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L’IFRI prévoit un raz de marée de véhicules électriques en Europe


Pour l’Institut français des relations internationales (IFRI), la décennie 2020-2030 sera en Europe «celle de la décarbonation accélérée du secteur du transport routier». Elle sera marquée par une progression rapide et continue des ventes de véhicules électriques. Mais pour que ce soit un succès économique, industriel et social, la priorité doit être donnée non pas aux contraintes toujours plus lourdes imposées par l’Union européenne et les Etats mais à «l’acceptabilité et l’expérience de l’utilisateur». Nous en sommes encore loin.

La décennie 2020 sera «celle de la décarbonation accélérée du secteur du transport routier, aujourd’hui responsable de 20% des émissions de gaz à effet de serre en Europe», annonce une étude approfondie publiée il y a quelques jours par le Centre Énergie et Climat de l’Ifri (Institut français des relations internationales).

3,5% de parts de marché en 2019, 7% en  2020 et 12-15% en 2022

Elle fait le constat que le secteur des transports est l’un des premiers contributeurs au changement climatique et qu’il représente 27% des émissions de gaz à effet de serre de l’Union Européenne dont 72% proviennent du transport routier. Les véhicules lourds (camions, autobus et autocars) représentent 25% des émissions du transport routier et les véhicules particuliers donc le reste. L’IFRI souligne que la «transformation» du secteur automobile est «un des grands piliers de la stratégie européenne de relance verte ». Et que cette stratégie commence à prendre forme puisque les ventes de véhicules électriques en Europe ont augmenté de 76% au 1er semestre 2020. La part de marché de ces véhicules électriques a atteint 7% durant cette période contre 3,5% en 2019 et pourrait se situer «autour de 12-15% dès 2022, et de 35-45% à l’horizon 2030». A condition toutefois que de nombreux obstacles soient franchis…

«C’est une immense opportunité de création de nouvelles filières industrielles et d’emplois, de transformation des villes et territoires ainsi que des systèmes énergétiques. La crise du COVID-19 joue ici un rôle d’accélérateur: le secteur automobile est très affaibli mais sa transformation est aussi un des grands piliers de la stratégie européenne de relance verte. Les villes sont à la pointe du déploiement de la mobilité propre et de l’interdiction progressive des véhicules les plus polluants: les restrictions visant les véhicules thermiques vont se multiplier et les échéances de mise en conformité vont être avancées, possiblement à un horizon de dix ans», écrit l’étude avec une certaine dose d’optimiste ou de naïveté, au choix.

De nombreux obstacles à surmonter

L’étude estime aussi que le véhicule électrique (à batteries) «s’impose de plus en plus clairement pour la mobilité individuelle et les autres solutions resteront marginales. Pour les bus et les poids lourds, les choix technologiques sont plus ouverts: l’électrification a encore une marge de progression mais l’hydrogène propre, ou le bioGNV présentent des atouts indéniables…».

Fort heureusement, l’étude ne se contente pas seulement d’annoncer le succès à venir des véhicules électriques et les opportunités que cela présente. Ce sont des promesses qui ont été répétées souvent depuis des années et ne se sont pour la plupart jamais réellement concrétisées. Dans une deuxième partie très différente de la première, l’étude décrit cette fois les obstacles, notamment économiques, industriels et sociaux, qui se dressent en Europe sur la diffusion de masse des véhicules électriques et décrit trois scénarios très différents pour ce type de motorisation d’ici 2030.

D’abord, la progression rapide des ventes de véhicules électriques est aujourd’hui étroitement liée aux subventions à l’achat dont ils bénéficient et cela est vrai partout dans le monde. L’Europe de la voiture électrique est ainsi à deux vitesses. Celle des pays où les subventions à l’achat sont fortes, notamment au nord et à l’ouest, et les ventes augmentent rapidement et celle où les subventions sont faibles, à l’est et au sud, et les parts de marché tout aussi faibles. «L’essor de la mobilité électrique ne doit pas occulter une réalité: les véhicules propres sont pour la plupart encore chers et les véhicules thermiques resteront dominants très longtemps, avec comme risque un creusement des inégalités si l’enjeu social est insuffisamment pris en compte», écrit l’IFRI.

Des bornes, des bornes, des bornes

Ensuite, les véhicules électriques à batteries nécessitent le déploiement rapide d’infrastructures de recharge. Pour un parc de 40 à 50 millions de véhicules électriques en circulation en Europe à l’horizon 2030, «il faudra probablement mettre à disposition au moins 3 millions de bornes de recharge publiques, ce qui suppose de multiplier par près de 20 les installations existantes». Ce qui nécessitera un investissement d’au moins 9 milliards d’euros.

L’étude souligne aussi les conséquences très négatives pour l’environnement de la fabrication et du recyclage des véhicules électriques et plus particulièrement de leurs batteries lithium-ion. Elle met en avant la nécessité de mettre en place: «un approvisionnement responsable en métaux», de limiter «l’empreinte carbone de la fabrication des batteries», de créer «un cadre de développement des batteries de seconde vie», et de travailler «sur la recyclabilité des composants».

Accorder la priorité non pas aux contraintes imposées d’en haut mais à «l’acceptabilité et l’expérience de l’utlisateur»

Pour l’IFRI, il existe trois scénarios très différents pour le véhicule électrique en Europe à l’horizon 2030.

-L’échec

Le premier scénario, le plus défavorable, voit l’Union européenne «s’enliser dans une crise économique longue qui conduirait au maintien du statu quo avec une domination persistante des véhicules thermiques conventionnels et le cantonnement des options décarbonées aux segments de niches…. Les plans de relance seraient insuffisants pour compenser la dégradation du pouvoir d’achat et stimuler les ventes de véhicules propres. L’industrie automobile européenne serait alors confrontée à de graves difficultés économiques et ne verrait pas dans la transition vers la mobilité propre l’opportunité d’un retour sur investissement suffisant pour assurer la pérennité de ses activités… Plusieurs dizaines de milliers d’emplois seraient supprimées dans les grands pays automobiles, ce qui nourrirait le vote populiste qui dénoncerait l’échec industriel provoqué par le «diktat écologique»».

-Une situation intermédiaire

La deuxième possibilité selon l’étude verrait «l’Union européenne et les Etats membres mettre en place «un relance économique commune, mais avec une dilution des efforts et donc un résultat sous-optimal en 2030…. L’industrie européenne de la mobilité routière propre avancerait en ordre dispersé, chacun s’estimant en mesure de porter son propre projet en raison des facilités de financement… Dans la précipitation, l’attention serait exclusivement portée sur les émissions de CO2 des véhicules dans leur phase d’utilisation et les problématiques d’empreinte carbone et environnementale seraient temporairement passées sous silence… Le boom de la demande européenne de véhicules propres créerait des tensions sur les marchés de matières premières et l’insuffisante maîtrise européenne de la partie amont de la chaîne de valeur l’exposerait de manière excessive au risque de rupture d’approvisionnement».

-La maîtrise de la transition

Le dernier scénario, optimiste, repose avant tout sur le fait de «placer l’acceptabilité et l’expérience de l’utilisateur au cœur des stratégies de mobilité routière propre pour permettre une transition progressive et désirable pour l’ensemble de la population. Les dispositifs de soutien aux véhicules décarbonés et les contraintes sur l’utilisation des véhicules thermiques (durée de vie d’au moins 20 ans) doivent être conçus de manière à ne pas creuser les inégalités sociales et territoriales». Il s’agirait de «concevoir la transition vers la mobilité propre non comme une fin en soi mais comme un moyen de réduire les émissions de GES et d’améliorer la qualité de vie.»

En résumé, de faire du passage aux véhicules électriques un vrai progrès et non pas la soumission à des contraintes venues de l’Union européenne et des Etats loin d’être cohérentes et de prendre en compte les réalités économiques, industrielles et sociales. Mais s’il s’agit d’un progrès tangible, la réussite sera presque assurée. Car la transition vers l’électrique  suscitera une véritable adhésion.

La rédaction