<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La face cachée de l’industrie automobile chinoise

20 novembre 2025

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La face cachée de l’industrie automobile chinoise

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En misant sur la technologie électrique, l’industrie automobile chinoise est devenue la première exportatrice au monde. Mais à quel prix ? Surcapacités de production massives, subventions publiques à jets continus depuis 15 ans, guerre des prix à outrance sur le marché intérieur et en réponse envolée des droits de douane aux Etats-Unis et même en Europe… Les constructeurs automobiles chinois dominent le monde électrique et sont dans le même temps incapables de construire un modèle économique pérenne et engagés dans une véritable fuite en avant.

Vue d’Europe, l’industrie automobile chinoise semble irrésistible. Elle est devenue la première exportatrice au monde depuis deux ans, devant le Japon et l’Allemagne, et possède aujourd’hui des avantages compétitifs qui semblent presque impossibles à rattraper dans la fabrication et la conception des véhicules électriques. Non seulement l’industrie chinoise domine de la tête et des épaules la technologie et la production des voitures électriques mais aussi celles des batteries et des minéraux stratégiques indispensables pour fabriquer lesdites batteries.

Mais derrière ce succès impressionnant, la réalité est moins reluisante. Les constructeurs automobiles chinois sont confrontés à des surcapacités de production massives et des investissements tout aussi massifs qu’ils sont incapables de rentabiliser. Ils sont engagés sur leur marché automobile intérieur, le premier au monde, dans une guerre commerciale à mort pour survivre. Pour contourner la censure gouvernementale impitoyable pour faire disparaître les mauvaises nouvelles économiques, les spécialistes chinois de l’automobile utilisent un terme apparemment anodin pour décrire la situation dans laquelle se trouve l’industrie automobile du pays : ils parlent d’involution… un synonyme de dégénérescence.

Crise financière majeure

Lestée par des investissements excessifs, dopée à outrance par le gouvernement central et les gouvernements régionaux et minée par de lourdes pertes, l’industrie automobile chinoise des véhicules électriques est menacée d’effondrement. Un constat fait notamment par un article retentissant du magazine The Atlantic titré « China’s EV market is imploding», le marché chinois des véhicules électriques au bord de l’implosion. Wei Jianjun, président du groupe automobile chinois Great Wall Motor, avertissait déjà il y a déjà quelques mois que l’industrie automobile chinoise pourrait sombrer dans une crise financière.

Illustration, il est possible aujourd’hui d’acheter en Chine des véhicules électriques d’occasion à prix cassés… neufs. Pour atteindre leurs objectifs de vente dans un marché ultra concurrentiel, les constructeurs chinois vendent des voitures à des concessionnaires qui les enregistrent comme « vendues » même si aucun client ne les a réellement achetées. Les concessionnaires les revendent ensuite comme étant « d’occasion », souvent à bas prix. Cette pratique est devenue si courante que le Parti communiste chinois tente de la faire cesser. Son principal journal, le Quotidien du Peuple, s’est plaint au début de l’année que cette tactique visant à gonfler les ventes « perturbe l’ordre normal du marché ».

Plus de 230 milliards de dollars d’aides publiques

Le Center for Strategic and International Studies américain (Centre des études stratégiques et internationales) estime que le gouvernement central et les régions ont apporté plus de 230 milliards de dollars d’aides financières à la filière des véhicules électriques entre 2009 et 2023. Cette estimation prend en compte cinq types de soutiens : les subventions nationales à l’achat, l’exemption de la tva de 10%, le financement par le gouvernement des infrastructures, les programmes de soutien à la recherche et développement et les achats massifs de véhicules électriques par le gouvernement et ses entités. Mais ce chiffre est sans doute très inférieur à la réalité. Il faut y ajouter les aides à l’achat de véhicules électriques spécifiques à plusieurs grandes villes, des avantages en termes de coûts des terrains, prix de l’énergie et prêts à taux réduits accordés aux constructeurs et enfin les aides apportées à l’ensemble de la filière y compris les fabricants de batteries et la production de minéraux pour ses batteries.

La conséquence, selon Michael Dunne, Pdg de Dunne Insights, un cabinet de conseil américain spécialisé dans le marché des véhicules électriques, est qu’il existe aujourd’hui pas moins de 46 constructeurs automobiles nationaux et internationaux importants produisant des véhicules électriques en Chine. Un nombre beaucoup trop élevé pour que même la deuxième économie mondiale puisse le maintenir. Et pourtant, tout est fait pour éviter les faillites et les fermetures d’usines.

Soutenir coûte que coûte les constructeurs en difficulté

Dans une économie de marché classique et relativement libre, le problème serait réglé par l’élimination des acteurs les plus faibles. Peut-être pas en France… et certainement pas en Chine. Le parti communiste chinois et les gouvernements locaux sont bien décidés à soutenir coûte que coûte leurs constructeurs automobiles. Pour combien de temps ? Il n’est pas question pour le moment de perdre les emplois de l’industrie automobile. Ainsi, la ville de Wenzhou a récemment aidé à organiser le financement d’un constructeur de véhicules électriques appelé WM Motor, afin de relancer l’activité de l’usine locale de l’entreprise. La ville de Hefei a sauvé la start-up Nio en 2020, mais cette société cotée en Bourse continue de perdre de l’argent, avec 1,6 milliard de dollars de pertes au premier semestre de cette année.

Au lieu de s’attaquer aux surcapacités et au gaspillage d’argent public, les dirigeants chinois répriment ce qu’ils appellent une « concurrence désordonnée », comme la guerre des prix et la vente de voitures « d’occasion »… n’ayant jamais roulé.

Des raisons politiques et sociales

Pékin a ses propres raisons politiques et sociales pour repousser les réformes radicales qui rendraient son industrie automobile viable. En maintenant les usines en activité, même à perte, le gouvernement peut soutenir une économie affectée par le recul des exportations vers les Etats-Unis, la faiblesse persistante de la consommation intérieure et l’effondrement du marché immobilier chinois. Enfin, il ne faut pas perdre de vue le, fait que les constructeurs de véhicules électriques jouent un rôle clé dans le plan de Pékin visant à faire de la Chine la puissance économique dominante dans tous les domaines de la transition énergétique. Ce qui est le cas aujourd’hui dans tous les domaines allant des panneaux photovoltaïques aux éoliennes en passant par les pompes à chaleur et évidemment les voitures électriques, les batteries et les minéraux critiques.

Le programme chinois en faveur des véhicules électriques a été conçu pour cela. En subventionnant à outrance ces constructeurs, la Chine était prête à sacrifier quelque chose d’aussi futile que la rentabilité pour réaliser son rêve de construire une industrie automobile compétitive à l’échelle internationale. Ce qu’elle a fait. La définition même du dumping.

Les exportations mises à mal par les droits de douane

Pourtant, même l’État chinois pourrait ne pas être en mesure de soutenir indéfiniment ses constructeurs automobiles. Le cabinet d’études Rhodium Group estime que les décideurs politiques chinois consacrent aujourd’hui l’équivalent de 3% des recettes fiscales du gouvernement central pour subventionner les ventes de voitures électriques. Un niveau jugé difficilement soutenable notamment si le gouvernement chinois souhaite également développer les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle, le nucléaire civil, la robotique et son industrie d’armement.

Et puis les gains réalisés par l’industrie chinoise des véhicules électriques sur le marché international sont aujourd’hui menacés, au moins dans les pays occidentaux. L’administration Biden a imposé l’année dernière des droits de douane de 100% sur les véhicules électriques chinois, une mesure maintenue par Donald Trump. Elle a de fait exclu les voitures chinoises du marché américain. L’Union européenne, le Canada, la Turquie et le Mexique ont également augmenté, plus timidement, leurs droits de douane sur les voitures chinoises. Un accès limité aux principaux marchés automobiles internationaux rend encore plus difficile la survie des constructeurs chinois sans l’aide de leur gouvernement et durcit encore la concurrence sur le marché intérieur.

Le modèle économique imposé par la Chine à son industrie automobile a des conséquences planétaires catastrophiques. Avec ses subventions colossales et ses prix cassés, il a contraint les gouvernements du monde entier à ériger des barrières douanières pour sauver leurs industries automobiles qui sont considérées comme stratégiques… sauf en France. Le marché automobile chinois totalement faussé empêche les constructeurs nationaux de construire des modèles économiques rentables et viables. Au final, l’industrie chinoise des véhicules électriques domine le monde, mais à quel prix ?

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