RTE (le Réseau de transport d’électricité) a rendu public mardi 9 décembre son bilan prévisionnel sur les dix prochaines années (2025-2035), qui est une actualisation de celui de 2023. L’entreprise publique, filiale d’EDF, qui en plus de sa mission de gérer le réseau de transport d’électricité à haute tension à celle d’établir les prévisions de consommation d’énergie du pays, a fini par admettre une réalité qui met à mal tous ses scénarios. La demande d’électricité n’augmente pas, et baisse même. Elle reste inférieure de 20 térawattheures (TWh) par rapport à la période d’avant la pandémie de Covid-19.
Cela tient à plusieurs facteurs. L’un positif, une amélioration de l’efficacité énergétique, et deux autres négatifs, la poursuite de la désindustrialisation et l’effet prix qui fait que l’augmentation des tarifs de l’électricité a amené un nombre grandissant de consommateurs à s’en priver. Selon le Médiateur national de l’énergie, plus du tiers des foyers (36%) déclare avoir eu des difficultés pour payer des factures d’électricité ou de gaz au cours des douze derniers mois, un niveau inédit, et la restriction de chauffage pour des raisons financières concerne près des trois quarts des ménages, avec un taux de 74% ! Un sujet sur lequel RTE ne s’étend pas vraiment.
Une électrification des usages qui se fait attendre
Or, les scénarios de RTE sont construits sur l’électrification rapide des usages qui consiste à substituer aux combustibles fossiles – dans les transports, le chauffage, l’industrie – de l’électricité bas carbone. Cela permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre et les importations d’hydrocarbures. L’électrification des usages justifie aux yeux de RTE à la fois la relance du nucléaire et surtout la poursuite d’investissements massifs dans les renouvelables intermittents, éolien et solaire. Et cela justifie aussi au passage les 100 milliards d’euros que RTE souhaite investir dans la modernisation et le développement de son réseau d’ici 2040, notamment pour s’adapter aux renouvelables. Sauf que l’électrification des usages est aujourd’hui une vue de l’esprit… RTE finit donc par reconnaître que « l’enjeu principal ne consiste pas aujourd’hui à accroître « quoi qu’il en coûte » la production d’électricité ». Avant de développer l’offre sans souci de l’argent public dépensé, de la compétitivité du pays et du pouvoir d’achat des ménages, il faudrait peut-être finalement se préoccuper la demande. Surtout pour un vecteur d’énergie comme l’électricité qui ne se stocke pas, ou quasiment pas.
Il faut toujours décrypter avec un logiciel idéologique les documents publiés par RTE. Ce qu’on peut déplorer… Car RTE joue depuis de nombreuses années un jeu éminemment politique en cherchant à promouvoir les renouvelables intermittents éoliens et solaires et en s’opposant, dans la coulisse ou même parfois ouvertement, à EDF sa maison-mère et à la filière nucléaire.
Mais RTE a aujourd’hui un problème insurmontable. La France produit beaucoup plus d’électricité décarbonée qu’elle n’en consomme et les investissements dans les renouvelables intermittents font s’envoler les tarifs de l’électricité avec des prix garantis supérieurs la plupart du temps à ceux du marché… En outre, les prix de gros de l’électricité s’effondrent quand les productions renouvelables sont trop abondantes et s’envolent quand il n’y a pas de vent et de soleil. Cela rend très difficile l’équilibre économique des équipements, quels qu’ils soient. Sans parler des problèmes techniques que cela pose au parc nucléaire, contraint de baisser sa production pour laisser la place à celle prioritaire des renouvelables intermittents. En fait, les renouvelables intermittents freinent aujourd’hui l’électrification des usages qu’ils sont sensés accompagner… L’effet prix ne peut plus être nié. Rien ne justifie donc actuellement d’investir dans les renouvelables. Il sera éventuellement toujours temps de le faire dans quelques années. La France a produit l’an dernier 537 TWh d’électricité décarbonée à 95% et en a consommé 449 TWh (voir ci-dessous). Cela explique les exportations record.
Consommation et production d’électricité en France

En MWh. Source RTE, décembre 2025.
Cette situation est un dilemme pour RTE obligé une fois encore de manger son chapeau. Cela avait déjà été le cas quand au début de l’année 2022, Emmanuel Macron avait soudain fait un virage à 180 degrés et avait décidé de relancer le nucléaire qu’il n’avait jusque-là cessé d’affaiblir.
RTE s’en sort par une pirouette. La baisse de la consommation d’électricité ne peut être que transitoire et ne doit pas se prolonger au-delà de 2027-2028 sans conséquences graves. Il faut donc « la concrétisation effective des projets existants de décarbonation et d’électrification, qui ont émergé depuis le Bilan prévisionnel 2023, qui doit désormais être une priorité ». Pour Xavier Piechaczyk, le président du directoire de RTE, « le léger décalage entre production et consommation ne remet pas en cause la stratégie énergétique de moyen et long terme ». Il faut oser.
Deux scénarios
RTE dessine deux scénarios principaux. Le premier est celui de la « décarbonation rapide » qui reste un vœu pieux. La France parviendrait soudain, pour une raison inconnue, à électrifier de nombreux usages (multiplication des voitures électriques, des pompes à chaleur, décollage de l’hydrogène vert fabriqué par électrolyse…). Ce qui se traduirait par une substitution de l’électricité bas carbone au pétrole et au gaz. La consommation électrique annuelle passerait de 449 TWh en 2024 à 580 TWh en 2035. Une estimation révisée à la baisse de 35 TWh par rapport au scénario précédent de 2023, mais une progression tout de même de 29%. Et ce scénario idéal pour RTE se traduirait d’ici 2035 par une part des combustibles fossiles dans la consommation d’énergie du pays qui reviendrait de 60% à 30-35% et une part de l’électricité dans la demande d’énergie qui passerait de 26% (en 2024) à 40-45%.
RTE admet tout de même que cette décarbonation rapide n’est « pas la plus probable vu d’aujourd’hui ». Le second scénario est donc celui d’une « décarbonation lente » dans lequel la demande serait de 505 TWh en 2035. Et en 2030, la France reviendrait tout juste à son niveau de consommation d’avant le Covid, soit 470 TWh. Il faut alors ralentir impérativement le développement de capacités renouvelables pour équilibrer le système et limiter l’envolée des prix de l’électricité pour les consommateurs et le contribuable. Le projet de loi de finances 2026 prévoit déjà 8,2 milliards d’euros de dépenses pour les aides à la production de renouvelables, 3 milliards de plus que l’enveloppe budgétisée pour 2025. Et ce n’est qu’un début car les capacités électriques renouvelables vont continuer à croître compte tenu des nouveaux équipements déjà autorisés, plus de 50 GW (36 GW de solaire et 17 GW d’éolien) même si tous ne verront sans doute pas le jour au final.
Le coût réel des renouvelables intermittents
Ce n’est pas pour rien si le gouvernement a annoncé, le 3 décembre dernier, le lancement d’une « mission sur l’optimisation des soutiens publics aux énergies renouvelables ». Elle vise à mesurer le coût réel des renouvelables intermittents, qui est en fait déjà chiffré et connu… Elle est confiée à Jean-Bernard Lévy, ancien Pdg d’EDF (2014-2022), et au haut fonctionnaire Thierry Tuot, Conseiller d’Etat et premier directeur général de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) entre 2000 et 2003. La mission doit rendre ses conclusions d’ici trois mois.
RTE a déjà chiffré dans son scénario de « décarbonation lente » ce que le ralentissement, même très modeste, des investissements dans les renouvelables intermittents permettrait d’économiser. Passer d’un rythme annuel de 3,5 GW d’installations solaires à 2,5 GW, et de 1,5 GW d’éoliennes à 0,7 GW permettrait d’abaisser les coûts du système de 2 euros par MWh et réduirait la modulation du nucléaire de 5 TWh.
RTE droit dans ses bottes
Cela dit, Xavier Piechaczyk ne renonce pas pour autant à ce qu’il promeut par tous les moyens depuis des décennies. « Un tel réglage ne peut être que transitoire, puisque nous aurons nécessairement besoin des renouvelables demain pour la décarbonation, et il doit être utilisé avec précaution et proportionnalité pour ne pas risquer de mettre en péril les filières industrielles », affirme-t-il. Il faut rappeler que la quasi-totalité des équipements éoliens et solaires sont importés… « Le système énergétique de demain devra marcher sur deux jambes, les renouvelables et le nucléaire. Il n’y aurait aucun intérêt à se priver de l’une maintenant, au risque de ne plus pouvoir avancer », ajoute Xavier Piechaczyk.
Le ministère de l’Economie fait lui le service minimum et souligne que le rapport « confirme la nécessité d’accélérer sur l’électrification des usages pour atteindre nos objectifs : transition écologique, des logements plus résilients, décarbonation de l’industrie et réindustrialisation, indépendance énergétique ». On en reste, sans surprise, au constat. Et on ne sait toujours pas quelle est la méthode préconisée pour accélérer l’électrification des usages.














