<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « Un mélange étrange d’idéologie anticapitaliste et de capitalisme financier »

30 octobre 2025

Temps de lecture : 5 minutes
Photo :
Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

« Un mélange étrange d’idéologie anticapitaliste et de capitalisme financier »

par

Un entretien avec Alexandre Jardin, écrivain et cinéaste. Propos recueillis par Éric Leser. Article paru dans le numéro 26 du magazine Transitions & Energies.

T&E : Vous avez incarné le mouvement de révolte contre les ZFE (zones à faibles émissions) qui a débouché sur le vote inattendu d’un texte de loi qui les supprime. Il y a encore des obstacles à la disparition définitive des ZFE, mais c’est indéniablement une victoire pour vous. Et maintenant, vous vous attaquez à la politique énergétique du pays et notamment à la PPE3 (programmation pluriannuelle de l’énergie, version 3). Pourquoi ?

-A.J. : La politique n’est pas seulement des lois. Il s’agit aussi de rapports de force. En janvier, on pouvait imposer les ZFE à une population qui n’était pas informée. Avec l’immense campagne que nous avons menée, 89 % des Français sont aujourd’hui au courant. Si cette loi coercitive devait maintenant être imposée à la nation, même dans une forme limitée dans un premier temps, personne ne sait comment elle réagirait. Elle le ferait en pleine conscience et avec des organisations aujourd’hui très structurées. Le paysage a totalement changé. Pas moins de 78 % de la population est favorable à la disparition des ZFE.

Et si le président de la République avait l’idée d’actionner ses relais au Conseil constitutionnel pour rendre la suppression des ZFE inconstitutionnelle, le Conseil prendrait la responsabilité d’une crise assez considérable dans le pays.

La PPE3 s’inscrit dans la même logique que les ZFE, un mépris total du citoyen. Les ZFE considéraient que l’on pouvait instituer des sous-citoyens. Avec la politique énergétique, les décisions ont été prises sans en informer les citoyens. On organise leur appauvrissement avec un gigantesque système de racket au profit d’investisseurs étrangers et à travers des prélèvements exorbitants sur leur facture mensuelle d’électricité. Or, la facture d’électricité est quasiment un impôt. Nous devons la payer. Personne ne peut se passer d’énergie.

Habituellement, quand on paye l’impôt, c’est pour payer des services publics, pas pour engraisser des grands groupes et des fonds de pension. Il y a un détournement d’un système quasi public qui va engendrer un doublement de la facture des Français. Le drame est que l’on vient déjà de vivre un doublement de cette facture.

Un triplement paupériserait la population et représenterait une attaque sans précédent sur notre activité économique avec la complicité de l’État. Et tout cela avec un alibi écologiste. Je dis bien un alibi, car chacun sait que notre électricité est déjà décarbonée.

T&E : Vous avez raison sur ce point. L’an dernier, 95 % de l’électricité produite en France était décarbonée, une performance remarquable. Seuls des pays ayant des avantages géographiques hors norme comme la Finlande, la Suède, la Norvège ou l’Islande font aussi bien. En outre, nous produisons bien plus d’électricité que nous en consommons et que nous exportons en masse. Comment peut-on alors justifier rationnellement la décision d’investir massivement dans des capacités de production renouvelables intermittentes qu’il faut subventionner ?

-A.J. : Tout cela est la conjonction de plusieurs intérêts puissants ligués contre notre pays. Ceux en Europe comme l’Allemagne qui ne supporte pas que la France bénéficie d’un avantage compétitif considérable avec une électricité abondante et surtout bon marché. Elle nous a déjà imposé à travers les institutions européennes un système de fixation des prix de l’électricité qui nous est radicalement défavorable, qui n’a pas de lien avec les coûts de production réels et qui est indexé sur les tarifs du gaz. Nous avons un partenaire qui joue clairement contre nous.

Nous avons également dans cette coalition d’intérêts tous les fabricants d’éoliennes, chinois, allemands, danois… Nous avons aussi des fonds d’investissements mondiaux qui ont arrosé d’argent les communes rurales pauvres françaises via les opérateurs. Et on les comprend très bien, car ils ne prennent aucun risque et financent des activités dont la rentabilité élevée est garantie par l’État. Ils achètent en quelque sorte des obligations d’État françaises et bien mieux rémunérées que les originales. Et personne ne sait qui a décidé de la garantie publique du prix de l’électricité vendue qui nous engage. Tout cela passe par l’accord de communes obtenu avec des distributions de pots-de-vin et autres subventions plus ou moins légales. C’est comme s’il y avait un partage du butin.

Enfin, les écologistes sont les autres alliés enthousiastes des renouvelables. Ils rêvent de détruire le capitalisme en faisant monter le prix de l’énergie. Un mélange étrange d’idéologie anticapitaliste et de capitalisme financier. C’est un moment historique particulier. En général, ce sont des gens qui se détestent et qui tout à coup sont unis dans la même passion morbide. Et le tout au mépris intégral du peuple qui est la bonne poire que l’on va ponctionner chaque mois. Et quand vous vous élevez contre cela, on vous traite de fasciste et on tente de vous disqualifier sur une base morale. Et pourtant, c’est la vérité. C’est ce que disent les grands professionnels et en fait EDF.

T&E : Quelle est l’issue ? Croyez-vous toujours à une révolte que vous semblez appeler de vos vœux.

-A.J. : Nous allons essayons d’empêcher que le décret instituant la PPE soit publié. Et si par malheur, il leur passait par la tête de passer outre le processus parlementaire normal, nous aurons je le pense une capacité de blocage du pays jusqu’à ce que la raison l’emporte. Nous allons souder la société civile à travers les grandes branches professionnelles qui ne veulent pas mourir. Il y a quand même une limite au délire et à l’agression de nos intérêts vitaux. Les gueux sont en train aujourd’hui de faire ce travail de coopération entre les secteurs qui sont décidés à ne pas mourir.

Nous allons tellement rendre les choses incertaines pour les investisseurs qu’ils vont y réfléchir à deux fois avant d’aller mettre leurs sous dans un pays qui va leur mener la guerre. Il faut bien se rendre compte que nous sommes face à une opération de privatisation de l’électricité sans précédent qui ne dit pas son nom. Dans ce système, les renouvelables privés sont prioritaires et le nucléaire public d’EDF est censé s’ajuster alors que le parc n’est pas du tout fait pour cela. C’est la raison pour laquelle EDF se braque. L’entreprise n’accepte pas que son appareil productif soit abîmé.

Il faut reconnaître que les lobbies favorables à la maltraitance du pays ont excellement manœuvré jusqu’à présent, notamment au Parlement. À nous de faire bouger la société. Je ne vois pas durablement un Parlement français entrer en guerre contre la nation. Une loi sur l’énergie n’est pas une loi comme les autres. L’économie, ce n’est que de l’énergie transformée.

Quand nous aurons terminé cette campagne, je pense que plus de 90 % des Français seront opposés à des choix énergétiques qui reviendront à doubler leur facture d’électricité. Une grande partie du pays ne peut pas. Il y a 22 % des Français qui sont dans le rouge à partir du 15 du mois et environ 50 % à zéro à la fin du mois. Et ils ont déjà fait des efforts considérables de réduction de leur consommation d’énergie. La culture du mépris qui domine notre technocratie se fout pas mal de ses gens. Mais cela ne sera plus possible si la facture de l’électricité est tout en haut de l’actualité. Nous y travaillons. Les gueux sont là pour unifier le pays autour de causes.

Nous voulons devenir suffisamment puissants pour instaurer en France une démocratie directe qui corrigera et complétera la démocratie représentative exactement comme en Suisse. Nous voulons comme en Suisse la possibilité pour le peuple de s’opposer à une loi. C’est une machine à fabriquer du consensus avec le peuple et non pas entre partis. C’est ce qui peut nous garantir la sortie d’un système technocratique hors-sol dans lequel on se permet à Paris comme à Bruxelles d’imposer n’importe quoi aux Français et de les traiter comme des gueux.

À propos de l’auteur

La rédaction

La rédaction

Newsletter

Voir aussi

Share This
.et_pb_column_1_4 { display:none !important; } .wp-image-13628 { display:none !important; }