Transitions & Energies
Mine de cuivre Bingham Canyon Wikimedia

Les dix minéraux stratégiques indispensables à la transition


Il s’agit du côté obscur à la transition énergétique. Pour se passer des carburants fossiles, il faudra une augmentation considérable de la production de lithium, de cuivre, de cobalt, de graphite, de nickel, d’aluminium, de silicium, de zinc, de platine, de terres rares, de fibres de carbone… Cela signifie que les investissements miniers doivent être massifs pour éviter les pénuries et l’envolée des cours. Et cela aura de sérieuses conséquences environnementales, économiques et géopolitiques… Article publié dans le numéro 16 du magazine Transitions & Energies.

Si mener la transition énergétique est une tâche particulièrement difficile, sa définition est en revanche assez simple. Il s’agit de remplacer les carburants fossiles par des sources d’énergies bas-carbone. Cela revient dans les faits à remplacer notre dépendance au pétrole, au gaz et au charbon par une dépendance aux minéraux indispensables aux technologies de la transition à savoir le lithium, le cuivre, le cobalt, le graphite, le nickel, l’aluminium, le silicium, le manganèse, le zinc, le platine, les terres rares…

Selon leurs promoteurs, les énergies renouvelables intermittentes, solaire et éolien, sont gratuites. Ce n’est pas du tout le cas des matériaux utilisés pour produire avec elles de l’électricité, pour la transporter et pour la stocker. Il faut prendre conscience de l’ampleur des besoins à satisfaire. Pour remplacer les hydrocarbures et atteindre la neutralité carbone en 2050, l’Union européenne aura besoin à cette date de 35 fois plus de lithium qu’aujourd’hui (800 000 tonnes par an) et jusqu’à 26 fois plus de terres rares (3 000 tonnes annuelles de néodyme, dysprosium, praséodyme…). Il faudra deux fois plus de nickel et trois fois plus de cobalt. Il faudra aussi 33 % d’aluminium en plus (4,5 millions de tonnes annuelles), 35 % de cuivre, 45 % de silicium, et de 10 à 15 % de zinc.

Ces calculs sont basés sur les seuls plans industriels prévus en Europe dans l’automobile, les renouvelables, les batteries, l’hydrogène, les réseaux électriques intelligents. Ils signifient que sans investissements miniers massifs les pénuries et les envolées des prix sont inévitables. Le chiffre d’affaires annuel des groupes miniers produisant ces minéraux devrait être au moins multiplié par cinq d’ici 2050 et dépasser alors 400 milliards de dollars.

Le temps industriel et minier n’est pas le temps des décideurs politiques

Ses matériaux sont tout simplement indispensables aux batteries des voitures électriques, aux rotors des éoliennes, aux panneaux solaires, aux réseaux électriques. Pour se rendre compte, voilà avec quoi est fabriquée une batterie lithium-ion de 400 kilos pour une voiture électrique d’une technologie classique. Elle contient 15 kilos de lithium, 30 kilos de cobalt, 60 kilos de nickel, 90 kilos de graphite et 40 kilos de cuivre. Plus parlant encore, pour en retirer les 15 kilos nécessaires, il faut traiter 10 tonnes de saumure de lithium. Pour obtenir les 30 kilos de cobalt, c’est 30 tonnes de minerai. Pour les 60 kilos de nickel, on en est à 5 tonnes de minerai. Il faut 6 tonnes pour les 40 kilos de cuivre et une tonne pour les 90 kilos de graphite.

Et le problème est que le temps industriel et minier n’est pas celui des décideurs politiques et encore moins celui des médias. Il n’a aussi rien à voir avec la diffusion presque instantanée des innovations numériques. Entre la décision d’un investissement et l’exploitation d’une nouvelle mine, il peut se passer plus de dix ans. La concentration géographique de la plupart des ressources et des capacités de raffinage des minéraux complique encore la situation.

Ainsi, la majorité des projets annoncés pour le traitement et le raffinage des principaux minéraux critiques se trouvent en Chine. Ce pays domine déjà les capacités de raffinage des métaux clés utilisés dans les batteries (95 % pour le cobalt et environ 60 % pour le lithium et le nickel).

Voici une liste, non exhaustive, de dix minéraux et matériaux dits stratégiques indispensables à la transition.

1 – Le cuivre

Il s’agit sans doute du métal le plus critique. Parce que sous forme de fils, de câbles et de feuilles, il est indispensable pour relier et connecter les batteries, les moteurs électriques et les réseaux. Une voiture électrique utilise trois fois plus de cuivre que son équivalent à moteur à combustion. Les parcs éoliens et solaires nécessitent à production électrique équivalente cinq fois plus de métal rouge que les centrales à gaz, au charbon et nucléaire.

Une étude publiée récemment par le cabinet de conseil Wood Mackenzie montre que pour satisfaire d’ici 2050 les besoins en cuivre pour atteindre les objectifs zéro carbone, l’industrie du cuivre doit totalement changer de dimension. « L’industrie minière devra réaliser de nouveaux projets à une fréquence et à un niveau constant de financement jamais atteints auparavant » explique Nick Pickens, directeur de recherche de Wood Mackenzie.

Uniquement au cours des dix prochaines années, pas moins de 9,7 millions de tonnes de production nouvelle de cuivre sont nécessaires à partir de projets et d’investissements qui n’ont même pas encore été approuvés. Cela représente près d’un tiers de la consommation actuelle de cuivre. Et ce n’est qu’une première étape. Pour au moins les trente prochaines années, il faudra que l’industrie du cuivre investisse plus de 23 milliards de dollars par an dans de nouvelles mines, soit 64 % de plus qu’au cours des trente dernières années. Et cela, compte tenu d’une accélération importante du recyclage du cuivre par l’industrie.

L’augmentation de la demande de cuivre viendra avant tout du développement des véhicules électriques, qui en représentera 55 %. Mais la demande provenant de l’éolien marin sera multipliée par sept d’ici 2040 à raison d’un million de tonnes supplémentaires par an. Le solaire sera sur une trajectoire similaire avec une consommation supplémentaire de 1,1 millions de tonne par an prévue au cours des vingt prochaines années.

2 -Le nickel

Le nickel n’est pas un métal rare. Le problème, c’est qu’il a bénéficié de peu d’investissements au cours des dernières années avec des cours faibles et qu’il n’est extrait que d’un nombre assez limité d’endroits, notamment en Indonésie, premier producteur mondial, aux Philippines, en Nouvelle-Calédonie, en Russie, en Australie et au Canada.

Le sulfate de nickel pour les batteries ne représente qu’une petite fraction des ventes mondiales de nickel dont 70 % sont utilisés pour fabriquer l’acier inoxydable. Mais la demande va s’envoler. La banque UBS s’attend à ce que les batteries des véhicules électriques représentent dans les prochaines années 12 % de la demande mondiale de nickel et même 20 % d’ici 2030 contre 3 % en 2021. En l’état actuel, l’offre de nickel sera insuffisante pour répondre à la demande

3 – Le platine et le palladium

Après deux années d’excédents, l’offre de platine devrait être déficitaire en 2023 en raison de la hausse de la demande automobile et de la faiblesse de l’offre sud-africaine de platine et de palladium. Les difficultés de la société énergétique publique sud-africaine Eskom pourraient entraîner des révisions à la baisse encore plus importantes de la production. En outre, les sanctions contre les exportations de la Russie, qui représentent 40 % de la production minière de palladium, pourraient avoir un impact. Le palladium est très utilisé dans l’industrie automobile et le platine est un métal indispensable dans les piles à combustible fonctionnant à l’hydrogène.

4 – Le lithium

Le lithium, le métal le plus léger existant, n’est pas rare. Mais son exploitation est très exigeante. Parce que ce métal est très réactif au contact de l’air, il n’existe que quand il est enfermé et protégé dans une gangue d’autres matériaux. Ainsi, il est enfoui profondément dans la croûte terrestre. Cela signifie que pour l’extraire, il faut des mines importantes dont l’exploitation est coûteuse et qui nécessitent des investissements de long terme pas toujours rentables au cours des dernières années.

Mais posséder des mines et des réserves de lithium et détenir sur son sol les usines qui raffinent ce métal blanc est devenu un enjeu stratégique majeur. La consommation mondiale de lithium a ainsi augmenté de 283 % entre 2010 et 2021 et le prix de la tonne est passé de 4 450 dollars en 2012 à plus de 80 000 dollars en 2022 avant de revenir en février 2023 à 62 000 dollars.

En tout cas, une course contre la montre est engagée pour produire toujours plus de lithium. Car d’ici 2040, quand les voitures électriques détiendront 80 % du marché mondial du neuf, la demande de lithium pourrait être multipliée par 30 par rapport à 2020.

Conséquence, les projets de développement miniers se multiplient. Les grands groupes Albemarle, la Sociedad Quimica Y Minera de Chile (SQM) et Ganfeng Lithium ont tous annoncé des investissements importants. L’américain Albemarle, par exemple, a l’intention de multiplier par cinq sa capacité de production de lithium pour atteindre 500 000 tonnes par an d’ici 2030. Même en France, du lithium provenant d’eaux chaudes géothermales devrait être extrait en Alsace à partir de 2025 (voir page 62).

5 – Le graphite

À en croire les spécialistes de ce marché, une pénurie de graphite semble aujourd’hui inévitable. Et tout aussi préoccupant, la production de graphite fait l’objet d’un quasi-monopole chinois. Plus de 70 % du graphite est produit en Chine. Or, le graphite est utilisé dans toutes les anodes de batteries utilisant ce matériau. Dès 2021, l’agence de conseil britannique Benchmark Minerals alertait sur un manque à venir de graphite. Elle estimait que le marché du graphite naturel risquait d’être en sous-production dès 2023 et celui du graphite synthétique à partir de 2026.

La raison en est simple. En 2020, seuls 30 % des 770 000 tonnes de consommation annuelle mondiale de graphite étaient utilisés pour la fabrication de batteries. Les 70 % restant étaient principalement destinés à la métallurgie, la fabrication de lubrifiants et diverses applications dans les composants électriques. L’augmentation rapide des ventes de véhicules électriques à batteries change tout. Ainsi, l’an dernier, la demande de graphite pour les anodes de batteries a augmenté de 45 % et les capacités de production de graphite naturel de seulement 14 %. Les prix du graphite naturel ont augmenté de 25 % et ceux du graphite synthétique de 30 %, et ce n’est qu’un début.

En 2030, les besoins en graphite pour le seul marché des batteries sont estimés à plus de 3 millions de tonnes par an, soit plus de quatre fois la taille du marché actuel. Les autres utilisations du graphite ne représenteraient plus que 20 % de la demande à horizon 2030 (854 000 tonnes par an).

Or, les producteurs – principalement chinois – de graphite seront incapables de répondre à la demande. La Chine décidera donc quels fabricants de batteries et quels constructeurs automobile seront approvisionnés…

6 – Le cobalt

Le cobalt présente avant tout un risque politique. Le monde va devenir de plus en plus dépendant de la République démocratique du Congo qui devrait contrôler environ 80 % de la production mondiale d’ici le milieu des années 2020. Voilà pourquoi les producteurs de batteries lithium-ion tentent de remplacer en partie le cobalt par du nickel.

Mais en 2021, les véhicules électriques ont dépassé les téléphones en tant que principal moteur de la demande de cobalt, représentant un peu plus d’un tiers de la consommation totale. La demande de cobalt devrait augmenter de 6 à 21 fois d’ici 2040 par rapport aux niveaux de 2020.

7 – Le manganèse

La demande de manganèse pour la fabrication des batteries des véhicules électriques devrait être multipliée par cinq au cours des dix prochaines années. Même s’il s’agit d’un métal abondant, sa production et son raffinage sont concentrés dans une petite poignée de pays. L’Afrique du Sud, le Gabon et l’Australie représentaient 71 % de la production minière et la Chine… 95 % des capacités de raffinage.

Seuls les japonais Nippon Denko et le belge Vibrantz Technologies raffinent le manganèse hors de Chine. Il existe des projets de construction de nouvelles usines en Australie, en Afrique du Sud, en Indonésie, au Botswana, au Mexique et au Canada.

8 – Les terres rares

Les terres rares ont des propriétés magnétiques, électroniques, optiques et catalytiques exceptionnelles. Aujourd’hui, leur consommation est principalement soutenue par le secteur des aimants permanents, composés pour partie de terres rares (notamment du néodyme et du praséodyme et dans une moindre mesure du dysprosium et du terbium pour les applications de haute performance).

Les secteurs d’usages de ces aimants sont multiples : ils permettent la miniaturisation (électronique, robotique) et l’allègement des équipements (générateurs d’éoliennes marines et terrestres, moteurs des véhicules électriques…). Une éolienne marine nécessite 239 kilos de terres rares par mégawatt de capacité de production.

La demande de terres rares devrait augmenter de 3 à 7 fois d’ici 2040 par rapport aux niveaux de 2020. Le chiffre d’affaires annuel de l’extraction et de la production de terres rares pour la seule transition énergétique devrait être multiplié par 8 d’ici 2040 passant de 400 millions à 3,2 milliards de dollars. Les entreprises chinoises produisent aujourd’hui sur leur sol 63 % des terres rares et en raffine 85 %.

9 – Le zinc

Le zinc est un métal dont l’utilisation dans les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, les moteurs électriques est assez peu connue ; pourtant un parc solaire de 100 mégawatts heure (MWh) nécessite 240 tonnes de zinc et une éolienne marine de 10 MWh en utilise 4 tonnes. Ce métal est aussi très utile pour le traitement de l’acier contre la corrosion.

Le problème est que sa production utilise beaucoup d’énergie. Les producteurs européens ont été contraints l’année dernière de stopper un temps leurs usines avec l’envolée des prix de l’électricité.

10 – Les fibres de carbone

Les fibres de carbone vont jouer un rôle de plus en plus important dans la transition. D’abord et avant tout, parce que les lignes électriques à moyenne et haute tension qui utilisent des noyaux en fibre de carbone au lieu de noyaux en acier augmentent la quantité d’énergie qui peut être transportée. Par ailleurs, dans l’industrie éolienne, remplacer les pales en fibre de verre par des pales en fibre de carbone pourrait à la fois améliorer l’efficacité des éoliennes et réduire les coûts de fabrication.

E.L.

La rédaction