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L'usine de liquefaction de gaz de Yamal

En 100 jours de guerre, la Russie a vendu pour 93 milliards de dollars de pétrole et de gaz


L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe n’a pas tari, loin de là, les recettes que Moscou tire de ses exportations de carburants fossiles. Les discours sur les sanctions économiques «les plus sévères de l’histoire» et la réalité ne correspondent pas vraiment. Et la France est loin d’être un modèle. Elle est devenue le plus gros acheteur mondial de GNL (Gaz naturel liquéfié) russe et a augmenté ses achats de pétrole russe à prix cassés sur le marché hors contrat. Depuis le 24 février et l’attaque de l’Ukraine, la Russie a exporté chaque jour pour environ 1 milliard de dollars de carburants fossiles ce qui correspond au coût quotidien de la guerre selon les experts.

En matière d’embargo sur le pétrole et le gaz vendus par la Russie aux pays occidentaux, il y a les discours, les engagements et il y a la réalité. Cette dernière est marquée par une dépendance qui n’a cessé d’augmenter depuis des années et qu’il est impossible d’effacer en l’espace de quelques mois. Cela rappelle à ceux qui l’ont oublié ou ne l’ont même jamais su que la quasi-totalité de l’activité économique et même de l’activité humaine peut se résumer à des échanges d’énergie.

Limiter les exportations russes d’énergies fossiles pour réduire le financement de l’effort de guerre semble logique. Mais faut-il encore en avoir les moyens. «Les dernières données et le dernier rapport dont nous disposons suggèrent que la Russie gagne environ un milliard d’euros par jour grâce à ses exportations de combustibles fossiles, dont une grande partie en Europe. Selon les estimations, cette guerre coûte également à la Russie environ un milliard d’euros par jour. Il y a donc une certaine parité entre ce que la Russie reçoit chaque jour en importations énergétiques et ce qu’elle dépense pour financer sa guerre» , explique Ben McWilliams, analyste de l’Institut Bruegel.

L’Union européenne reste de loin le principal client de la Russie

En tout, la Russie a engrangé 93 milliards d’euros de revenus tirés de l’exportation d’énergies fossiles durant les 100 premiers jours de sa guerre contre l’Ukraine, dont une majorité vers l’Union Européenne, selon le rapport du Centre for research on energy and clean Air (CREA), centre de recherche indépendant basé en Finlande… qui épingle particulièrement la France.

L’Union européenne a récemment décidé d’imposer un embargo progressif -avec quelques exceptions- sur ses importations de pétrole et de produits raffinés (diesel, essence) russes avec pour ambition d’en arrêter 90% en l’espace de huit mois. Le gaz russe n’est pour l’instant pas concerné, faute notamment de possibilités alternatives.

Selon le CREA, l’Union Européenne a absorbé 61% des importations russes d’énergies fossiles pendant les 100 premiers jours suivant l’invasion de l’Ukraine, soit du 24 février au 3 juin. Cela représente environ 57 milliards d’euros. Les pays qui sont les plus gros importateurs de pétrole russe sont la Chine (12,6 milliards d’euros), l’Allemagne (12,1 milliards), l’Italie (7,8 milliards), les Pays-Bas (7,8 milliards) et la Turquie (6,7 milliards). La France est le 7ème importateur avec 4,3 milliards d’euros. Les revenus de la Russie proviennent avant tout sur la période de la vente de pétrole brut (46 milliards), suivi par le gaz acheminé par gazoducs (24 milliards), puis les produits pétroliers (13 milliards), le gaz naturel liquéfié (GNL) qui représente 5,1 milliards et enfin le charbon (4,8 milliards).

Un fossé entre les paroles et les actes de la France

La manne ne s’est pas tarie, même si les exportations ont reculé en mai de 15% et si la Russie est contrainte de vendre une partie de son pétrole à prix bradés sur les marchés internationaux puisque les compagnies occidentales refusent bon nombre de cargaisons. Mais malgré cette ristourne, le pays a quand même profité de la hausse mondiale des cours de l’énergie.

Si certains pays ont fait des efforts pour réduire leurs importations (Pologne, Finlande, Pays baltes), d’autres ont au contraire augmenté leurs achats. C’est le cas de la Chine, de l’Inde, des Émirats Arabes Unis (produits raffinés) ou… de la France, selon le CREA. «Tandis que l’UE envisage des sanctions plus strictes contre la Russie, la France a augmenté ses importations, pour devenir le plus gros acheteur de GNL [Gaz naturel liquéfié] russe dans le monde», explique Lauri Myllyvirta, analyste du CREA. Il s’agit d’achats au comptant qui ne s’inscrivent pas dans le cadre de contrats de long terme. Cela signifie que la France a décidé sciemment de recourir à l’énergie russe malgré l’invasion de l’Ukraine. «La France doit aligner ses actes sur ses paroles: si elle soutient véritablement l’Ukraine, elle doit mettre en place immédiatement un embargo sur les énergies fossiles russes et rapidement développer les énergies propres et les solutions d’efficacité énergétique», souligne Lauri Myllyvirta.

Avec des prix plus élevés, des ventes en volume moins importantes ne signifient pas une baisse des recettes

D’autant plus que la France ne s’est pas montrée non plus exemplaire avec le pétrole russe. Elle ne s’est pas contentée des achats prévus par contrat. Tout comme la Belgique ou les Pays-Bas, elle a acheté des barils à prix réduits…

Les recettes russes provenant des exportations de pétrole et de gaz et de produits raffinés vont décliner, mais lentement. Tout d’abord, parce qu’il existe des clients alternatifs aux pays européens, même s’ils ne pourront pas compenser toutes les exportations, de gaz comme de pétrole. Ensuite, l’embargo sur le pétrole va se mettre en place d’ici le début de l’année prochaine et entretemps les exportations resteront soutenues. Enfin, le risque est de créer beaucoup de perturbations sur les marchés pétroliers ce qui contribuera à maintenir les cours du baril à des niveaux très élevés. Cela signifie que même si la Russie exporte des volumes plus faibles, elle continuera à encaisser des recettes importantes avec ses prix élevés.

La rédaction