Le suspense est insoutenable… La Commission européenne va-t-elle finir par céder et repousser l’échéance de 2035 pour interdire toute commercialisation dans l’Union de véhicules neufs à moteur thermique. En fait, de suspense il n’y en a pas. Les déclarations la semaine dernière de Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission, ne laissent pas place à beaucoup de doutes. « L’Europe est prête à activer tous les leviers pour faire réussir l’industrie automobile européenne », a-t-il déclaré lors d’un sommet du secteur automobile en Allemagne, à Stuttgart, où se trouvent les sièges de Daimler-Benz et Porsche. Il a ajouté souhaiter « adapter la chemin vers la transition énergétique en accordant des flexibilités… Vu le contexte international, un certain nombre de technologies pourraient être autorisées après 2035 » afin de donner « une perspective claire pour les consommateurs qui attendent le changement de véhicules sur certains segments ».
La Commission va reculer parce que l’Allemagne ne veut plus de la date butoir de 2035 pour sauver son industrie automobile. Et l’Allemagne oriente de fait depuis des années la politique énergétique européenne. Alors bien sûr, la France s’y oppose. Elle n’a plus grand-chose à perdre puisqu’elle a déjà sacrifié son industrie automobile. Paris cherche tout au plus à avoir un élément de négociation pour obtenir plus de facilités pour financer la relance du nucléaire et surtout obtenir un peu plus d’indulgence sur la gestion calamiteuse de ses finances publiques.
Une unanimité irresponsable
Luc Chatel, Président de la Plateforme automobile, rappelait publiquement il y a quelques jours ce que l’abandon de l’industrie automobile a déjà coûté à la France. Le marché français des véhicules neufs s’est atrophié de 28% en cinq ans et la production en France de véhicules a chuté d’un million d’unités en une décennie. Les conséquences sociales sont dramatiques. La filière a perdu 40.000 emplois, et 75.000 postes sur les 350.000 que compte encore le secteur sont menacés d’ici à 2035. Une étude de Roland Berger souligne que 40% des fournisseurs sont en danger et 100% jugés à risque. « Nous avons le sentiment que le sol se dérobe sous nos pieds. Personne n’est épargné par cette vague de transformation, vague venue de Chine, premier exportateur mondial », explique Luc Chatel.
La Commission européenne avec l’approbation des gouvernements et du Parlement européen avait décidé d’imposer aux constructeurs automobiles la fin de la vente de véhicules neufs à motorisation thermique d’ici 2035. Une mesure entérinée le 8 juin 2022 par un vote majoritaire des députés européens. Lors de cette décision présentée à la fois comme une avancée majeure en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour l’industrie automobile européenne, qui allait entrer dans une nouvelle ère, très peu de voix s’étaient élevées pour s’interroger sur la faisabilité d’une telle décision et ses conséquences économiques et sociales.
L’industrie automobile européenne a perdu tous ses atouts
Trois ans plus tard, le principe de réalité a rattrapé les dirigeants européens et surtout nationaux et les groupes automobiles. D’un côté la demande n’est pas au rendez-vous et est étroitement liée au niveau des subventions et des aides et de l’autre, les constructeurs automobiles européens en dépit d’investissements massifs sont incapables de lutter contre leurs concurrents chinois et américains (Tesla) en termes de technologie et surtout de coûts de fabrication.
L’industrie automobile européenne, l’une des rares qui était compétitive à l’échelle planétaire et même qui possédait une certaine supériorité technologique, a perdu tous ses atouts et se trouve aujourd’hui dans une situation périlleuse.
Le recul de la Commission sur l’échéance 2035 sera sans doute habillé d’engagements réitérés et solennels en faveur de la transition et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais sera en quelque sorte officialisé le 10 décembre, date à laquelle la Commission prévoit de dévoiler des mesures pour soutenir une industrie automobile qui en a bien besoin.
Offensive allemande
L’offensive allemande est ainsi permanente depuis cet été et la mobilisation massive des constructeurs allemands en grande difficulté pour repousser la date butoir de 2035. Les constructeurs plaident pour une étape intermédiaire et l’autorisation de technologies telles que les prolongateurs d’autonomie et les hybrides rechargeables.
« Nous avons sous-estimé ce que l’industrie chinoise a accompli ces dernières années », a reconnu le chancelier allemand Friedrich Merz, qui a promis un accord officiel au sein de sa coalition sur ce sujet. Il ne devrait pas trop difficile à obtenir pour une bonne et simple raison. L’industrie automobile allemande a perdu plus de 50.000 emplois en un an, sur un total d’environ 800.000, selon le cabinet EY. Elle souffre de la concurrence chinoise, de coûts de l’énergie très élevés, d’une demande mondiale en baisse et en plus de droits de douane américains de 15% imposés aux voitures européennes.
Multiplication des normes et réglements
Pour tenter d’amortir le choc de la transition, Berlin a d’ores et déjà décidé de mettre en place une prime d’au moins 3.000 euros pour l’achat de véhicules électriques ou hybrides rechargeables, destinée aux ménages modestes et à revenus moyens.
Et il n’y a pas que le problème de l’échéance de 2035. Il y a aussi celui de la multiplication des normes et réglements. François Provost, directeur général de Renault, le soulignait dans Le Point. « Tandis que d’autres investissent, nous, nous régulons. L’Europe doit changer de logiciel. » Il citait 107 nouveaux règlements devant entrer en vigueur d’ici à 2030! « J’ai 25% des ingénieurs au Technocentre qui travaillent à des mises à jour réglementaires. Si rien ne change, le déclin de l’industrie automobile européenne est inéluctable », avertit-il.













