Le 9 octobre dernier, le ministère chinois du Commerce a annoncé de nouvelles mesures de contrôle des exportations de terres rares. Il a également restreint l’exportation de dizaines d’équipements et de matériaux utilisés pour l’extraction et le raffinage de ces minéraux. La Chine a construit sa domination écrasante du marché mondial des terres rares (exploitation et plus encore raffinage) à la fois pour faire face à ses besoins mais aussi comme une arme économique et géopolitique. Et elle s’en sert. Pékin contrôle près de 70% de la production mondiale de terres rares, selon l’institut géologique américain (US Geological Survey).
La Chine instaure ainsi un seuil extrêmement bas – 0,1% de composants d’origine chinoise – qui suffit à justifier la demande d’une licence d’exportation, même en dehors de son territoire… Toute entreprise étrangère devra désormais, à partir du 1er décembre, obtenir une autorisation d’exportation avant de vendre à l’étranger un produit fabriqué dans un pays tiers si ce produit contient, intègre ou mélange des éléments issus de terres rares chinoises, et que ces composants représentent au moins 0,1% de la valeur totale du produit. Ou si ce produit a été fabriqué en utilisant des technologies liées aux terres rares d’origine chinoise, qu’il s’agisse de l’extraction, du raffinage, de la métallurgie, de la fabrication d’aimants ou du recyclage. Pékin a indiqué avoir l’intention de faciliter les procédures d’obtention des licences, tout en précisant vouloir refuser les demandes liées à la défense et examiner avec une attention particulière celles concernant les semi-conducteurs avancés et certains types d’intelligence artificielle.
Vital pour le réarmement
Tout cela s’inscrit évidemment dans le cadre de la poursuite du bras de fer commercial entre les Etats-Unis et la Chine. Donald Trump a qualifié les annonces de « mesures plutôt sinistres et hostiles… J’étais censé rencontrer le président Xi dans deux semaines, lors du sommet de l’APEC en Corée du Sud, mais il ne semble désormais plus y avoir de raison de le faire ». Donald Trump a annoncé la mise en place de droits de douane supplémentaires de 100% sur la Chine, qui s’ajouteront à ceux déjà en vigueur, et des contrôles à l’exportation sur tous les logiciels critiques à destination de la Chine.
Mais cette guerre commerciale a un autre impact. L’Association des industries européennes de l’aérospatiale, de la sécurité et de la défense, AASDD, qui représente plus de 4.000 entreprises, dont des poids lourds du secteur comme Airbus, BAE Systems, Saab, Thales ou Rheinmetall, manifeste ses craintes.
L’accès aux matières premières essentielles est vital pour les objectifs de réarmement de l’Union Européenne (UE). Ils sont indispensables à la fabrication des chars de combat, des avions de chasse, des drones et des systèmes radar. La Chine fournit 31% du tungstène et 97% du magnésium de l’Union européenne tandis que la demande de terres rares devrait être multipliée par six d’ici à 2030.
Au plus mauvais moment
« La Chine est en train de couper l’herbe sous le pied des efforts de réarmement de l’Europe, au moment même où le Kremlin intensifie son agression au-delà de l’Ukraine », affirme Joris Teer, analyste à l’Institut d’études de sécurité de l’UE, AEUISSD.
La Chambre de commerce européenne en Chine a exhorté Pékin à veiller à ce que les exportations de terres rares vers l’Europe se poursuivent. Le commissaire européen au commerce, Maros Sefcovic, a qualifié ces mesures d’« injustifiées ». « Les terres rares et les aimants permanents sont des éléments clés dans pratiquement tout ce qui a une composante numérique. Cette extension spectaculaire du champ d’application et l’ajout de produits supplémentaires ne font qu’aggraver la situation », a-t-il affirmé.
« L’élargissement des restrictions chinoises toucherait durement l’industrie européenne de la défense, ce qui pourrait retarder la production de munitions et de systèmes de haute technologie qui dépendent de minéraux essentiels… », explique Daniel Fiott, professeur au Centre pour la sécurité, la diplomatie et la stratégie, ACSDSD, de Bruxelles. « Cette situation survient également au pire moment possible, tandis que l’Europe cherche à se réarmer et à renforcer sa base de défense par le biais d’investissements plus importants », ajoute-t-il.
Des priorités politiques
La Commission européenne a bien adopté en début d’année une loi sur les matières premières critiques afin de stimuler les productions nationales, diversifier les importations et promouvoir le recyclage. Une réaction tardive. D’ici à 2030, l’UE souhaite satisfaire 10% de sa demande grâce à l’extraction nationale, 40% grâce à la transformation et 25% grâce au recyclage. Elle entend également limiter à 65% la dépendance à l’égard d’un seul pays pour chaque matériau. Mais tout cela prend du temps.
« L’Europe doit également trouver des idées audacieuses pour investir dans le raffinage et le recyclage au niveau national afin de réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine », souligne Daniel Fiott. Pékin raffine 80% des terres rares dans le monde. Une activité qui demande à la fois des technologies et des investissements importants et qui a un impact important sur l’environnement. Il faudra se donner des priorités politiques. Ce que l’Union Européenne est en général incapable de faire.
La Chine contrôle de fait le raffinage de 19 des 20 minéraux les plus consommés considérés comme critiques avec en moyenne des parts du marché mondial de 70%… Et au cours des dernières années, en dépit des discours volontaristes et des études montrant les risques de la dépendance, Pékin a renforcé sa mainmise sur ses marchés.
Cet été, à La Haye, les 32 membres de l’OTAN – dont 22 sont des pays de l’UE – se sont engagés à renforcer leurs capacités de défense et à porter leurs dépenses de défense à 5% de leur PIB d’ici à 2035. L’Union Européenne s’efforce de coordonner davantage de marchés publics communs, de réduire sa dépendance à l’égard des fournisseurs étrangers et de faire avancer des projets phares tels que le « mur antidrones » et l’initiative des flancs orientaux, qui constituent un élément clé de sa stratégie de dissuasion face à une éventuelle agression russe.