Transitions & Energies
Chantier réacteur nucléaire EPR Flamanville

EDF tente de reconstituer son potentiel technique


Pour prolonger la vie de plusieurs décennies du parc de réacteurs existants et en construire de nouveaux, EDF va devoir sérieusement reconstituer les capacités techniques de son personnel. Une tâche qui ne s’accomplira pas en quelques mois. Par Dominique Finon. Article publié dans le numéro 14 du magazine Transitions & Energies.

Les déboires de la construction de l’EPR de Flamanville, qui se sont traduits par des retards et des hausses de coûts spectaculaires, ne peuvent que susciter le doute sur la capacité d’EDF à conduire les prochains chantiers de construction d’EPR2. Mais depuis 2019, EDF et la filière nucléaire ont fait un gros effort pour corriger leurs déficiences. En même temps, coïncidence particulièrement malheureuse avec la crise des prix du gaz et de l’électricité, 32 des 56 réacteurs nucléaires étaient arrêtés cet été pour des raisons d’entretien programmé et de détection de défauts de corrosion sous contraintes pour six d’entre eux. Tout cela laisse accroire qu’EDF fait face à un immense problème de maintenance sans avoir les moyens de le gérer. Une opinion qu’il faut fortement nuancer.

Pour ce qui est de la construction de nouveaux réacteurs, l’entreprise publique a perdu beaucoup de savoir-faire du fait tout simplement de l’absence de commandes de nouveaux réacteurs pendant vingt ans. Le rapport Folz d’octobre 2019 commandé par le gouvernement sur « La construction de l’EPR de Flamanville » a beaucoup insisté sur les pertes de compétences dans la filière nucléaire liées aux départs à la retraite sans transmission de compétences, et sur la perte des capacités à gérer un grand projet sur la durée.

Il mettait en évidence plusieurs autres problèmes. D’abord, celui des études insuffisamment avancées lors du lancement du projet en 2005. Cela était d’autant plus dommageable que l’EPR est beaucoup plus complexe et exigeant en matière de sûreté que les derniers réacteurs construits auparavant. Ensuite une gouvernance de projet déficiente avec la nomination de directeurs jeunes et peu expérimentés et l’éloignement du projet de la direction d’EDF qui ne comprenait plus de spécialistes du nucléaire. Et enfin, des rapports contractuels peu clairs et exigeants avec l’ensemblier et ses sous-traitants. Cela s’est notamment traduit par une insuffisance permanente du contrôle qualité qui explique presque la succession ininterrompue de problèmes et de découvertes tardives de malfaçons depuis 2007. La dernière étant le problème de soudures de mauvaise qualité sur les tuyauteries du circuit secondaire qui a entraîné le report de trois ans de la mise en service de Flamanville 3.

Le service contrôle de fabrication qui jouait un rôle crucial avait été dispersé faute de construction depuis 1995. Il n’y avait plus personne pour aller contrôler sur place les fabrications des usines Framatome et de ses sous-traitants comme on le faisait auparavant. À la place, on s’est contenté d’« assurance-qualité papier », c’est-à-dire à partir de déclarations des fabricants…

En réponse, EDF a lancé, bien tardivement, au printemps 2020, le plan Excell de 200 millions d’euros pour appliquer toutes ces recommandations. Un comité de contrôle des grands projets nucléaires a été mis en place au sein de l’entreprise dirigé par le président d’EDF avec les responsables lui rendant compte systématiquement tous les trois mois. Des directeurs du projet en résidence sur place seront nommés. Des équipes d’ingénierie sont mobilisées, avec celles des principaux fournisseurs de la filière française, pour développer la conception détaillée du réacteur. Elles travaillent également à la préparation des chantiers sur les sites susceptibles d’accueillir les premiers EPR2.

A été mise en place une chaîne de valeur complète de la qualité industrielle de l’amont (normes, standards industriels, spécifications techniques) à la surveillance qui garantit la conformité en simplifiant et en clarifiant les relations avec les contractants (l’ensemblier et autres) et ses sous-traitants. 12 standards pour « fabriquer conforme dès le départ » ont déjà été définis avec la filière. La standardisation et la réplication des pièces et composants sont systématiquement choisies.

L’accent est mis sur la formation avec un effort aussi bien du côté d’EDF et des groupes industriels de la filière. EDF a procédé à la création d’une université des métiers du nucléaire en avril 2021. Un effort particulier a été fait dans les métiers du soudage avec la création d’une école spéciale dans le Cotentin pour former des soudeurs disposant d’une qualification nucléaire. On observe donc un véritable effort de remise à niveau des compétences en vue du programme futur des EPR2 non seulement à EDF mais aussi chez les différents acteurs de la construction nucléaire.

Maintenant, compte tenu des difficultés rencontrées à Flamanville, la reconstitution des compétences ne se fera pas en quelques mois. Et pour qu’elle s’installe dans la durée, il faut une visibilité rapide sur l’engagement de construction des nouveaux EPR2. Le flou sur les intentions gouvernementales ne permet pas tous les recrutements qui seraient nécessaires.

Il est par ailleurs injuste de considérer que les problèmes d’exploitation et d’entretien de la flotte de réacteurs sont une manifestation de l’effondrement des compétences d’EDF. Ils tiennent pour l’essentiel à des facteurs extérieurs, un problème de conception de canalisations sur certains réacteurs qui se traduit par une corrosion sous contrainte (voir page …) et un décalage du calendrier lié avant tout aux conséquences de la pandémie de Covid-19 et des confinements.

Il faut aussi reconnaître la volonté méthodique d’entretien avec les visites décennales et le rehaussement du niveau de sûreté lors de la visite à quarante ans qui impose un arrêt de six mois dans le cadre du programme dit de « grand carénage ». Sur les 32 réacteurs stoppés, 18 étaient à l’arrêt pour les visites décennales, dont six en « grand carénage ». Les rénovations à quarante ans comprennent de nombreuses opérations avec remplacement de composants, renforcement de l’enceinte de confinement, adjonction d’équipements de secours, et impliquent la mobilisation de compétences et de ressources financières importantes (500 millions d’euros par tranche).

La faible disponibilité du parc sur une grande partie de l’année est conjoncturelle et non structurelle. Les travaux de grand carénage, qui porteront d’ici 2025 sur les 32 réacteurs de 900 MW de la série la plus ancienne, leur conféreront une conformité réglementaire aux codes les plus exigeants au monde, et vont lui redonner sa pleine efficacité.

Dominique Finon

La rédaction