Transitions & Energies

L’aventure de la recharge d’une voiture électrique sur des bornes «publiques»


On moque l’autonomie crasse des voitures électriques et le prix stratosphérique de la recharge rapide sur les autoroutes. Mais dans le quotidien du conducteur de VE, c’est surtout le problème de la transparence des prix et du bon fonctionnement de la borne qui le préoccupe. Par Jean-Baptiste Giraud. Article publié dans le numéro 15 du magazine Transitions & Energies.

«Tu charges? Moi non plus!» La réplique deviendra peut-être bientôt banale entre électromobilistes se croisant sur une station de charge «publique». Précisons tout de suite le sens des guillemets encadrant ce mot. Ces bornes sont tout sauf publiques, puisqu’elles sont opérées le plus clair du temps par des opérateurs privés. Elles doivent leur nom à leur présence sur la voie publique.

La distinction est importante. Qui dit opérateur privé, dit profit, et ce n’est pas un gros mot. De grands groupes (TotalEnergies, EDF ou Engie) et des start-up se sont lancés dans le business du réseau de bornes de recharge parce que certains plans d’affaires promettaient des rendements faramineux.

Le modèle économique incertain de la recharge publique

Las, les électromobilistes ne sont pas au rendez-vous de la recharge publique, ou alors seulement par défaut, quand ils n’ont pas d’autre solution. Et le point mort des réseaux de charge s’éloigne de plus en plus, contraignant leurs opérateurs à augmenter leurs tarifs, dissuadant un peu plus encore les usagers de venir se charger chez eux ! Tous ou presque sont entrés dans un cercle vicieux hausse de prix / acceptabilité en baisse. Il y aura des morts.

Mais il y a d’autres raisons qui découragent les usagers d’utiliser les bornes installées sur la voie publique. D’abord, la présence de plusieurs opérateurs de charge exige encore aujourd’hui de posséder autant de badges qu’il y a de réseaux autour de soi. Donc, d’avoir préalablement souscrit à plusieurs abonnements (payants), et reçu les précieux sésames ! Le problème est en passe de résolution, avec l’obligation légale d’accepter le règlement par CB sur toutes les bornes. En renonçant au passage au (modeste) tarif « privilégié » réservé aux possesseurs du badge du réseau. Certains petits malins ont lancé des badges compatibles avec plusieurs opérateurs, mais la commission colossale qu’ils prélèvent les rend dissuasifs, sauf en cas de dépannage.

Une école de maîtrise de soi…

Ensuite, pour charger son véhicule électrique sur une borne publique, il faut être particulièrement zen. Rien ne ressemble moins à une borne de charge pour voiture électrique qu’une autre borne ! Certaines disposent d’une prise en façade protégée par un simple cache. D’autres, d’une prise enfermée derrière une trappe qui ne se déverrouille qu’après validation du badge… quand le système fonctionne, ou que la trappe n’a pas été forcée. D’autres, une prise qui n’est accessible qu’après avoir imprimé une rotation de 20 degrés sur la gauche avec l’embout de son câble de charge (authentique !). Ce qui implique de s’y reprendre à plusieurs fois, patiemment, jusqu’au déclic salvateur. En réalité, quand on se gare devant une borne, c’est à chaque fois une découverte, et une belle source de stress. Vais-je arriver à charger ma voiture ?

Mais il n’y a pas que le problème de la connexion du câble de charge qui fait de l’électromobilité un véritable aventurier. Réussir à connecter la voiture à la borne ne garantit en effet nullement que celle-ci va correctement charger !

Dans votre vie d’automobiliste, il vous est bien évidemment arrivé de tomber sur des pompes en panne. Qu’à cela ne tienne, on change de pompe, ou on change de station, c’est binaire. Le cas est suffisamment rare pour que cela ne soit pas une source de stress, sauf en cas de grève et de blocage des raffineries de pétrole, bien entendu.

La puissance n’est pas toujours au rendez-vous

Pour l’électromobiliste qui a besoin de se charger sur des bornes publiques, c’est tout l’inverse. Il se demande à chaque fois si la borne va fonctionner, c’est-à-dire accepter son badge, et si la charge va démarrer. Mais une fois que la « charge prend », impossible de se rendre sereinement à ses rendez-vous, quand on charge en ville, ou de prendre un café en attendant que la charge rapide s’achève, sur autoroute !

Premier écueil : la promesse de puissance des bornes n’est pas toujours respectée, tant s’en faut. Sur les bornes rapides, il est fréquent de recevoir 30 kWh ou moins quand on en attend 50, avec une voiture compatible. Pour les bornes encore plus puissantes, le delta est parfois encore plus grand. Par exemple, on peut recevoir 60 ou 70 kWh pour 150 promis. Conséquence évidente : le temps de chargement anticipé ou espéré est toujours différent du temps réel passé branché sur la borne, à l’usage. Seule consolation, ces bornes facturent au kWh délivré. Le prix affiché est donc le prix payé par l’usager, au bout du compte.

Il en va tout autrement des bornes classiques (7,4 kWh ou 22 kWh) installées en ville. Sur ces bornes, l’automobiliste va garer sa voiture électrique plusieurs heures et vaquer à ses occupations, le temps que la voiture recharge. Or, et c’est là que l’on frise l’absurde, ces bornes ne facturent pas les usagers en fonction de l’énergie délivrée, mais en fonction du temps passé connecté à la borne ! Et en cas de dysfonctionnement lors de la charge, vous êtes facturé, sans pour autant avoir chargé comme prévu ou espéré…

Il faut certifier les bornes de recharge

Sur le réseau Belib par exemple, opéré à Paris par TotalEnergies, de nombreux usagers (et l’auteur de ces lignes) se plaignent de charges anormales. Cas typique : recevoir 3 kWh en deux heures, au lieu des 15 attendus. Réponse du service client de Belib : « Votre batterie était sûrement déjà pleine, ou c’est un dysfonctionnement de votre véhicule. » La réalité est tout autre. On sait par exemple que les bornes d’une station sont connectées à un même point d’accès au réseau électrique. Quand plusieurs véhicules sont branchés simultanément, les bornes réduisent automatiquement la puissance délivrée. Conséquence directe pour l’usager : le kWh qui devait lui revenir à 33 centimes en moyenne lui revient alors au double, voire au triple. Sans qu’il n’en soit alerté à l’avance. Dans une station-service, la pompe est certifiée par les poids et mesures. À quand des bornes de charge elles aussi certifiées pour qu’elles ne facturent que ce qu’elles délivrent réellement ?

Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que les propriétaires de voitures électriques chargent très majoritairement à domicile ou sur leur lieu de travail, quand il est équipé. À l’inverse, la présence dans quelques rares villes de province de bornes de charge réellement publiques, c’est-à-dire mises en place par la puissance publique, crée des effets d’aubaine ponctuels, localisés et probablement limités dans le temps. Certaines collectivités offrent en effet tout simplement la charge gratuite, notamment la nuit. D’autres facturent un forfait symbolique, indépendamment de l’énergie délivrée et de la durée de la connexion.

En résumé, charger sa voiture électrique en dehors de chez soi est une aventure anxiogène et souvent coûteuse. Le combo gagnant, c’est de charger à domicile la nuit sur un tarif heures creuses (parfois inférieur à 10 centimes du kWh), ou encore de charger en journée, quand on possède des panneaux solaires…

 

Encadré

Du mieux du côté des prises et des câbles

Coup de chance pour les nouveaux arrivants dans l’électromobilité : les câbles et prises ont été uniformisés récemment en adoptant le modèle de Type 2. Pendant longtemps, quatre connecteurs différents coexistaient ! On en trouve parfois encore certains, notamment sur les parkings de supermarchés qui offraient (ils sont de moins en moins nombreux) la recharge gratuite à leurs clients.

La rédaction