<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La fin de l’âge du pétrole attendra

6 novembre 2025

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Puit de pétrole Wikimedia
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La fin de l’âge du pétrole attendra

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La date du pic pétrolier, le maximum de la consommation mondiale de pétrole, et ensuite de son reflux plus ou moins rapide et dramatique agite les experts, les prévisionnistes et les prophètes de l’apocalypse depuis 70 ans. Ils se sont toujours trompés... Pour preuve, l’Agence internationale de l’énergie et plus récemment encore TotalEnergies et le cabinet Wood Mackenzie viennent de le retarder à nouveau autour de 2040, voire 2050. Le déclin de la consommation d’hydrocarbures en volume, pas en pourcentage de la demande mondiale d’énergie, n’est pas pour demain, mais pour après-demain. La faute à une électrification des usages, notamment dans les transports lourds sur longue distance et dans l’industrie, qui tarde à se matérialiser. Illustration supplémentaire, le pays hôte de la COP30, qui se tiendra du 10 au 21 novembre au Brésil, investit massivement dans l’exploitation pétrolière.

TotalEnergies a publié le 4 novembre la 7ème édition de ses propres scénarios sur l’évolution de la demande mondiale d’énergie. De Rystad à McKinsey en passant par Wood Mackenzie, BP, Shell, ExxonMobil, l’OPEP et évidemment l’Agence internationale de l’énergie (AIE), il y a pléthore de ses scénarios. La compagnie pétrolière française présente elle aussi trois hypothèses qui finalement n’ont rien de très originales.

La première baptisée Trends, prolonge les tendances actuelles. Elle prévoit un réchauffement mondial compris entre 2,6 et 2,8 °C d’ici la fin du siècle. Une autre appelée Momentum s’appuie sur une accélération des politiques de transition énergétique. Dans ce cas, le réchauffement climatique serait de 2,2 à 2,4 °C en 2100. Enfin, Rupture qui s’incrirait dans la perspective de l’accord de Paris, verrait une augmentation des températures comprise entre 1,7 et 1,9 °C, toujours à la fin du siècle. Mais ce n’est pas l’hypothèse qui semble la plus probable. Elle « supposerait une énorme coordination au niveau mondial », selon les propres mots de Patrick Pouyanné, le Pdg de TotalEnergies. Et « vu la fracturation géopolitique, la probabilité de succès diminue en ce moment. La coordination mondiale n’est pas la planète sur laquelle nous vivons depuis quelque temps».

Source: TotalEnergies Energy outlook 2025.

Coincidence, le cabinet Wood Mackenzie a rendu public le 5 novembre une mise à jour de son étude Energy Transition Outlook (Perspective de la transition énergétique). Il parvient à la même conclusion, le rythme de la transition énergétique est bien plus lent que celui espéré et même attendu par la plupart des organisations internationales impliquées. « Les combustibles fossiles sont largement disponibles, compétitifs en termes de coûts et profondément ancrés dans le système énergétique », souligne le cabinet américain. Il rappel que des milliers de milliards de dollars ont été investis dans la transition, mais que le pétrole, le charbon et le gaz naturel continuent de satisfaire 80% des besoins mondiaux en énergie primaire. Et ce sera le cas tant qu’il n’y aura pas une accélération des investissements dans la transition que Wood Mackenzie chiffre pour parvenir à une décarbonation de l’économie mondiale à pas moins de 4.300 milliards de dollars par an d’ici 2060. Wood Mackenzie considère aussi que la demande mondiale de pétrole devrait continuer à augmenter au moins jusqu’en 2032, avant de stagner ensuite pour une longue période avant de commencer à décroître.

Une quasi-stagnation à haut niveau de la consommation de pétrole

C’est la partie sur le marché pétrolier qui est aussi la plus intéressante dans le travail de prospective de TotalEnergies. C’est aussi ce que la compagnie connait le mieux. Et elle rejoint dans ce domaine les évaluations les plus récentes de Wood Mackenzie et des autres. A savoir, que la consommation mondiale de pétrole ne devrait pas diminuer avant 2040 dans le scénario Trends considéré comme le plus probable. Elle se situerait alors à 108 millions de barils par jour à comparer à 103 millions de barils en 2024 selon les chiffres de TotalEnergies. On serait en fait dans une quasi-stagnation à haut niveau de la demande et de la production de pétrole dans les 15 prochaines années, mais pas de reflux. Ce qui est lié notamment aux difficultés réelles de l’électrification des usages dans de nombreux domaines, notamment les transports lourds sur longue distance et l’industrie lourde.

Patrick Pouyanné ne veut pas se prononcer sur la date du trop fameux pic pétrolier, le moment où la demande mondiale de pétrole atteindra son maximum. Tout simplement parce qu’il ne le sait pas et estime que cela arrivera dans les années 2030 ou 2040. Ensuite, la baisse sera très progressive et la consommation sera encore de 98 millions de barils par jour en 2050 selon les prévisions de TotalEnergies.

Le virage à 180 degrés de l’AIE

Dans ces conditions, la compagnie entend logiquement continuer à investir dans le pétrole et le gaz. Elle reprend même à son compte les perspectives de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui estime nécessaire d’investir dans la production d’hydrocabures en raison de l’épuisement des gisements exploités qu’il faut renouveler.

Un virage à 180 degrés de l’AIE qui avait même plaidé, il n’y a pas si longtemps, en 2021, pour l’arrêt total de tous les investissements dans la recherche et l’exploitation pétrolière… Mais en quelques années, en quelques mois même, les perspectives de la transition énergétique ont changé, tout comme celles de l’AIE qui est revenue cette année douloureusement à cette réalité. Une réalité à laquelle l’administration Trump n’est pas étrangère. L’Agence a donc fini par admettre que le déclin de la consommation d’hydrocarbures en volume, pas en pourcentage de la demande mondiale d’énergie, n’est pas pour demain, mais pour après-demain.

Cela faisait pourtant des années que l’AIE annonçait en vain, dans ses World Energy Outlook le pic de consommation de charbon, de pétrole et de gaz. Dans son rapport annuel de 2024, elle prévoyait encore un déclin de la consommation de pétrole aux Etats-Unis à partir de 2026 et en Chine à partir de 2028.

Plus de 70 ans de scénarios plus ou moins dramatiques, plus ou moins sérieux

Mais selon des fuites, dans son rapport annuel 2025 qui sera publié le 12 novembre, l’AIE a construit un nouveau scénario dans lequel « la consommation de pétrole et de gaz naturel augmentera jusqu’en 2050 » si les politiques actuelles ne changent pas. À cette date, l’Agence anticipe que le monde consommera alors 114 millions de barils de pétrole par jour contre environ 104 millions de barils par jour actuellement. Des chiffres un peu plus pessimistes encore que ceux de TotalEnergies. Des chiffres qui se rapprochent même de l’évaluation de l’organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) qui prévoit une consommation de 123 millions de barils par jour en 2050. Sachant que la prévision de l’Opep est à prendre avec des précautions…, le cartel ayant évidemment intérêt à la gonfler.

Le constat est en tout cas un peu partout le même. A l’échelle planétaire la transition n’a toujours pas vraiment commencé dans le sens que si le monde construit bien à un rythme sans précédent des équipements pour produire de l’énergie bas carbone, il bat dans le même temps tous les ans des records de consommation de pétrole, de gaz et de charbon… Nous sommes encore loin de la substitution des combustibles fossiles par des sources d’énergies décarbonées.

La fin de l’âge du pétrole attendra. Il faut dire qu’elle agite les experts, les écologistes, les prévisionnistes, les anticapitalistes et les prophètes de l’apocalypse et de la fin de la civilisation depuis près de 70 ans. Ils sont nombreux à nous l’avoir annoncé de King Hubbert en 1956 au Club de Rome et à l’ONU au début des années 1970 en passant plus près de nous en 2004 par Jean-Marc Jancovici ou Matt Simmons qui dans son célèbre livre «Twilight in the Desert» affirmait en 2005 que les gigantesques réserves saoudiennes étaient en fait épuisées. D’une part, les gisements saoudiens sont loin d’être à sec et d’autre part la « rupture technologique » créée à partir de 2014 par le pétrole de schiste et le retour inattendu en quelques années des Etats-Unis à la place de premier producteur mondial ont balayé, une fois encore, la perspective du « peak oil ».

En 2020, au plus fort de la pandémie, c’était la major pétrolière BP qui annonçait que la consommation de pétrole devrait baisser pour la première fois de l’histoire, du fait à la fois des politiques en faveur des énergies renouvelables, de l’électrification massive des usages et des effets durables de la pandémie sur l’économie mondiale et la demande en énergie. Cela n’a pas empêché depuis 2020 la consommation de pétrole de redémarrer et d’atteindre des niveaux records.

En 2023, c’était au tour de l’Agence internationale de l’énergie qui annonçait par la voix de son directeur exécutif un pic de la consommation mondiale de pétrole d’ici la fin de la décennie. Il faut tout de même souligner que le peak oil de l’AIE n’était pas celui du Club de Rome, de Mad Max ou de « Twilight in the Desert ». Il était celui formulé déjà il y a cinq ans par Michael Liebreich, le fondateur du très influent Bloomberg NEF (New energy foundation). La fin de l’âge du pétrole ne sera pas, selon lui, la conséquence d’une insuffisance de l’offre mais d’un déclin de la demande. Il doit être lié notamment à une révolution dans les transports et à la mutation de la pétrochimie. Mais pour l’instant, cette fameuse électrification des usages se fait attendre…

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