060 ferait passer l’Eroi du système énergétique mondial d’un niveau actuel de 12 à 3 au milieu du siècle, avant de remonter pour se stabiliser à 5. Autant dire que 100% d’électricité renouvelable est en l’état actuel de la technologie une chimère.

L’argument des décroissants

La forte corrélation entre PIB et consommation d’énergie signifie que si nous n’arrivons pas à remplacer les énergies fossiles par d’autres ressources dotées d’un EROI relativement élevé, la croissance économique est menacée à moins d’un changement total et improbable de la nature de l’activité économique. C’est pour cela que les adeptes de la décroissance estiment qu’elle seule permettra de réellement réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Mais il y a deux problèmes avec ce raisonnement. D’une part, il n’y a pas de corrélation, dans une certaine limite, entre consommation d’énergie et émission de gaz à effet de serre. La baisse des émissions en Europe depuis deux décennies le montre.

Et puis la transition n’est pas une question théorique, mais concerne la transformation des sociétés humaines. Son acceptabilité sociale et politique sont des facteurs déterminants. Si transition rime avec décroissance et appauvrissement, elle est vouée à l’échec.

La rédaction