Transitions & Energies

L’énergie au ministère de l’Industrie: le reflux de l’écologie?


Depuis 2007, le ministère de l’Environnement devenu celui de l’Écologie n’a cessé d’élargir son périmètre aux transports, au logement, à l’énergie. Pour la première fois en dix-sept ans, il a perdu du pouvoir lors du dernier remaniement en février. Faut-il y voir un signe des temps. Par Bertrand Alliot. Article paru dans le numéro 20 du magazine Transitions & Energies.

L’annonce en février dernier de la composition du nouveau gouvernement a révélé une surprise. Le secteur de l’énergie a rejoint le ministère de l’Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique. Ce changement est sans doute le premier signe que nous arrivons progressivement à la fin d’un cycle.

Celui-ci avait commencé en France en 2007 lorsque l’énergie fut intégrée au ministère de l’Écologie. Grâce à l’action de Nicolas Hulot qui avait lancé le Pacte écologique, le ministère de l’Environnement avait alors considérablement élargi son périmètre intégrant notamment les domaines des transports et du logement. C’est à partir de cette date qu’un glissement sémantique s’est opéré. Le mot écologie ne s’est pas seulement imposé dans l’intitulé du ministère, mais a eu tendance à remplacer un peu partout le terme environnement.

L’économie doit se plier à l’urgence du « sauvetage » de la planète

Ce changement de terme indique clairement un changement d’état d’esprit au plus haut sommet de l’État. L’appropriation du terme écologie signifie que ce dernier a inscrit son action dans le cadre de la « crise existentielle » que traverserait l’humanité. Dès lors, puisqu’il s’agit d’échapper à la mort, les enjeux environnementaux ont tendance à devenir prioritaires. L’écologie, c’est le fleuve en crue, le fleuve environnement devenu si gros qu’il emporte sur son passage tous les domaines de l’action publique.

À l’époque de l’environnement, l’objectif était globalement de concilier les intérêts économiques et la protection de l’environnement. À l’ère de l’écologie, l’économie doit se plier aux nécessités de la protection de la planète. Le résultat de ce changement de paradigme qui s’est opéré aussi bien au niveau de l’Union européenne qu’au niveau des États est l’apparition de politiques clairement décroissantes portées avec zèle en France par le ministère de l’Écologie.

La politique énergétique devenue un bateau ivre

Il en résulte d’abord une désorganisation dans la conduite de certaines politiques. Les injonctions écologiques sont clairement venues perturber la bonne marche de la politique de l’énergie qui s’est transformée en bateau ivre. Or, dans un contexte géopolitique et économique particulièrement tendu, il est devenu crucial pour l’État de mener une politique industrielle cohérente et efficace. C’est sans doute la raison pour laquelle, en mai 2022, après des années d’errements politiques, le thème de l’énergie a été exfiltré du ministère de l’Écologie avec la création d’un ministère de la Transition énergétique de plein exercice. La récente décision de rattacher l’énergie au ministère de l’Industrie vient parachever l’évolution : l’énergie est de nouveau au service de l’économie.

Ensuite, les politiques de décroissance engendrent des tensions sociales de plus en plus fortes. Les crises des Gilets jaunes, la révolte des agriculteurs aux Pays-Bas, en Allemagne et en France sont clairement liées à l’application de programmes écologiques. Dans cette ambiance prérévolutionnaire, l’Union européenne et l’État français, champion de la sur-transposition, sont obligés de revoir leurs ambitions à la baisse et d’arbitrer en défaveur des représentants de l’écologie au sein des institutions.

Les rapports de force politiques et les impératifs sociaux ne sont plus les mêmes

Ainsi, le Premier ministre vient de décider de placer les agents de l’Office français de la biodiversité sous la responsabilité des préfets, ce qui revient à les retirer des griffes du ministère de l’Écologie. La pression est aussi très forte sur la vice-présidence de la Commission européenne chargée du fameux Pacte vert européen. Responsable de la mise en œuvre d’une politique de décarbonation à l’ambition démesurée, elle pilote un groupe de sept commissaires dont celui de l’agriculture, des transports et de l’énergie. Des voix de plus en plus nombreuses réclament que ces commissaires européens s’émancipent de cette tutelle les maintenant prisonniers de l’agenda écologique décroissant.

Dans les mois et les années qui viennent, il faudra donc observer attentivement les évolutions institutionnelles. À la faveur des élections européennes de juin prochain, les rapports de force politique vont sans doute évoluer au Parlement européen. Il est assez probable que la formation de majorités pour faire échouer l’agenda écologique soit beaucoup plus facile à obtenir qu’auparavant. En France, il est aussi vraisemblable que l’État soit obligé de revoir ses ambitions à la baisse dans les domaines des transports et de l’énergie. Dans ces secteurs, comme dans celui de l’agriculture, la colère est en effet clairement en train de monter. À plus ou moins long terme, il serait ainsi logique que ces thématiques soient à leur tour exfiltrées du ministère de l’Écologie. Délesté de l’énergie, des transports et du logement, celui-ci redeviendrait alors le ministère de l’Environnement.

En réalité, l’écologie est progressivement en train de se retourner dans son lit. Cela signifie sans doute que les deux pactes, le Pacte écologique français et le Pacte vert européen, ne tiennent déjà plus qu’à un fil. Patientons pour voir si la décrue se confirme. Nous saurons bientôt si nous pourrons nous baigner de nouveau dans les eaux de l’environnement.

La rédaction